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L’université cherche à aiguiller ses futurs étudiants - Louise Fessard, Médiapart, 15 avril 2009

jeudi 16 avril 2009, par Laurence

Interrogé en janvier 2009 sur France Culture sur ce qu’il fallait revoir au lycée, le directeur de Sciences-Po Paris, Richard Descoings, nommé à la tête d’une mission sur le lycée, avait répondu « premièrement, l’orientation ». « Il est incroyable que l’orientation se fasse par relégation », avait-il estimé en déplorant « la hiérarchie implicite, mais incroyablement forte et brutale, de l’orientation ».

Sans attendre la réforme du lycée repoussée à la rentrée 2010, les choses ont déjà commencé à bouger. Les entretiens personnalisés d’orientation devraient devenir plus systématiques en terminale et, dans le cadre du dispositif d’orientation active, les universités rendent désormais un avis consultatif sur les vœux émis par les lycéens suite à leur pré-inscription dans l’enseignement supérieur.

« Il est temps de mettre l’accent sur le lycée qui est un peu le parent pauvre de l’orientation », reconnaît un inspecteur de l’éducation nationale chargé de l’information et de l’orientation. L’enjeu concerne directement l’université qui, seule filière non sélective de l’enseignement supérieur, pâtit d’un trop grand nombre d’orientations par défaut des lycéens. Dès 2007, dans son plan « réussir en licence », Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, le constatait : un étudiant sur deux échoue en première année de licence (30% redoublent, 16% se réorientent et 6% abandonnent les études).

Pour beaucoup le problème vient du lycée, en amont. « On éviterait une bonne part des échecs par une bonne orientation préalable, explique Serge Leonardi, chargé d’orientation à l’université Paul-Cézanne d’Aix-en-Provence. La fac ne doit plus être le lieu où l’on va par défaut, il faut arriver avec un vrai projet professionnel. » La loi sur l’autonomie des universités du 10 août 2007, toujours très contestée, assigne en effet à l’université une troisième mission : l’orientation et l’insertion professionnelle.

Donc, retour aux lycéens. Depuis 2007, certaines académies ont mis en place l’orientation active qui devrait être généralisée en 2010. Jusqu’au 20 mars, les élèves de terminale qui le souhaitaient pouvaient demander, au moment de leur préinscription dans l’enseignement supérieur sur le portail admission post-bac, un avis des universités sur leurs vœux.

Faible succès de l’orientation active

Au vu de leurs notes, de leur parcours et de leur projet, un enseignant-chercheur, souvent le responsable pédagogique de la filière demandée, avait alors trois possibilités : donner un avis favorable, un avis avec recommandations ou préconiser une autre orientation. « Il ne s’agit en aucun cas de sélectionner les élèves, juste de les conseiller », rappelle Mireille Canalis-Durand, vice-présidente déléguée au soutien à l’étudiant à l’université Paul-Cézanne, d’Aix-en-Provence.

En 2009, seuls 128.000 des quelque 650.000 lycéens de terminales inscrits sur admission post-bac ont sollicité ce conseil (contre 90.000 en 2008). « Ce sont plutôt les élèves déjà bons, voulant être confortés, qui demandent nos conseils pour affiner leur projet, et pas ceux qui en auraient le plus besoin », regrette Mireille Canalis-Durand.

De fait, « l’objet de l’orientation active est clairement d’inciter les moins dotés en capital culturel, les bacheliers technologiques et professionnels, à ne pas aller en université », estime Jean-Claude Cavallo, directeur du centre d’information et d’orientation d’Aix-en-Provence. Alors que 86% des bacheliers généraux inscrits à l’université obtiennent un diplôme, universitaire ou autre, c’est le cas de seulement 36% des bacheliers technologiques, souvent orientés dans cette voie par défaut, faute d’avoir pu entrer dans les filières courtes qui leur sont pourtant destinées : STS (sections de techniciens supérieurs, préparant, dans les lycées, à un BTS) et IUT (instituts professionnels installés au sein de l’université).

Lors de l’accès à ces filières, ils se retrouvent en concurrence avec les lycéens généraux. « L’offre professionnelle leur apparaît comme rassurante car il y a une sélection et de nombreux stages », explique Marie Duru-Bellat sociologue, professeur à Sciences Po. Pour contrer cette évolution, les élèves qui ont obtenu la mention "bien" ou "très bien" au baccalauréat technologique bénéficient désormais d’une priorité dans les IUT et les STS (les décrets datent de 2007 et 2008).

Des réponses automatisées

Sans grand effet selon ce professeur d’économie-gestion qui explique sur un blog de L’Etudiant que les élèves obtenant de telles mentions étaient déjà « presque tous pris » et que le problème concerne les autres élèves. « Que croyez-vous qu’il se passe avec l’orientation active ?, demande-t-il. On dit à ces élèves moyens ou pas bons qu’ils n’ont pas le profil pour réussir en fac. On leur conseille donc de s’inscrire en BTS (rarement en IUT). Mais c’est oublier que c’est ce qu’ils ont fait, et s’ils demandent la fac, c’est après qu’on les a écartés de ces filières professionnelles courtes mais sélectives. »

Si la légitimité du dispositif fait cependant plus ou moins consensus, son application pose quelques problèmes. « Certaines universités se sont contentées de répondre de façon automatisée sans aucune personnalisation », regrette Annabelle Janodet, de l’Union nationale des étudiants de France (Unef). Mais quand celles-ci proposent des rencontres, ce sont parfois les lycéens qui ne se déplacent pas.

« C’est surtout une procédure Internet, remarque Laurence Mouret en charge de l’orientation active à l’université de Provence. Malgré nos invitations, nous avons du mal à entrer en contact avec les lycéens. » Même constat à l’université Paul-Cézanne où peu de lycéens se sont rendus aux rendez-vous proposés par les enseignants-chercheurs. Pour favoriser le contact entre lycéens et université, chaque année, à la rentrée, l’académie d’Aix-Marseille organise des visio-conférences permettant aux terminales de plusieurs lycées de poser des questions en direct (par tchat ou autre) aux enseignants-chercheurs d’un domaine.

« Tout ça prend du temps et demande une implication des enseignants, reconnaît Serge Leonardi. Mais il n’y a qu’en multipliant les échanges avec le secondaire pour apprendre à mieux se connaître qu’on arrivera à faire chuter l’échec en licence. » Car l’université n’a pas forcément bonne image auprès des enseignants du lycée qui privilégient parfois des voies plus sélectives comme les classes préparatoires.

« Les collègues du secondaire sont des rouages importants, note Dominique Viriot-Barrial, vice-présidente à l’université Paul-Cézanne. Or, quand ils accompagnent leurs élèves à l’université, ils sont parfois surpris de découvrir la diversité des métiers auxquels ouvrent nos formations. » D’ici la fin de l’année 2009, l’université devrait avoir calculé et affiché les taux d’insertion des anciens étudiants par diplôme. C’est d’ailleurs l’une des propositions du conseil d’orientation pour l’emploi. « Les futurs étudiants doivent pouvoir faire des choix plus éclairés, explique Marie-Claire Carrère-Gée, sa présidente. D’où la demande d’informations fiables sur les débouchés. »

Améliorer l’image de l’université

Depuis cette année, l’académie d’Aix-Marseille teste également une orientation active aux lycéens en classe de première. « Nous avions déjà déplacé les journées du futur bachelier de la terminale à la première, justifie Mireille Canalis-Durand. L’élève de terminale a la tête dans le guidon et n’est pas forcément disponible pour venir découvrir l’université. »

Selon une étude du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche datant de décembre 2008, le nombre de jeunes poursuivant des études supérieures devrait diminuer de 7% d’ici 2017. Les experts ont construit leur scénario prévisionnel en tenant compte de deux facteurs : un recul démographique qui pèsera jusqu’en 2012 et la baisse actuelle des poursuites d’étude après le bac.

Alors qu’aujourd’hui environ 40% d’une tranche d’âge obtient un diplôme du supérieur, l’objectif européen de 50% (repris par la loi d’orientation sur l’école de François Fillon en avril 2005) risque donc de ne pas être atteint.

Malgré ses efforts pour tenter d’améliorer son image, l’université serait particulièrement touchée avec 17% d’étudiants en moins. Les récents chiffres des admissions post-bac des lycéens franciliens confirment cette préférence pour les filières sélectives : même si l’ordre de leurs vœux peut encore changer, plus des deux tiers des 130.471 élèves de terminale désireux d’étudier l’an prochain dans les académies de Versailles, Créteil ou Paris ont demandé en premier lieu un BTS, un IUT ou une classe préparatoire.

« Quoique les jeunes soient évidemment tous contre les filières sélectives, ils se ruent dessus, constate Marie Duru-Bellat. L’université est un second choix. » Pour Mathieu Brunet, maître de conférences en lettres modernes à Aix-en-Provence, l’université aura beau multiplier les formations professionnalisantes, le jeu est de toutes façons faussé d’avance en faveur des filières sélectives, mieux dotées : « Le problème de l’échec des étudiants en première année est fondamentalement celui de la dualité de l’enseignement supérieur, université d’un côté, classes préparatoires et grandes écoles de l’autre, estime ce porte-parole de "Sauvons l’université". On nous donne une population plus difficile (moins favorisée socialement et culturellement, moins autonome), moins de moyens [un étudiant en deuxième cycle universitaire de droit ou de sciences économiques “coûte” 3.465 euros par an à l’Etat contre 13.170 euros en classe prépa, ndlr], moins d’heures de cours (16 heures en première année de licence contre trente en classe prépa) et on nous demande de faire aussi bien, c’est délirant ! »