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Mlle Obscure Précaire continue d’exercer son ministère, mais lance un ultimatum à Valérie Pécresse ! 30 juin 2009

mercredi 1er juillet 2009, par Laurence

Madame la Ministre,

Cela fait maintenant des mois que vous refusez d’entendre la contestation de la communauté scientifique et universitaire dont vous êtes pourtant, théoriquement, en charge. Vous nous donnez, dites vous, des preuves d’amour tous les jours – nous vous expliquons pourtant quotidiennement que «  pour l’amour vache, nous ne sommes pas des veaux ».

Alors que nous réclamons depuis des années un plan pluriannuel de création de postes dans l’enseignement supérieur et la recherche, vous créez un prix Claude Lévi-Strauss de 100 000 € récompensant « le meilleur » (courrier envoyé à vos personnels) chercheur en sciences humaines et sociales, masquant ainsi fort mal une politique sauvage de coupes budgétaires, mais illustrant fort bien l’idéologie de la concurrence qui l’accompagne, et que nous récusons avec la dernière vigueur.

Quand bien même le « plan Campus » suffirait à refaire ici ou là, dans quelques « pôles d’excellence », les peintures, et à remettre aux normes les systèmes de sécurité incendie de quelques universités, ou à faire qu’il ne pleuve plus dans les amphis (véridique !), ce ne serait certes pas lui qui garantirait la réussite de votre « Plan Licence », tant que ce dernier ne sera pas accompagné des recrutements d’enseignants à la hauteur de l’ambition affichée. Selon vos propres chiffres, 90 086 enseignants exerçaient dans les établissements publics d’enseignement supérieur en 2008.

Ils se répartissaient en trois catégories : les enseignants-chercheurs et assimilés (57 549), les personnels du second degré affectés dans l’enseignement supérieur (13 742) et les enseignants non permanents (18 795)
(Source : l’Etat de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, déc. 2008) .

Comment pouvez-vous prétendre sérieusement amener la France vers « une économie de la connaissance » - à supposer que l’on accepte l’expression, si contraire à la vertu démocratique, pourtant cardinale, de la gratuité des savoirs, de l’école « publique, gratuite, laïque et républicaine » - , avec un quart de personnels précarisés, parfois bien plus, sans parler de ceux qui sont employés en toute illégalité ou dans le plus complet bénévolat, et que vous ne pouvez ignorer ?

[*L’armée de l’ombre de l’Université*] et de la Recherche française, juridiquement et historiquement Une et Indivisible, sachez-le bien Madame la Ministre, en a assez. Sans elle, comme vous le savez bien, Madame la Ministre, la machine se bloquerait. Il en va de même au CNRS.

La restitution des postes 2010 et 2011 ne suffira pas au rattrapage du retard accumulé en matière de recrutements dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche, et vous le savez, Madame la Ministre. Ce n’est là que minuscule reculade concernant des mesures punitives, très loin des postes réclamés depuis des lustres par une communauté de plus en plus inquiète pour l’avenir du pays. Espérer que nous nous en satisferons est illusoire. Madame la Ministre, nous sommes trop dévoués à notre vocation, à nos étudiants et à nos recherches, pour l’avoir fait jusque là, mais s[*i tous les précaires employés par votre ministère illégalement déposaient simultanément des recours en Justice, il en serait fait de votre carrière… régionale comme nationale.
*]

Si tout allait bien dans le meilleur des mondes, Madame la Ministre, étant donné les salaires ridicules des chercheurs du public par rapport au secteur privé, un tel prix trouverait peut-être sa légitimité. Cela ne voudrait pas encore dire qu’un et un seul génie supposé pourrait avoir une et une seule géniale idée par an, comme si la recherche n’était pas affaire de coopération, de maturation, de réflexion dans la durée, de transmission d’une génération à l’autre, de multiples échanges, d’innombrables lectures, de travail parfois passionnant, souvent fastidieux et minutieux… d’héritage collectif, d’entraide et de conseils, de commentaires et de relectures, et enfin d’acharnement et de patience.

Mais comment osez-vous dans les circonstances actuelles et en menant la politique qui est la vôtre, prétendre revaloriser par ce prix l’ensemble des sciences humaines et sociales en France, qui sont si durement frappées, parfois très réellement menacées dans leur pérennité, par les réformes que vous menez ?

Quel que fût le talent du lauréat, annuellement, ses mérites, son œuvre et ses projets, n’est-ce pas faire porter beaucoup d’espoirs et une bien lourde charge sur ses seules épaules avec, « somme toute » en regard des enjeux pour la France, des moyens ridicules ?

Combien de fois nous faudra-t-il vous expliquer que [*le savoir n’est pas une marchandise et que l’université n’est pas une entreprise*] ?

Combien de jours, de semaines, de mois, de semestres, d’années, allons-nous perdre à vous répéter que [*la concurrence nuit gravement à la pensée*] ?

Combien de temps encore nous faudra-t-il vous répéter que lorsque l’on trouve, c’est qu’on ne savait pas ce que l’on cherchait, car si l’on trouve ce que l’on cherchait, c’est qu’on ne trouve rien ?

Madame la Ministre, nous le savons, nulle vertu pédagogique ne saurait faire boire un âne qui n’a pas soif. Entendrez-vous pourtant enfin que les règles d’évaluation de notre travail sont particulières, parce que notre travail est particulier ? Que nous avons besoins, non d’ « autonomie » dans la version autoritaire que vous nous proposez, mais de moyens et de la liberté d’en disposer ? Entendrez-vous enfin que [*la liberté de chercher suppose la liberté de penser*] ?

Madame la Ministre, réveillez-vous ! Pourquoi ne pas profiter, demain mardi 30 juin, de la remise des Prix Irène Joliot-Curie, pour [*annoncer le rattrapage des postes nécessaires à une réelle politique scientifique dans notre pays ? Pour proposer une révision de la LRU*], dont les universités qui l’expérimentent sont les premières à se plaindre ?

[*Soyez assurée, Madame la Ministre, que nous continuerons, longtemps après vous, d’exercer notre ministère de libres chercheurs, qui est un véritable sacerdoce, avec ou sans le soutien du vôtre. Vous seriez cependant bien avisée de prendre en compte nos revendications tant que vous occupez les fonctions qui sont les vôtres aujourd’hui, pour l’avenir commun de notre pays. Il en va de votre « Responsabilité ».*]

Comptant sur vous,

Le Comité de soutien de Mlle Obscure Précaire.

http://leprixcloclo.blogspot.com/