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Universités : l’union fait-elle la force ? - par Philippe Jacqué, Le Monde, 13 janvier 2010

mercredi 13 janvier 2010, par Elie

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"Nous voulons les meilleures universités du monde." Aux yeux du chef de l’Etat, université rime avec priorité. En présentant l’affectation des 22 milliards d’euros de l’emprunt national, le 14 décembre 2009, Nicolas Sarkozy a rassuré la communauté universitaire en lui réservant la moitié de cette manne (11 milliards d’euros), mais il l’a aussi un peu inquiétée en concentrant 7,7 milliards d’euros sur moins de dix campus d’excellence. Ces fonds permettront aux établissements d’obtenir chaque année 40 millions d’euros supplémentaires. De quoi, selon l’Etat, les armer dignement pour la compétition mondiale. Et surtout accélérer la transformation du système universitaire.

Depuis le début des années 2000, l’université a absorbé bien des réformes. Elle a fait évoluer son offre en diplômes en basculant dans le LMD puisque, désormais, les universités délivrent des licences (trois ans), des masters ( deux ans) et des doctorats (trois ans) sur le modèle européen.

A ce travail gigantesque, réalisé à moyens constants par les universitaires, a succédé la loi sur l’autonomie, votée en août 2007. Elle modifie l’organisation en profondeur, en renforçant le rôle des présidents, et les compétences des établissements. Cette fois, l’argent a accompagné la transformation puisque, depuis 2007, les budgets ont augmenté. Mais pas assez, au goût des enseignants-chercheurs. Les millions d’euros supplémentaires annoncés n’ont pas permis de rattraper trente ans de sous-investissement et les postes manquent.

Enfin, les universités ont été appelées à se regrouper et à coopérer non seulement entre elles, mais aussi avec les grandes écoles et les organismes de recherche. En 2006, la loi sur la recherche créait les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES). "L’idée était de trouver des synergies entre les différents dispositifs de formation et de recherche à l’échelle d’un territoire", rappelle l’un des rédacteurs de la loi.

Comme l’a montré le très critiqué classement de Shanghaï, si la France est une puissance scientifique de premier plan, ses universités restent quasiment invisibles au niveau mondial. Or, la norme internationale du supérieur est une université autonome réunissant toutes les disciplines (sciences exactes, médecine, droit, sciences humaines, etc.). En France, rares sont les universités qui réunissent aujourd’hui toutes ces dimensions. L’absence de moyens significatifs n’a pas aidé au développement de ces PRES.

L’opération Campus, dotée de 5 milliards d’euros de capital pour rénover les campus, a été la première "carotte" pour accélérer ces regroupements et les discussions entre établissements. Le grand emprunt vise au même but. "Plus que l’argent, qui reste nécessaire avant d’entrer dans un PRES, il faut se demander si cela peut renforcer le service public de l’enseignement supérieur. A Paris-VII, nous avons estimé que c’était le cas", explique Vincent Berger, son président.

FIGER UNE HIÉRARCHIE

Dans de nombreuses régions, que ce soit pour l’intérêt du service public ou l’accès aux financements, les universités ont avancé. Certaines ont d’emblée décidé de fusionner, à l’image de Strasbourg qui a marié ses établissements le 1er janvier 2009. Les quatre universités lorraines, les trois d’Aix-Marseille ou les trois de Montpellier veulent l’imiter en 2012.

Cependant, les PRES n’ont pas tous vocation à fusionner leurs établissements membres. Une université unique de 100 000 étudiants, notamment à Paris, serait ingouvernable et inutile, quand les meilleures universités mondiales accueillent de 10 000 à 20 000 étudiants, généralement en master ou en doctorat.

Se réunir pour mutualiser sur un même site certains services ou des formations doctorales, à l’image de l’université Paris-Est (rassemblant notamment Créteil, Marne-la-Vallée et les Ponts), voire des formations de niveau master, aurait parfois plus de sens. Les PRES se transformeraient ainsi en "graduate school", niveau master et doctorat des universités américaines, et rentreraient dans la compétition mondiale.

Favoriser avec l’emprunt une dizaine de PRES comporte des risques. Comme de figer une hiérarchie et d’"installer un cordon de sécurité autour de quelques institutions proclamées pôles d’excellence", explique Jean-François Méla, ancien président de Paris-XIII. Et puis, "est-ce que la concentration est indispensable à la recherche d’excellence ? Dans une discipline comme les mathématiques, elle ne l’est pas".

Au-delà du financement d’un système à deux vitesses, qui existe déjà dans les faits, le grand emprunt ne répond qu’à l’un des besoins de l’université, celui de "booster" sa recherche. En revanche, il ne dit pas comment conserver et renforcer les universités de proximité tout aussi utiles et essentielles au pays.