Prime - Barbara Cassin, « Le Libé des philosophes », Libération, 19 novembre 2009

Il faut dépenser. Urgent ! 4,5 millions d’euros, en primes, rien que pour nous, chercheurs du CNRS. Et nous osons protester ? Oui ! Il faut financer la recherche, c’est l’avenir du pays, mais pas comme cela. La logique de la prime n’a que des effets pervers. On nous demande de sélectionner des individus qui, pourtant, travaillent en équipe. Et comme nous ne savons pas sur quels critères (« excellents », ne le sommes-nous pas tous ?), on nous ordonne d’arroser là où c’est déjà mouillé : lauréats de l’European Research Council, Prix Nobel et prix L’Oréal, etc., sans aucun égard pour les disparités disciplinaires, ni pour les spécificités de l’organisation de notre recherche. Il faut s’aligner sur le management et la compétition qui règnent dans l’État et, croit-on, dans le monde. Mais entre les dérives du Crédit d’Impôt Recherche, dénoncées par la Cour des Comptes (un tiers des bénéficiaires a disparu dans la nature), et la politique des primes, la relance est un immense gâchis. Quand nous suggérons d’augmenter les salaires pour empêcher la fuite des cerveaux, ou de primer les nouveaux entrants qui viennent déjà d’être drastiquement sélectionnés, on nous prend pour des rêveurs ou pour des syndicalistes, alors que, du dedans, nous en appelons simplement, désespérément, au bon sens.

Barbara Cassin, directrice de recherche au CNRS