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Le grand bricolage de la masterisation - Louise Fessard, Mediapart, 18 février 2010

jeudi 18 février 2010, par Elie

Cet article est le troisièmed’une série de trois consacrés à la situation "Un an après les grèves dans le supérieur ". Pour le lire sur le site de Mediapart. Pour lire le premier article consacré aux fusions d’universités. Pour lire le deuxième article.

Au fur et à mesure que les décrets tombent et que les détails de la réforme de la formation des enseignants se précisent, les oppositions s’accumulent. « Durant le seul mois de décembre 2009, 27 conseils d’administration d’universités, la Conférence des présidents d’Universités, plusieurs jurys de CAPES et d’agrégation, l’ensemble des syndicats et des associations ainsi que le CNESER (principal organisme paritaire de l’enseignement supérieur) ont rejeté les modalités de la masterisation retenues par le gouvernement », décompte le président de Sauvons l’université, Etienne Boisserie. Sans faire bouger le gouvernement d’un centimètre. Aussi la Coordination nationale des universités (CNU) a appelé, le 25 janvier 2010, les enseignants à ne « pas organiser ni préparer » la session des concours d’enseignants prévue à l’automne 2010.

Comment un principe aussi consensuel qu’une élévation du niveau de recrutement des enseignants (bac plus cinq au lieu de bac plus trois) a-t-il pu se transformer en une réforme conduite à vue et faisant l’unanimité contre elle ? Un simple exemple avec l’organisation de l’entrée dans le métier des nouveaux profs à la rentrée 2010, qualifiée de « montage ubuesque » par le Snes. Le ministère de l’éducation nationale avait prévu de mettre les lauréats des concours à temps plein devant une classe dès la rentrée, et ce, seuls et sans aucune préparation. Rétropédalage, devant la levée de boucliers, il envisage désormais de leur associer un tuteur qui assurera « jusqu’à six heures de cours en doublette avec le professeur stagiaire pendant les six à huit premières semaines », selon le Snes. Problème ce tuteur devra être remplacé dans sa propre classe par un enseignant remplaçant, ou, plus probablement compte tenu du déficit d’enseignants remplaçants dont les postes sont supprimés au fil des ans, un contractuel.

Une réforme « antisociale »

Alors que leurs prédécesseurs étaient affectés dans des établissements un tiers du temps et bénéficiaient, pour les deux tiers restants, d’une formation à l’IUFM, la proportion est inversée pour les nouveaux enseignants : deux tiers du temps devant les élèves, un tiers de formation à l’université. « Les nouveaux profs apporteront désormais 18 heures d’enseignement au lieu de 8 heures auparavant, c’est autant d’emplois supprimés sur le terrain ! », souligne Emmanuel Mercier, secrétaire national du Snes. Et au lieu d’être répartie sur l’année, cette formation pédagogique de 8 semaines sera « massée » au second semestre.

Ce qui permettra aux rectorats d’utiliser les stages des étudiants de master 2 volontaires pour remplacer les néotitulaires partis en formation. Dans une même année, certains élèves-cobaye auront donc face à eux un prof découvrant le métier puis un étudiant de master encore moins préparé !

« Le ministère envisage de se débarrasser de la formation professionnelle pour la placer avant le concours », constate Emmanuel Mercier. Seul hic, cette formation professionnelle a également été réduite à peau de chagrin dans le cursus des futurs profs. Les IUFM rayés de la carte, les aspirants enseignants seront formés à l’université dans des masters disciplinaires traditionnels, simplement adaptés à la marge et peu professionnalisants. Au cours d’une année de master 2 marathon, ils seront censés préparer et passer les concours de l’enseignement, effectuer un stage de six semaines en responsabilité (seuls devant une classe) tout en préparant leur master.

Mission impossible, crie la communauté éducative. « Dans les faits, on va vers un recrutement des profs à bac plus six ou sept, prévoit Pascal Maillard du syndicat de l’enseignement supérieur, Snesup-FSU. Personne ne peut préparer un master 2 en même temps qu’un concours aussi sélectif. L’augmentation du nombre d’années d’études est telle que cette réforme est antisociale. » De plus, le calendrier suprenant des concours de l’enseignement avec des épreuves d’admissibilité placées en début d’année (entre octobre et décembre 2010) interdit, selon la CNU, « de mettre en place une quelconque préparation de ces concours à partir de septembre 2010, et ce quels que soient la nature des épreuves et le contenu des programmes ».

Le seul gagnant de la réforme est au final le budget de l’Etat. La masterisation, en remplaçant l’année de fonctionnaire stagiaire par une année de master 2 non rémunérée, permet en effet de supprimer quelque 18.000 postes de fonctionnaires stagiaires. La manœuvre a été décrite dès novembre 2009 dans un rapport du député UMP Yves Censi.

Mais malgré l’unanimité du rejet, comme sur les autres réformes concernant l’université, une nouvelle mobilisation à l’image du long conflit de 2009 semble peu probable. « Il y a une grande fatigue, une indifférence de certains qui n’ont pas la volonté de reprendre un mouvement après l’échec du précédent », explique Pascal Maillard du Snesup-FSU. « Chacun est confronté dans son établissement à l’entrée en application de ces réformes, complète Mathieu Brunet, de Sauvons l’université. La capacité de mobilisation est absorbée par des luttes de résistance locale. »