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Conclusions des Etats Généraux de la formation des enseignants - Claude Lelièvre, Blog de Médiapart, 29 septembre 2009

mardi 29 septembre 2009, par Laurence

Les Etats Généraux de la formation des enseignants [programme, note de SLU] ont débouché non seulement sur ce que l’on pouvait attendre, mais aussi sur des interrogations voire des propositions nouvelles. Le rapport de synthèse des Etats-Généraux de la formation des enseignants est rendu public ce mardi lors d’une grande séance à la Mutualité, après une ouverture par les présidents des institutions organisatrices, à savoir la conférence des présidents d’université et celle des directeurs des Instituts de Formation des Maîtres, ainsi que celles des directeurs d’UFR de lettres et des directeurs d’UFR de sciences.

Je suis aux premières loges puisque j’ai été invité à la table ronde chargée d’en rendre compte. On peut noter un quasi consensus sur le niveau requis du master et la nécessité de pérenniser les concours de recrutement, et même sur le principe de l’alternance. Mais si le principe est acquis, cette alternance entre théorie et pratique dans la formation professionnelle est conçue de façon assez différente selon les différents types de formateurs et selon les différents corps d’enseignants, surtout pour ce qui concerne les enseignants du primaire d’une part, et ceux du secondaire d’autre part, ce qui est le résultat d’une longue histoire.

Mais le plus intéressant et le plus significatif à mon sens, c’est que certaines interrogations voire propositions peu ou prou nouvelles sont parvenues à avoir droit de cité. L’une des propositions incontestablement les plus novatrices est que l’on permette d’entrer dans la formation professionnelle à des moments différents : avant l’entrée en master pour certains étudiants, à la fin du master pour d’autres, par des procédures de VAE ou de retour en formation pour des actifs déjà engagés dans d’autres activités professionnelles. Certains envisagent même qu’il puisse y avoir des modes d’accès - et cela toujours par concours- différents selon le moment de cet accès ( en n’hésitant pas à prendre le risque - si cela se multiplie - d’affaiblir la place des concours eux-mêmes ).

Nombre de contributeurs se prononcent pour une entrée en formation aux métiers de l’enseignement le plus tôt possible, certains dès l’entrée à l’université, beaucoup à tout le moins dès le stade de la troisième année de licence, par des dispositions particulières aménagées dans le cursus de la licence. C’est particulièrement le cas pour l’enseignement professionnel et aussi pour l’enseignement primaire. C’est ainsi que pourrait se dessiner en France un axe de formation selon le " modèle simultané " qui existe dans nombre de pays européens, en place du " modèle consécutif " très dominant en France jusque là. Je dois cependant à la vérité historique d’ajouter que ce " simultané" a existé un temps dans les écoles normales de la troisième République, de 1881 à 1905, puis durant l’entre-deux guerres à la suite du décret du 18 août 1920.

Ce décret réintroduit en effet la formation professionnelle dès la première année ( en répartissant les stages des élèves-maîtres sur les trois ans de scolarité après le brevet élémentaire), le brevet supérieur - du niveau du baccalauréat - restant l’unique sanction terminale. Les études portent la première année sur la pédagogie générale, en seconde année sur la pédagogie spéciale (celle des différentes " matières " ou " disciplines ") et en troisième année sur la morale professionnelle et l’administration scolaire ).

Plus significatif encore, à mon sens, nombre de contributeurs s’interrogent et font des propositions quant à la formation et au rôle des corps enseignants existants. Ainsi ( et la nouvelle concurrence annoncée avec d’autres modes d’accueil de la petite enfance n’y est certainement pas pour rien ), certains contributeurs considèrent qu’exercer en maternelle est un autre métier qu’exercer dans l’enseignement élémentaire, même si la plupart d’entre eux ne vont pas jusqu’à envisager deux corps enseignants distincts. Si c’était le cas, on devrait aussi promettre du " sang et des larmes ". Car les deux corps distincts ont existé au début de la troisième République ; et la rivalité avec les autre modes de garde de la petite enfance faisait que l’institutrice de maternelle avait dix heures de service par jour en hiver, douze en été ( contre six heures de classe par jour dans l’élémentaire). Cela a duré jusqu’à la Grande Guerre.

Si l’on peut considérer que les corps d’enseignants et les métiers de l’enseignement ne se recouvrent pas vraiment pour la maternelle et l’élémentaire, il peut en être de même pour ce qui concerne le collège et le lycée. Et d’autres rapprochements peuvent être pensés. C’est ce que dit explicitement l’une des contributions citées dans le compte-rendu des Etats Généraux : " La notion de socle commun fait évoluer les frontières entre les niveaux d’enseignement [...]. Il faut maintenant réfléchir à une formation PE/professeur de collège ; et à une formation de lycée/ premier cycle du supérieur ".

Dans ces conditions on ne s’étonnera pas que la plupart des contributions qui s’intéressent à l’agrégation mettent l’accent sur les publics spécifiques que les agrégés devraient encadrer (à savoir les lycéens et les étudiants post-bac) et sur leur formation fortement liée avec la recherche.

Pour mieux saisir la portée de ces interrogations et de ces propositions peu ou prou novatrices, il convient certainement de les replacer dans un contexte plus général. Il est en effet fort probable que la structuration actuelle, en France, des différents corps enseignants ne pourra plus durer très longtemps dans le cadre de la mondialisation , des comparaisons et des concurrences internationales.

Les comparaisons internationales du type PISA sont centrées sur les compétences acquises à la fin de l’Ecole obligatoire ; et elles vont revenir de façon récurrente pour interroger les politiques scolaires et les politiques tout court à ce niveau là. Par ailleurs, l’objectif fixé par nombre d’experts internationaux d’atteindre rapidement - dans quelques années seulement - le taux de 50% d’une classe d’âge qualifiée à bac+ 3, ainsi que la mondialisation accélérée des comparaisons et des échanges internationaux dans le domaine universitaire (et celui de la recherche) sont de nature à redistribuer les cartes et à bouleverser notre ‘’tectonique des plaques’’.

Le récent rapport des parlementaires sur le lycée - rédigé par Benoist Apparu - est très intéressant à cet égard. Certes, il a peu de chances d’être suivi dans l’immédiat. Mais il ne craint pas de prendre date pour l’avenir, et il est tout à fait significatif de ce qui apparaît déjà comme à l’ordre du jour, à savoir un bouleversement sans précédent des différents ‘’degrés’’ de notre système éducatif. Il est affirmé d’emblée dans ce rapport que " la segmentation du parcours scolaire et universitaire en primaire/secondaire/supérieur est dépassée ". " Une segmentation nouvelle s’impose. Elle est constituée d’un premier bloc composé de l’actuel primaire et d’une partie du secondaire, le collège, avec pour objectif 100% d’une classe d’âge à ce niveau. Un second bloc est constitué du lycée général et technologique et de la licence de l’enseignement supérieur. Ce bloc correspond à l’objectif dit de Lisbonne, à savoir 50% d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur. Et enfin un dernier degré, intitulé ‘’l’enseignement supérieur long, correspondant au master et au doctorat ".

On saisit qu’un tel bouleversement ne saurait être sans conséquence sur la définition et la place des divers corps d’enseignants ( professeurs des écoles, certifiés, agrégés ), et donc sur leurs statuts, leurs recrutements et leurs modes de formation. L’histoire de la réforme de la formation des enseignants est donc loin d’être terminée.