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Les "trois vies" de Xavier Darcos à l’éducation nationale - Luc Cédelle, Le Monde, 23 juin 2009

mardi 23 juin 2009, par Laurence

A la faveur du remaniement du mardi 23 juin, Xavier Darcos quitte l’éducation nationale pour devenir ministre du travail. Dans son action à la tête de l’éducation nationale, on peut distinguer trois périodes successives, aux images contrastées : le protecteur des enseignants, le réformateur inflexible, le soldat sacrifié.

Le protecteur des enseignants a fait irruption avant même l’élection présidentielle, lorsque le futur ministre, dans un rapport remis en mars 2007 au futur président, recommandait à celui-ci d’annuler le décret par lequel Gilles de Robien tentait de réformer les obligations de service des enseignants. Une affaire mal engagée, estimait M. Darcos, qui se gardait bien, à l’époque, de fustiger le "conservatisme" des syndicats mobilisés contre ce décret.

Pendant l’été 2007, le ministre met en scène son bras de fer avec Bercy pour limiter le nombre des suppressions de postes en 2008 : le curseur s’immobilise sur onze mille deux cents et les syndicats, FSU en tête, lui sont reconnaissants d’avoir "limité les dégâts".

Après une première rentrée tranquille, marquée par l’invitation de M. Sarkozy, dans une lyrique "Lettre aux éducateurs", à s’engager vers une "nouvelle Renaissance", M. Darcos, agrégé de lettres classiques, ne manque pas une occasion de se présenter comme l’ami du corps enseignant.

Aux syndicats, tout en rappelant le caractère inexorable des suppressions de postes, il prodigue les marques de respect, soulignant qu’ils sont, comme lui, des "défenseurs de l’école de la République". Il place tous ses projets sous le signe de la concertation.

Réalistes, les syndicats s’abstiennent de rêver au grand soir et entrent dans le jeu des négociations, comme celle qui se profile avec la commission sur l’évolution du métier d’enseignant, présidée par le conseiller d’Etat Marcel Pochard.

Cette période va s’achever un peu brusquement, en suivant la courbe des sondages sur laquelle le président de la République et le gouvernement dégringolent. Les élections municipales de mars 2008 se présentant très mal, il leur faut, pour ne pas descendre plus bas, remobiliser d’abord leur électorat.

M. Darcos, qui alternait jusque là les propositions "clivantes" pour séduire la droite (par exemple, la perspective d’un service minimum) et "rassembleuses" (comme la mise en place de "l’accompagnement éducatif" dans les collèges après 17 heures) se met alors à privilégier les premières.

Il annonce en février 2008, toujours en phase avec le président, le projet d’instaurer dès la rentrée suivante de nouveaux programmes à l’école primaire, tandis qu’il n’évoquait jusqu’alors que des "ajustements".

Dès octobre 2007, il avait amorcé une réforme d’ensemble du primaire avec l’annonce de la suppression des cours du samedi à partir de septembre 2008. Les syndicats avaient accepté de s’engager dans ce processus, mais ils sont scandalisés par le "coup" des nouveaux programmes, alors que ceux en vigueur – largement approuvés – ne dataient que de 2002.

Progressivement, l’enseignement primaire, où aucun conflit n’était attendu, va ouvrir les hostilités, pendant que le secondaire remâche avec amertume les suppressions de postes.

Battu aux municipales, en mars 2008, le ministre perd sa mairie de Périgueux, mais sort transformé de l’épreuve. Le personnage qui s’affirme désormais est le réformateur inflexible, qui insiste sur sa proximité avec "les familles" et privilégie la mise en place du service minimum d’accueil – un projet de loi annoncé par le président le 15 mai 2008 au milieu d’une journée d’action syndicale très suivie.

M. Darcos va ensuite d’une annonce conflictuelle à l’autre : d’abord le projet de diminution, toujours dans le primaire, des réseaux d’aide aux élèves en difficulté (Rased), puis celui de supprimer les instituts universitaires de formation des maîtres à travers la réforme dite de la "mastérisation", devenue depuis un des motifs de la contestation universitaire.

Les syndicats réformistes, qui se jugent ainsi bafoués, durcissent le ton. En avril 2008, face à un mouvement lycéen, le ministre annonce à la surprise générale une réforme des lycées à l’horizon de septembre 2009. A l’été 2008, il assume le chiffre de treize mille cinq cents suppressions de postes à la rentrée 2009 en répétant qu’il ne s’agit que de "l’épaisseur du trait".

Sa deuxième rentrée est celle d’un ministre batailleur, allant jusqu’à déclarer en novembre que "les enseignants n’ont pas les syndicats qu’ils méritent".

Toutefois, il conserve à son actif la généralisation des dispositifs de soutien gratuits comme les stages de remise à niveau pendant les vacances et, pour le pouvoir d’achat enseignant, la distribution de certaines primes ainsi qu’un encouragement massif à recourir aux heures supplémentaires.

Dès novembre 2008, sur fond de crise économique, des lycéens manifestent contre la réforme en préparation, cette fois avec la bénédiction de leurs enseignants. L’Elysée, angoissé par l’exemple grec, craint les jeunes. Le 15 décembre, la réforme est reportée, puis retirée. Le ministre apparaît dans le rôle du soldat sacrifié.

Entre des syndicats exaspérés mais impuissants, des enseignants écœurés mais fatalistes, M. Darcos, marqué de près sur le lycée par Richard Descoings, le patron de Sciences Po, et Martin Hirsch sur la jeunesse, ne cache plus sa lassitude. Il s’installe dans le rôle du ministre "grillé" mais stoïque.

Luc Cédelle