Accueil > Revue de presse > Thierry de Vulpillières : « Les Tice sont une réponse à la crise des systèmes (...)

Thierry de Vulpillières : « Les Tice sont une réponse à la crise des systèmes d’éducation » - Entretien réalisé par Louise Fessard, Mediapart, 10 février 2010

mercredi 10 février 2010, par Elie

Cet article est la troisième partie de l’enquête de Mediapart consacrée à "L’école à l’ère du numérique". Pour le lire sur le site de Mediapart. Pour lire la première partie. Pour lire la deuxième partie, la quatrième partie et la cinquième partie.

Directeur des partenariats éducation de Microsoft France, Thierry de Vulpillières est – on s’en doute – un ardent défenseur de l’introduction des technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement. Non pour « capter des acheteurs ou formater des utilisateurs », assure-t-il, mais parce qu’un système éducatif qui fonctionne bien, c’est une économie performante et « une économie performante consomme des logiciels ». Et le logiciel, c’est le « business » de Microsoft. Entretien.

La France est-elle si en retard sur les Tice ?

Aujourd’hui, la France a un taux d’équipement très faible. La moyenne d’âge d’un PC est de 7 ans et demi. C’est une moyenne, donc certains ont dix ans et sont dans les cartons. Et on se pose la question : faut-il un ordinateur pour cinq élèves ? Je demande : peut-on mettre cinq élèves sur un ordinateur ? C’est le stylo du XXIe siècle, il est polymorphe, il est individuel !

L’éducation est un secteur stratégique pour l’entreprise Microsoft ?
En France sur 1.000 personnes travaillant pour Microsoft, 20 à 30 s’occupent d’éducation, ce qui est peu. Mais c’est l’une des seules branches où existe un vice-président mondial. C’est un des domaines de priorité intéressant l’entreprise Microsoft. Tout ça n’est pas du mécénat. Si le système éducatif fonctionne bien, on aura une économie performante qui consomme des logiciels. Or notre business, c’est le logiciel.

Microsoft est encore très présent dans les établissements scolaires français. Mais la question s’est déplacée du système d’exploitation vers l’Internet. Sur ce qui est devenu le cœur de valeur dans la pédagogie, l’Internet, la part de marché de Google est bien plus importante.

On nous dit : « Si les enfants sont habitués à travailler sur Windows, ils continueront sur Windows : vous cherchez à capter des acheteurs ou à formater des utilisateurs. » Mais les jeunes d’aujourd’hui passent sans problème de la Game boy, à la Xbox et à la Wii. L’idée de migration technologique est peut-être vraie pour les cinquantenaires mais pas pour les digital natives qui n’en n’ont rien à faire. Un adolescent sur Internet utilise indifféremment plusieurs navigateurs. Ce préjugé est faux mais il force Microsoft à se battre sur la valeur ajoutée pédagogique que nous apportons.

Autant l’informatique a envahi les différents métiers et le monde professionnel, autant concernant l’éducation, on est seulement au début de quelque chose. La valeur ajoutée potentielle est énorme. Quasiment tous les systèmes éducatifs mondiaux se disent en crise. L’origine de cette crise est commune : ils se sont massifiés depuis la guerre et cette massification, qui est d’abord un formidable succès démocratique, a produit toute une catégorie de dysfonctionnements. Il existe de gros enjeux de réformes dans les systèmes éducatifs. Les Tice vont aider à mieux gérer cette individualisation et à mieux apprendre.

Comment ?

Les nouvelles technologies aident à personnaliser l’enseignement, et ce sur plusieurs points. Dans une classe, il y a des niveaux de connaissance divers. Comment gérer cette hétérogénéité ? Comment gérer le collège unique ? Prenons l’exemple d’un exercice de grammaire sur l’accord du participe passé. Dans un cadre classique, l’enseignant va identifier les élèves qui ont de mauvaises notes mais ne va pas connaître leurs difficultés précises. Le logiciel, lui, peut générer des exercices individualisés selon le type de difficulté rencontré par l’élève.

Les nouvelles technologies permettent aussi de s’adapter aux différents types d’apprentissage. Certains apprennent mieux en faisant, d’autres à l’oral ou à l’écrit. Les Tice apportent du multisensoriel : vidéo, texte, carte interactive, etc. Autre exemple, l’apprentissage des langues. Aujourd’hui au collège, on communique surtout sur des articles de presse. Or les langues s’apprennent en situation réelle. Il suffit d’une webcam et d’un chat pour jumeler une classe avec une classe étrangère.

Les Tice induisent-ils une certaine pédagogie, plus constructiviste comme on le sous-entend souvent ?
Vous ouvrez la boîte de pandore : les changements pédagogiques. Les Tice ne sont que des outils. Ils sont neutres. On peut très bien conserver le schéma traditionnel du cours magistral avec un vidéoprojecteur ou un tableau numérique interactif et un accès à Gallica (la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France, NDLR). Ou on peut, si on fait partie des tenants de l’autre scénario, utiliser les Tice non plus seulement pour transmettre des connaissances mais aussi des compétences : savoir parler en groupe, faire une recherche, trier l’information, etc.

Qu’attendez-vous du futur plan numérique de Luc Chatel ?

On se souvient du plan informatique pour tous de 1985 (Laurent Fabius, premier ministre, avait débloqué plus de 2 milliards de francs pour l’achat de 120.000 micro-ordinateurs et pour la formation de 110.000 enseignants, NDLR). Les mêmes machines pour tous, ça a un peu traumatisé ! Il y a une logique d’expérimentation permanente. Chaque ministre qui passe veut tester qui les ibooks, qui les visioconférences, mais ça ne change pas les pratiques. La situation de la France est réellement perturbante. Il y a encore des gens qui se posent la question : « Pourquoi faut-il des ordinateurs dans les écoles ? » quand le débat dans la plupart des pays étrangers est « Comment y aller plus vite ? »

A côté de ça, nous avons des enseignants bien équipés chez eux, avec du matériel pour lequel l’éducation nationale n’a rien payé. On a un potentiel énorme mais l’éducation nationale n’a pas investi dans la formation, ni dans la maintenance. Des collectivités locales investissent dans des parcs informatiques mais, quand ça pète, on ne sait pas qui appeler.

Le plan écoles numériques rurales est une excellente idée car il est complet : une connexion Internet préalable, un équipement, des chèques pour les ressources pédagogiques, une obligation de maintenance avec un responsable, des formations, du volontariat et non un package qui tombe du ciel, et enfin une pluralité, chaque école choisissant le matériel qui lui convient. Nous n’avons rien contre les appels d’offres nationaux mais ils peuvent restreindre la diversité de choix pour les acteurs.

Maintenant, nous aspirons à la duplication de ce plan au niveau du collège et du lycée comme nous le laissent espérer les initiatives de Luc Chatel et le grand emprunt.