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Communiqué de SLU sur le discours de N. Sarkozy le 5 février 2009

samedi 7 février 2009, par Laurence

Myopie et surdité

Dans les quelques minutes qu’il a consacrées au conflit qui oppose en ce
moment le gouvernement et le monde de l’université et de la recherche,
Monsieur Sarkozy a choisi délibérément d’enfiler comme des perles des
contre-vérités et des réductions schématiques qui composent une
présentation complètement biaisée des principales questions posées.

La seule vérité qui émerge de ses propos est l’effective
revalorisation des débuts de carrière des enseignants-chercheurs assurée
par la prise en compte dans l’ancienneté de deux années de thèse. Mais
la mesure n’est qu’un pis-aller encore insuffisant au regard des
niveaux de salaire des jeunes collègues.

En revanche, au chapitre des contre-vérités flagrantes on notera son
affirmation selon laquelle toutes les grandes universités du monde
suivraient le modèle d’autonomie mis en place par la loi LRU ou celle
sur le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche qui
serait en hausse de 1, 8 milliard par an.

Ces chiffres relèvent d’un habillage budgétaire qui joue constamment
sur des modifications de périmètres budgétaires, prend en compte les
mêmes augmentations dans deux lignes différentes ou inclut des
engagements des années précédentes reportés ou non.

Ne sont en outre pas pris en compte les effets budgétaires du millier
de suppressions de postes imposé unilatéralement aux universités en
décembre 2008. Une illustration de cette situation est offerte par les
dotations budgétaires de fonctionnement de quasiment toutes les
universités françaises rendues publiques au début du mois de décembre
2008 : où on claironne des augmentations substantielles, dans l’immense
majorité des cas, il y a une baisse en euros constants.

Tout ceci révèle que la vision qu’a le gouvernement de l’ « autonomie » est à la fois autoritaire et fondée sur un désengagement de l’Etat du
financement de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Une autre illustration en est l’augmentation massive du crédit impôt
recherche que l’on se garde bien d’évaluer (ce qui est étonnant pour ce
chantre de l’évaluation systématique) afin de ne pas dévoiler que le
fameux « effet-levier » que ce dernier est censé favoriser n’existe pas
et se réduit à un effet d’aubaine pour le secteur privé français.

Au chapitre des réductions parfois caricaturales des questions
soulevées par le mouvement des enseignants-chercheurs et des chercheurs,
on relèvera évidemment les propos tenus sur l’évaluation, comme si
c’était le projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs qui
introduisait pour la première fois l’évaluation dans le monde de
l’enseignement supérieur et comme si massivement nos collègues
refusaient l’évaluation. Or nous sommes évalués
- lorsque nous soutenons nos thèses et habilitations à diriger des
recherches,
- lorsque nous obtenons notre qualification par le CNU,
- lorsque nous sommes recrutés sur des postes,
- lorsque nous demandons, au CNU ou à nos universités, des promotions et
les rares semestres de congés pour recherches,
- lorsque nous soumettons nos articles à des revues,
- lorsque nous publions des livres,
- lorsque nous participons à des colloques,
- lorsque nous demandons des subventions de recherche ou de publication,
- sans compter les évaluations collectives lors des plans quadriennaux
(pour les maquettes de l’offre de formation et pour les équipes de
recherche).
Nous sommes évalués tout au long de notre vie professionnelle, l’évaluation par les pairs (et pas l’« auto-évaluation » dont parle M. 
Sarkozy !) est un principe fondamental de l’activité de
l’enseignant-chercheur.

Quant à la QUALITÉ de la recherche française, il est temps de
dénoncer les mensonges propagés par le gouvernement : dans le classement
OCDE 2007, la France est 6ème en nombre de publications, alors
qu’elle n’est que 16ème en taux de financement de la recherche par
habitants…(cf. /Etat de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche/,
document édité par le Ministère !). Elle est 6ème au classement de
Shanghai par pays, un chiffre qui n’est curieusement jamais évoqué dans
le discours officiel

Toujours au titre de ce schématisme - dont on est en droit de se
demander s’il relève de la méconnaissance du dossier ou de la
manipulation - on appréciera tout particulièrement, au regard de son
importance sociale pour la formation des enfants de ce pays, le couplet
compassionnel sur la paupérisation des enseignants « depuis 40 ans » à
laquelle la réforme de la formation des enseignants serait censé
apporter une solution.

Rien n’est dit de la suppression pour des raisons strictement
budgétaires de l’année de formation en alternance (stages en
responsabilité et sessions de formations théoriques) qui suivait la
réussite au concours de recrutement. Rien n’est dit de la diminution
drastique du temps de la formation théorique ; rien des modifications
de la nature des concours qui ne garantiront plus la maîtrise de la
compétence disciplinaire nécessaire ; rien encore de la confusion
engendrée entre le diplôme et le concours, entre la certification d’une
capacité à enseigner (par l’obtention du master) et le recrutement sur
un poste stable (par le concours), qui mènera probablement à une
précarisation du corps enseignant avec l’extension massive de la
contractualisation des titulaires de masters non reçus au concours, de
la maternelle au bac.

L’intervention de M. Sarkozy fait preuve d’une myopie et d’une
surdité à toute épreuve. Myopie car M. Sarkozy semble ne pas voir
l’étendue des problèmes posés par les réformes hâtives que sa Ministre
de l’enseignement supérieur et de la recherche tente de mettre en place.
Surdité car, en dépit de ses appels réitérés au dialogue, le Président
de la République n’a visiblement pas pris la mesure de la colère et de
la détermination qui font se dresser contre son gouvernement le monde de
l’enseignement supérieur et de la recherche, dans une démarche et une
unité totalement inédites. Le ton est moins méprisant que dans son
discours scandaleux du 22 janvier mais la position reste la même.

Et rien d’étonnant, au passage, à ce que la définition que, dans ce même
entretien, M. Sarkozy donne d’une "université autonome" avec une
assurance confondante soit la suivante : une université qui puisse « 
choisir ses enseignants » et « choisir ses étudiants ». Pour la première
proposition cela n’a rien d’une révolution, c’est déjà le cas. Quant à
la seconde, les étudiants apprécieront : ce qui est en jeu dans cette
affaire - n’ayons pas peur de le répéter - c’est donc bien l’existence
même de l’université comme lieu de formation collégial assurant à ses
enseignants la liberté de l’enseignement et de la recherche et ne
sélectionnant pas à l’entrée ses futurs étudiants.

Nous saurons faire front.