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Déclaration de l’Association Marc Bloch - 7 décembre 2009

lundi 7 décembre 2009, par Laurence

Marc Bloch a été l’exemple de l’intellectuel (du grand intellectuel) qui a décidé, à un moment crucial de sa propre histoire et de l’histoire de la France, de tout quitter, de tout sacrifier, pour les valeurs universelles qu’il défendait. Son patriotisme a été le patriotisme de l’action, de la lutte, du refus de l’occupation de sa patrie par une puissance militaire expansionniste. Ce n’était pas le patriotisme du repli, ni celui de la xénophobie, ni celui de la défense d’une « identité » étriquée, ni celui du refus de l’autre. C’était le patriotisme de l’opposition au racisme, à la ségrégation et à l’arbitraire ; le patriotisme d’affirmation de la fraternité entre les hommes, de la liberté de son peuple face à l’oppression et à la trahison, de l’égalité pour la construction d’une société nouvelle.

Son engagement était la prolongation naturelle des orientations qu’il avait suivies dans son métier, où il avait totalement ébranlé les habitudes et les archaïsmes de la vieille histoire traditionnelle. La revue qu’il avait fondée avec Lucien Fèbvre et avec d’autres compagnons de travail, les Annales, avait accompli, au cours des années 1930, une véritable révolution épistémologique et avait donné à l’histoire sa place centrale de discipline raisonnée et intégrale. L’histoire n’était plus confinée au passé, ni placée au rang des curiosités de l’antiquaire ou des nostalgiques des temps écoulés. Elle était devenue une discipline vivante, qui s’intéressait aussi au présent, qui cherchait à mieux comprendre le passé pour mieux connaître la vie actuelle, pour mieux aider les hommes dans l’organisation de l’avenir.

Pour lui, l’enseignement de l’histoire, étendu à toutes les couches de la société, faisait partie des orientations défendues dans les différents projets qu’il a pu ébaucher et mettre en pratique, y compris durant les moments les plus difficiles de la lutte contre l’occupant, où prédominaient davantage les considérations de tactique et de résistance. Il n’était nullement hostile à l’utilisation des leçons du passé pour orienter la vie future. Mais pas n’importe quelle vie et pas n’importe quelle utilisation.

Notre association a déjà combattu (et a obtenu des victoires) contre l’usage mercenaire et détourné de l’image et de l’exemple de Marc Bloch. Elle a empêché entre autres l’utilisation et le trafic des références à Marc Bloch effectués par des groupes politiques de circonstance, dont le but évident et avoué était de parer leur nationalisme réactionnaire de belles formules et de se trouver un ancêtre reconnu. Aujourd’hui, elle ne peut rester non plus indifférente devant l’usage des phrases et des citations de Marc Bloch, totalement dépouillées de leur contexte, que font de nos jours des autorités éminentes de l’Etat. Et ceci afin de défendre un repli hexagonal étriqué, dans le meilleur des cas, ou d’alimenter une campagne électorale, dans le pire des cas. Comme dans un passé récent, notre association ne peut que condamner fermement et déplorer ces manœuvres lamentables, d’où quelles viennent et quelque soit leur objectif.

Car il y a aussi une contradiction évidente et néfaste dans le comportement actuel de nos hommes politiques. D’un côté, on recherche des références politiciennes, à bon marché, auprès des historiens renommés, et d’un autre côté, on supprime l’enseignement de l’histoire dans certaines classes terminales, pour commencer. On est partant pour se servir de l’œuvre de nos historiens, en en vidant le sens premier, et en plaquant des phrases extraites, en prêt-à-porter, tout en éliminant ou en réduisant, en même temps, la nécessaire formation historienne des futures générations dans les lycées. De ce point de vue, et fidèle à sa vocation de défendre et de diffuser l’œuvre de Marc Bloch et de promouvoir la discipline historienne, notre association ne peut qu’exprimer sa nette solidarité avec les enseignants et leurs organisations dans leur opposition à une telle politique.

Loin des amalgames, des raisonnements rapides et des interprétations pressées, l’Association Marc Bloch poursuit son travail, sur les traces léguées par son fondateur, Etienne Bloch, afin de faire connaître l’œuvre de Marc Bloch, en particulier auprès des jeunes générations d’historiens, de faire lire Marc Bloch dans le texte et dans son contexte, et de faire vivre et de cultiver son exemple citoyen et les valeurs universelles pour lesquelles il a donné sa vie.

A Paris, le 07/12/09

Yves Bloch,
Instituteur,
Président de l’Association Marc Bloch (aMB)
marcbloch1@gmail.com