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Xavier Darcos n’est pas au bout de ses peines - V. Soulé, C’est classe !, Libéblogs, 21 mars 2009

dimanche 22 mars 2009, par Laurence

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Les crises, plus ça dure, plus c’est difficile d’en sortir. Valérie Pécresse en sait quelque chose. Elle aurait bien aimé que son décret relooké dénoue la crise. Raté. Maintenant c’est à Xavier Darcos d’en faire l’expérience avec ses annonces sur la réforme de la formation des enseignants : ça ne suffit pas.

Dans sa lettre de vendredi aux syndicats, le ministre fait un geste incontestable : il renonce à mettre en place ses nouveaux concours de recrutement dès 2010 et les reporte d’un an. C’était une demande quasi unanime, des présidents d’université, des universitaires mobilisés, des enseignants des IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres), etc.

Les autres points de la lettre - il y en a dix - sont plus confus. Il avance sur certaines choses - par exemple la première année, les nouveaux profs "stagiaires" ne seront plus à plein temps devant des classes, mais ils seront un tiers du temps en formation. C’est plus qu’initialement prévu mais moins qu’aujourd’hui.

Il ne bouge pas sur d’autres : il faudra un master pour se présenter au concours l’an prochain,mais avec des exceptions. En fait c’est souvent technique, voire byzantin, et on s’y perd un peu (lire ci-dessous l’analyse très claire de Sylvie Plane, professeure à l’IUFM de Paris).

En tout cas, c’est un pas qui a dû lui coûter. Xavier Darcos tient en effet énormément à cette réforme (la "masterisation" qui veut que chaque enseignant ait désormais un master pour être recruté). D’abord c’est Nicolas Sarkozy qui la lui a demandé. Et il aime à rappeler qu’il a une lettre de mission, avec une série de tâches à accomplir, et qu’il s’y tient - à l’origine, chaque ministre devait être évalué sur ce qu’il avait réalisé mais ça a l’air d’être tombé dans l’oubli.

Ensuite il assure que c’est une bonne chose pour les enseignants. La France se met au diapason de ses voisins européens qui, en majorité, demandent un master à leurs profs - l’argument est toutefois contesté, la situation en Europe serait plus diverse qu’il le dit.

Plus percutant, il souligne que c’est une juste reconnaissance d’un état de fait. Beaucoup d’enseignants ont déjà un bac plus cinq, surtout dans le secondaire, alors qu’ils sont recrutés au niveau licence (bac plus trois), sauf les agrégés. De plus, même en primaire, ils font au moins quatre ans d’études - la licence puis l’année de préparation au concours en IUFM.

Enfin, la réforme induit une revalorisation des traitements : un prof recruté à bac plus cinq commencera plus haut - c’était l’idée de Sarkozy : faire la masterisation "pour mieux les payer". Reste à s’assurer que cette "revalo" ne se limitera pas aux débuts de carrière.

Mais il y a aussi le non dit : les économies - 11200 suppressions de postes dans l’Education nationale l’an dernier, 13500 cette année, et en 2010 on devrait être dans les mêmes eaux. Or avec la réforme, l’année rémunérée des profs stagiaires - juste après la réussite au concours - saute. Une belle économie, même si on crée des bourses.

A l’automne, la plupart des syndicats étaient plutôt d’accord avec la réforme, en fait avec son principe : le recrutement des profs à bac plus cinq.

Mais l’hiver, tout s’est gâté avec sa mise en oeuvre. Des concours réformés à la va vite, des masters qu’il fallait préparer en deux mois, l’urgence pour que tout soit en place à la prochaine rentrée, des incompréhensions qui s’accumulent, et un soupçon qui s’installe : tout ça pour quoi, si ce n’est pour faire des économies ?

Après six semaines de mouvement, les protestataires n’ont pas envie de demies mesures. La coordination nationale des universités et plusieurs syndicats du primaire et du secondaire manifesteront donc le 24 mars.

PS : ci joint l’analyse de Sylvie Plane :

Point 1

Ouverture de discussions sur la place du concours … mais le ministère campe sur la position du concours en M2 (deuxième année de master), la discussion ne porterait que sur la place dans l’année de M2.
La place du concours en M2 avait été signalée comme un point d’achoppement fort, car la focalisation sur le concours mobiliserait toute l’énergie des étudiants, au détriment des autres aspects des études et de la formation. Certes ce risque serait minimisé si le concours était placé en début d’année, mais, même dans ce cas d’autres problèmes demeurent :
- à l’issue du concours, certains étudiants seront lauréats, d’autres non. L’organisation d’un cursus commun à cette double cohorte risque d’être délicate.
- on ne connaîtra le nombre d’étudiants reçus et le nombre d’étudiants collés qu’à l’issue du concours, or cette donnée est nécessaire pour l’organisation de la formation et en particulier des stages en responsabilité. Le problème sera surtout crucial pour les CAPES, CPE (conseiller principal d’éducation) , CAPLP (professeur en lycée professionnel), COP (conseiller d’orientation) car le nombre de lauréats par académie est imprévisible.
Conclusion : il n’y a pas véritablement d’espace de négociation : seul le mois du concours est proposé à la discussion, l’année du concours n’est pas soumise à discussion. Bref, l’année de M2 reste problématique

Point 2

Aucune précision technique (durée ? rémunération ? qui aura droit à ces stages ?...), donc aucune garantie.

Point 3

Rien de précis sur le dispositif annoncé
Maintien de la proposition d’aide sous forme de postes d’AED. Or ce type de poste est incompatible avec la poursuite d’un master et la préparation d’un concours
Conclusion : ce point n’apporte aucune information nouvelle, le ministère reste sur ses positions.

Point 4

Seul un tiers du temps de l’année de stage est prévu pour la formation.
Pendant très longtemps, la première année d’exercice les professeurs stagiaires assuraient un tiers de service et disposaient des 2 autres tiers de l’année pour se former et préparer leurs cours. La proportion serait donc inversée.
Conclusion : ce point n’apporte aucun élément nouveau, le ministère reste sur ses positions.

Point 5

Point positif : il est fait mention des maîtres-formateurs
Point ambigu : il n’est pas fait mention des IUFM
La notion de « tuteur » n’est pas définie.

Point 6

Le texte : annonce des négociations sur la revalorisation mais ne dit rien de précis,
Conclusion : ce point n’apporte aucune information nouvelle.

Point 7

Simple annonce de la prise en compte d’un thème de discussion
Conclusion : ce point n’apporte aucune information nouvelle.

Point 8 :

le ministère fait en sorte que la rentrée 2009 soit un bazar monstrueux !!!
Ce que le ministère présente comme une concession n’en est pas :
- l’autorisation de se représenter aux concours (ce qui n’est pas la même chose que l’autorisation de doublement) accordée aux candidats présents aux épreuves d’admissibilité n’est pas un cadeau, c’est un droit
Point éminemment problématique :
« pourront également se présenter aux concours de la session 2010, les étudiants inscrits en M1 à la rentrée universitaire 2009 »
- cela suppose que les masters soient mis en place dès la rentrée 2009. Autrement dit que les maquettes aient été déposées ou le soient dans 10 jours.
- or les maquettes déposées, et celles qui sont en cours d’élaboration, ont été établies à partir d’un cahier des charges prévoyant que le concours serait passé en M2 ( cette contrainte était d’ailleurs l’un des points les plus contestés !).
le ministère fait donc le forcing pour obtenir le dépôt des maquettes
Examinons la situation sans la penser en termes de concurrence, comme le ministère tente de nous le faire faire

On aurait à la rentrée 2009 :

- des établissements qui n’auraient pas déposé de master (en particulier les IUFM) et qui donc ne pourraient accueillir des étudiants préparant les concours. Les IUFM dans ce cas n’auraient comme étudiants à la rentrée 2009 que les lauréats des concours de cette année. Les universités intégratrices seront amenées à réorganiser profondément leurs services pour gérer cette difficulté.
- des établissements qui ont déposé les nouveaux masters, et qui avaient déjà des masters traditionnels. Dans ces établissements, certains étudiants d’une même filière passeraient le concours en M1, tandis que d’autres le passeraient en M2… on imagine la pagaille…
- des étudiants qui auraient des difficultés à s’inscrire à des préparations convenant à leur cas.
La situation serait dramatique pour la préparation au concours de professeurs des écoles et au CAPLP car les IUFM n’auraient pas de masters où les inscrire, et même si des universités proposent des masters préparant à ces concours, leur offre est très insuffisante, et inappropriée car elle prévoit que le concours se passera en M2.
- des étudiants qui prépareraient les concours en M1 et qui l’année suivante seraient disponibles pour leur master, condition indispensable pour être recrutée comme stagiaires, tandis que d’autres passeraient leur concours lors de l’année M2
Bref, sur une même académie des offres de master illisibles pour les étudiants

Point 9

Seul point vraiment positif de l’ensemble : le maintien des concours sous leur forme actuelle
Mais il manque le maintien des dispositifs de formation

Point 10

aucun changement par rapport aux mesures déjà annoncées

Conclusion d’ensemble :

La seule avancée est celle du maintien des concours sous leur forme actuelle. Mais elle n’est pas assortie des autres éléments qui permettraient la sortie de crise