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Enseignants-chercheurs à l’étranger : une diversité de situations - "Le Monde", 5 mars 2009

jeudi 5 mars 2009, par Laurence

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* Evaluation des étudiants par Sébastien Le Roux

Je suis chercheur post-doctorant dans le département de physique de Central Michigan. J’ai soutenu ma thèse en juillet 2007 et j’ai bougé par plaisir et par nécessité pour obtenir un poste en France un jour. Je suis chercheur à plein temps et sans enseignements pour le moment.

Mes conditions de travail sont remarquables, un environnement de travail d’une qualité impressionnante. Pour un Français immigré qui découvre la recherche à l’étranger, je dois dire que la petite université du Michigan me surprend. Cependant, c’est le système qui veut ça ici, quand un étudiant doit payer près de 30 000 dollars de frais de scolarité par an, il est normal que l’université se plie en quatre pour lui fournir des conditions de travail exemplaire, et nous chercheurs en profitons.

La médaille a son revers, tout du moins lorsque l’on enseigne. Pas par le nombre d’heures d’enseignement, nettement moindres ici qu’en France, mais par l’importance de l’opinion des étudiants sur l’évolution de la carrière de leur professeur. Régulièrement les étudiants évaluent leurs enseignants et les résultats de ces évaluations (organisées par l’université) sont pris tellement au sérieux qu’ils peuvent entraîner un licenciement. Un de mes collègues m’a dit : "Les étudiants [américains] sont des consommateurs du savoir que leur vend l’université."

* L’expatriation comme seule solution par F.

Admis dans un programme doctoral d’une grande école francaise, il m’a fallu me faire à l’idée de faire ma thèse en travaillant (barman, bibliothécaire, call center). J’ai donc pris la voie de l’expatriation dans une grande université américaine qui m’offrait une bourse et la possibilité d’enseigner pour gagner ma vie de thésard.

Cinq ans que je suis de l’autre côté de l’Atlantique. Je vis dans une relative précarité. J’accumule les contrats d’enseignement de 3 à 9 mois, je cumule les tâches d’enseignement, la conduite de projets de recherche, le journalisme pour parvenir bon an mal an à continuer ma thèse. J’enseigne donc 4 heures par semaine, 6 heures de préparation, 3 heures de tutorat, 5 heures par semaine de direction de recherche. Et il me reste parfois un peu de temps libre pour finir ma thèse.

* Les anges de l’UCLA par Bernard Junod

Mon travail d’enseignant-chercheur à l’étranger se déroule dans des conditions idéales : l’UCLA m’accueille en jouant la carte de la réciprocité des échanges. Avant mon arrivée, le responsable d’un cours sur l’évaluation s’était référé à mes travaux en France. Les enseignements auxquels j’ai contribué 4 heures par semaine ont d’emblée introduit des éléments culturels spécifiques. On m’a aussi proposé d’intervenir dans une formation continue et dans un séminaire hebdomadaire de recherche.

L’évaluation de mon séjour précisée dans un document soumis au conseil scientifique de mon école repose sur les publications communes. Cette année, j’ai déjà contribué à deux publications, l’une dans une revue scientifique, l’autre dans le Times. Les enseignements ne sont pas en concurrence avec la recherche. Ce sont des tremplins pour entreprendre les travaux en réseau qui occupent l’essentiel de mon temps.

Les démarches administratives auxquelles j’ai été associé à l’UCLA sont destinées à favoriser les échanges internationaux. Elles résultent de la somme de mon expérience de "visiting scholar" et de celles de collègues de l’UCLA venus en Europe. Ma principale charge administrative porte sur mon retour en France où je souhaiterais poursuivre mon activité à plein temps au sein de l’Ecole des hautes études en santé publique.

* Les étudiants sont des clients par Stéphane Natan

Je travaille depuis bientôt trois ans à Rider University, une université privée américaine, où j’enseigne le français. Je suis censé diviser mon temps de travail en trois parts égales entre enseignement, recherche et service administratif. Il est cependant très difficile de conserver cette balance parfaite, et dans le quotidien, l’enseignement (3 cours par semaine) et les tâches administratives l’emportent sur ma recherche.

J’ai fait toutes mes études en France où j’ai obtenu un doctorat en langue et littérature française à l’université Jean Moulin à Lyon en 2003. Même si le système français peut avoir ses failles, il reste un système juste, de qualité et accessible sans condition de ressources. Dans l’université où je travaille, une année d’études coûte environ 30 000 dollars ! Je dois cependant reconnaître que les universités américaines offrent des salaires très attractifs avec des possibilités d’avancement très rapide.

Quand j’ai commencé à enseigner en France, je me rappelais sans cesse cette phrase : "pour travailler dans l’éducation nationale, il faut avoir la vocation". Aux Etats-Unis, je dirais qu’il faut avoir un esprit de vente et être dans la communication pour réussir, les étudiants étant des clients. Je souhaite que la France conserve notre système éducatif : issu d’un milieu social ouvrier et ayant grandi dans une cité HLM à Valence, je suis la preuve vivante que notre système éducatif fonctionne. Aux Etats-Unis, cela aurait été impossible.

* Modalités de recrutement par Julien Lagarde

J’ai effectué mon doctorat à l’Université Paul-Sabatier, à Toulouse, puis j’ai effectué trois ans de postdorat dans un laboratoire de neurosciences en Floride. Aujourd’hui, je suis maître de conférence en France.

Je m’étonne de l’absence de remise à plat des modalités de recrutement des chercheurs et universitaires en France. Suite à une première sélection sur dossier, les candidats font un oral de dix à vingt minutes (selon les universités), idem pour le CNRS, et le concours est terminé. Qui recruterait sur la base d’un oral de dix minutes ? Personne. Pour n’importe quel employeur, même en CDD, le contact oral, la discussion sont plus approfondis. Ceci n’est remis en question par aucun des acteurs engagés dans les discussions sur la réforme des universités et de la recherche. La conséquence de la superficialité des processus officiels de recrutement est la réduction des chances données aux outsiders, non supportés par des réseaux locaux, et sanctionne notamment les doctorants partis travailler à l’étranger en postdoctorat, et encourage la "cosanguinité" tant décriée mais intouchable.

Un recrutement sérieux recquiert un passage dans le laboratoire d’une journée, présentation en séminaire, discussions avec les membres du laboratoire, etc., on peut s’inspirer de ce qui ce fait aux Etats Unis dans ce domaine.

* Enseignement et recherche à égalité du temps (Québec) par Gérard Verna

Voici sommairement l’esprit des clauses principales de notre convention collective. En théorie, le professeur est tenu d’assumer trois grandes activités :
- Pour 40 % de son temps, enseigner, corriger les travaux, préparer les cours et encadrer les étudiants qu’il dirige en essais ou mémoires de maîtrise ou en thèses de doctorat.
- 40 % consacrés à la rechercher et à la publication des résultats de ses travaux de recherche
- Pour les 20 % restant, assumer des tâches administratives (gestion de programmes, participation à des comités, etc.) et des tâches de représentation et rayonnement, en particulier à l’étranger, avec l’objectif de recruter des étudiants, voire des professeurs.

Cette charge de travail est discutée avec le directeur de département (professeur de ce département devenant cadre non syndiqué pour la durée de son mandat). L’ensemble des charges est présentée par le directeur à l’assemblée des professeurs (nous sommes 33 dans notre département) qui l’accepte ou la refuse. Le directeur a alors quelques semaines pour corriger "éventuellement" ce qui a été refusé et présenter une nouvelle mouture qui, dans tous les cas, ne sera pas négociable.

La charge d’enseignement correspond à quatre cours de 45 heures, répartis sur l’année. Il y a plusieurs possibilités de décharge pour des services rendus importants. La recherche est le plus difficile à évaluer. Nous avons établi pour cela un classement des revues donnant plus ou moins de points.

* L’université, voie royale par E. Prouzet

Je suis enseignant-chercheur au Canada et connaît bien le système français pour y avoir travaillé de nombreuses années. La principale différence qu’on observe en arrivant est que l’utilité de l’enseignement et de la recherche ne pose pas question. Ceci est rendu possible par le fait que l’université est la voie royale de formation et non une voie de garage et que les frais d’inscription rendent les étudiants soucieux de la qualité de l’enseignement. Ainsi, tout cours s’accompagne d’une fiche d’évaluation anonyme remplie par chaque élève.

Les enseignants sont bien payés (2 à 2,5 fois le salaire français) mais ils doivent démontrer une réelle qualité dans leur travail de recherche et d’enseignement. La pression n’est pas aussi élevée qu’aux Etats-Unis et elle est plutôt positive car un travail de recherche et d’enseignement est reconnu positivement quand il est bien mené. L’enseignement s’accompagne également d’une forte structure d’aide pédagogique.

Un professeur doit enseigner trois cours de 33 heures et a des aides (étudiants payés) pour les TD et corrections. La bonne chose est qu’on doit enseigner un seul cours la première année, puis 2 et 3 au bout de 3 ans. On a donc du temps pour initier sa recherche. L’évaluation est faite par le directeur du département (ou un comité), sur une base simple : 40 % recherche, 40 % enseignement, 20 % administration. Le directeur étant élu, la relation est basée sur la confiance et mène à des augmentations annuelles significatives.


* Les étudiants, acteurs centraux de l’université par François Lagugné-Labarthet

Je suis enseignant-chercheur dans une université anglophone canadienne depuis 2007 en Ontario et titulaire d’une chaire de recherche. J’enseigne 50 heures par an en moyenne. Le ratio enseignement/recherche/administration est de 20/70/10. Nos étudiants paient 6000 dollars par an de frais d’inscription. Les locaux et moyens d’enseignement sont impeccables. Tout étudiant en première année a droit à un logement universitaire. Acteurs centraux de l’université, nos étudiants nous notent anonymement sur 14 critères pour chaque cours. Ces notes sont accessibles en ligne par tout étudiant et collègues de travail. Cette notation est prise en compte pour nos promotions et évolutions de salaires en plus des critères de recherche et administration qui font l’objet d un rapport annuel et d’une note globale.

Côté recherche : en plus d’un fond de démarrage substantiel (100 000 dollars), nos fonds récurrents proviennent d’une agence de moyens et sont soumis à un jugement par des pairs. Un montant de 30 000-50 000 dollars par an pour un jeune chercheur est commun. D’autres fonds sont disponibles pour acquérir du matériel lourd ou payer des étudiants. Nous gérons nos fonds de recherche de façon autonome.

* Le système d’évaluation pousse à produire par Virginie Thiébaut

Je travaille dans une institution de recherche en sciences sociales depuis quatre ans et demi. Je gagne environ 1 600 euros mensuels pour un niveau de vie deux fois moins élevé qu’en France. Je donne 48 heures de cours par an niveau maîtrise, l’essentiel de mon travail est donc la recherche. Je suis historienne et géographe, spécialiste en géographie historique et évolution des paysages. Mon salaire de base constitue un peu plus de la moitié de mes revenus, je perçois des "estimulos" en plus qui dépendent de ma productivité et que me paye mon institution.

Nous sommes évalués tous les trois ans par une institution indépendante d’Etat (Conacyt) qui nous paye en plus une somme nette d’impôts si nous sommes jugés assez productifs par un comité évaluateur (différents niveaux, critères assez flous). Ce système nous pousse à produire beaucoup (articles, conférence, communications colloques, etc.) au risque de nous répéter et au détriment de la qualité, il faut "faire des points". La qualité est évaluée (rapports pour les articles) mais avec ses limites (copinage, reconnaissance). L’institution nous pousse à entrer dans ce système.

* Une "mécanique" de la recherche absurde par William Gallas

Je suis doctorant, et je prévois, lorsque j’aurai terminé mon doctorat, de rester au Mexique. Il existe plusieurs niveaux de contrats pour les enseignants-chercheurs. Dans le cas idéal, la répartition hebdomadaire des heures est la suivante : 10 heures de cours - 10 heures d’encadrement et d’administration - 20 heures de recherche.
Il s’agit du statut qui possède la plus grande part de recherche. Le nombre d’heures de cours monte à 20 heures pour un temps plein ordinaire, et même au-delà (jusqu’à 40 heures et plus) si vous avez le malheur d’être contractuel.

La recherche est principalement évaluée sur le nombre de publications pendant l’année. La valeur de ces publications est pondérée selon leur type : article dans une revue internationale répertoriée par le Conacyt, livre, article dans un livre ou dans une revue non répertoriée, conférence. Les points obtenus viennent se concrétiser en un bonus au salaire du salaire. Le salaire de base est relativement faible, mais peut être doublé, voire triplé, si vous êtes un grand producteur d’articles. Certains parviennent ainsi à en publier plus d’une dizaine par an. Ce mode d’évaluation génère une "mécanique" de la recherche assez absurde. Pour faire de la quantité, il faut un maximum d’étudiants en master et en doctorat, qui produiront pour vous. Et lorsque vous avez trouvé un sujet en or, vous avez intérêt à le faire durer au maximum.

* Evaluation annuelle par Hubert Chanson

Je suis professeur en ingénieurie à l’University of Queensland qui est l’une des quatre grandes universités australiennes. Mes activités sont évaluées chaque année, et cela a lieu pour tout enseignant-chercheur, des maîtres de conférences aux professeurs. De plus, toute candidature de promotion interne est basée sur ces rapports d’activités.

Mon travail consiste à 35 % d’enseignement et d’activités pédagogiques, 30 % de recherches et 15 % d’administration. En termes d’enseignement, ma charge est de l’ordre de 350 à 450 heures par année, plus l’encadrement de thésards. Nos activites de recherches sont en grande partie jugée au niveau productivité en termes de publications dans des journaux scientifiques internationaux, avec comité de lecture. Dans le domaine de l’ingénieurie, deux à trois articles par an sont la norme dans les pays anglo-saxons.


* Enseignement et tâches administratives en Hongrie par Gabor Eröss

Sociologue hongrois, docteur de l’EHESS (Paris), je suis enseignant (à mi-temps) et chercheur (à temps plein), pas enseignant-chercheur, car ce statut en tant que tel n’existe pas chez nous. Quand on enseigne à l’université, on est certes censé faire de la recherche, et la plupart essaient d’en faire, mais cela reste secondaire tant les tâches d’enseignement pompent toute l’énergie, tant les charges administratives sont lourdes et les activités de recherche dévalorisées (du moins en sciences sociales).

A l’explosion des effectifs d’étudiants dans les années 90 répondait une contraction/stagnation des effectifs d’enseignants : on croule sous les copies. On est noté par les étudiants, mais les résultats restent confidentiels et il n’y a pas d’évaluation. Chercheurs ou enseignants, notre seule possibilité de faire de la recherche, ce sont les projets (appels d’offre) publics ou européens, car les instituts de recherche n’ont quasiment pas de budget recherche propre, pas plus que les universités. Dans les labos de l’Académie (équivalent du CNRS), tout comme dans les facs, on passe son temps à chercher des financements. Or, des institutions politiques disposent d’une part importante des ressources ; le champ scientifique n’est pas autonome. Par ailleurs, mon salaire net de chercheur s’élève à environ 450 euros par mois, mon salaire net d’enseignant à mi-temps à moins de 200 euros par mois.

* Un bureau par enseignant-chercheur ! au Royaume-Uni par VT

De retour en France depuis trois ans, j’ai auparavant passé cinq ans au Royaume-Uni comme enseignant-chercheur. Beaucoup de différences avec le système français : un salaire nettement plus important (même une fois pris en compte le coût de la vie plus élevé), moins d’heures d’enseignement mais surtout un bureau par enseignant-chercheur, des fonds de recherche pour se rendre aux grandes conférences internationales. Plus la possibilité pour ceux qui obtiennent des financements sur projets de "racheter" tout ou partie de ses heures d’enseignements.

Les conditions de travail sont bien meilleures même si les contraintes sont évidemment différentes. En raison du financement en partie fonction de l’évaluation de la recherche (pas au niveau individuel mais au niveau du département), pas de problème de "copinage" lors des recrutements. Mais aussi protection des jeunes arrivés (moins d’heures de cours, charges administratives réduites) pour leur laisser le temps de commencer à publier, partage des charges administratives en fonction de la recherche (ceux qui en font moins – voire pas du tout – ne sont pas isolés mais acceptent de faire plus de tâches administratives, ce qui fait que tout le monde contribue à la vie du département sous une forme ou sous une autre).


* Des conditions, en Allemagne, qui font la différence par Robin Baurès

En année post-doctorale en Allemagne, j’ai obtenu une bourse d’une fondation scientifique : aucun enseignement à faire, salaire double de ce que je gagnais en France, de l’argent pour financer mon matériel ou engager des étudiants pour réaliser les expériences à ma place. Tout mon temps peut être consacré à la recherche. Le rêve.

Les enseignants-chercheurs ont 4 à 8 heures d’enseignement par semaine. Qu’on dise que les chercheurs à l’étranger sont plus productifs qu’en France, soit, mais il faut voir les conditions de travail qui expliquent toute la différence ! Le revers de la médaille, c’est que, dans mon laboratoire, seul le directeur a un contrat permanent, les autres ont des contrats longue durée (3-6 ans), et doivent se démener pour trouver des financements régulièrement.