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« L’autonomie est la seule voie de survie » - par Jean-Charles Pomerol, mathématicien, président de l’université Paris-VI Pierre-et-Marie-Curie, "L’Humanité", 21 février 2009

lundi 23 février 2009, par Laurence

Contestez-vous les réformes engagées par le gouvernement à l’université ?

Jean-Charles Pomerol. S’agissant de certains aspects du décret sur les enseignants-chercheurs, comme la modulation individuelle, la modulation punition, je comprends l’émotion des collègues. La loi suscite des critiques parce qu’elle donnerait au président d’université la possibilité de moduler les services individuels, de décider de l’emploi du temps d’un enseignant. Il est pour le moins désagréable d’imaginer qu’une personne puisse décider toute seule de la masse de travail de tel ou tel collègue. Associer modulation et sanction ou punition, c’est tomber dans une erreur psychologique profonde. J’ai toujours pensé qu’en sciences c’était une bêtise de moduler les services. Dans un laboratoire scientifique, on a toujours quelque chose à faire, même quand on ne mène pas de recherche. Il faut donc revoir cette copie.

Et la réforme de la formation des maîtres ?

Jean-Charles Pomerol. La vitesse avec laquelle elle a été décidée, le manque d’articulation du nouveau cursus avec le concours d’enseignement placé en plein milieu de deuxième année de mastère suscitent un mécontentement compréhensible. Mais on aurait tort de vouloir laisser les IUFM en place. La création de ces instituts revenait à sortir la formation des maîtres des universités, et notamment des universités scientifiques - ce qui privait les futurs maîtres du lien indispensable avec la recherche. Nous proposons, nous, que le stage pédagogique soit rétabli dans sa longueur (un an), qu’il soit rémunéré et que le concours d’enseignement n’intervienne pas avant la fin du mastère pour que la formation scientifique soit complète. Il y a donc des adaptations à décider. Mais nous ne voulons pas retourner au statu quo antérieur. Plus généralement, si l’émotion actuelle devait être l’occasion de repartir en guerre contre la LRU ou le LMD, ce serait revenir en arrière de deux cents ans, au système de Napoléon. Et je dis non. Mise en place intelligemment, l’autonomie des universités est la seule voie de survie. Sans quoi, ces établissements, qui ont déjà perdu 10 % d’une classe d’âge en l’espace de quinze ans, vont voir l’hémorragie de bacheliers se poursuivre vers les classes préparatoires de lycées, voire les classes prépa intégrées qui sont payantes dès la première année.

Mais pourquoi vous inscrire dans la logique de la loi dite LRU ?

Jean-Charles Pomerol. D’une certaine manière, un des débats de la crise actuelle est de savoir où s’arrête le lycée et où commence l’université. Il s’agit de savoir si on veut continuer dans ce modèle où, grosso modo, les trois années après-bac se situent hors de l’université et pour ce qui est de la France dans les lycées, ou bien si on veut qu’elles se passent à l’université. La vision de l’UPMC et la mienne, c’est que l’université doit prendre les étudiants après le bac, sous la responsabilité d’enseignants-chercheurs qui fréquentent les laboratoires et la recherche de haut niveau.

En quoi les réformes en cours rendent crédible cet objectif ?

Jean-Charles Pomerol. Parce qu’il s’agit d’aller davantage vers des établissements autonomes dédiés à la recherche, à la création de connaissances et à la diffusion de ces connaissances, ce qui implique de rompre le cordon ombilical avec les recteurs et avec les lycées. Les établissements doivent pouvoir décider librement de leurs recherches et de leurs formations. Nous sommes opposés aux revendications qui réclament un seul modèle de cursus de mastères sur toute la France, qui veulent des habilitations nationales, qui veulent maintenir la fiction d’un État garant du contenu du diplôme, etc. Nous contestons l’uniformité proclamée parce qu’elle est hypocrite. Tout le monde sait que, pour garder des chercheurs dans des disciplines pointues, la plupart des universités donnent des primes, s’arrangent en termes de vacances ou d’avantages plus ou moins légaux. Désormais, on sera beaucoup plus responsable du recrutement ; c’est une avancée qui permet de différencier les postes, les comités de sélection et, pour les gens qui seront embauchés sur contrat, de différencier les salaires. S’agissant des contenus, on est encore formatés par des maquettes nationales, mais à terme on sera beaucoup plus libres de créer des enseignements innovants. Par exemple, comme on l’a déjà fait en marge du système, des licences à double cursus, qui, à la différence des classes préparatoires où la sélection et le choix de discipline s’effectuent juste après le bac - ce qui conduit souvent à l’échec -, les étudiants peuvent en travaillant un peu plus que les autres choisir leur orientation définitive une fois parvenus à bac + 3. C’est un grand progrès, car énormément de bacheliers, 70 % à 80 %, ne savent pas ce qu’ils veulent faire lorsqu’ils rentrent à l’université.


Vous ne craignez pas d’accentuer la concurrence entre établissements riches et pauvres, et par là d’institutionnaliser un système à deux vitesses ?

Jean-Charles Pomerol. La vraie concurrence se situe avec les classes préparatoires, qui disposent de deux fois plus de moyens par étudiant. Elle est moins nette entre les universités. Il y a des différences de taille et de moyens. Quand on dispose comme nous d’une centaine de laboratoires, on n’est pas dans la même catégorie qu’une faculté de droit, qui ne dispose ni de labos ni de bureaux. Dans le groupe que j’ai appelé la GURI, des grandes universités de recherche intensive, dont la moitié en sciences et médecine, Paris, Strasbourg, Toulouse ou Lyon, se tiennent de près. Il y a émulation, mais pas en termes de moyens. Évidemment, il ne faut pas comparer avec les universités littéraires.

Ne craignez-vous pas que l’État se décharge de ses responsabilités nationales en vous contraignant à vous financer auprès du privé ou des collectivités territoriales ?

Jean-Charles Pomerol. J’avoue avoir été déçu par les moyens qui nous ont été alloués pour innover. La ministre et les pouvoirs publics affirment avoir mis plus d’argent au niveau macroéconomique, mais, au niveau microéconomique, cela ne s’est pas beaucoup vu, parce que cela s’est accompagné de règles de répartition qui n’ont pas tenu compte de la qualité des formations et de la recherche. J’entends dire et je lis que les comités de mobilisation réclament une répartition égalitaire entre les universités : ils ont été largement entendus par le gouvernement ! Personne dans la presse ni ailleurs ne s’étonne que des établissements qui ne bougent jamais, comme Polytechnique, HEC ou les classes prépa, restent toujours hors système répartition. Je le regrette. La République donne d’abord aux « happy few », à l’élite, et après elle répartit ce qui reste pour les autres de façon égalitaire.

Entretien réalisé par Lucien Degoy