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Formation des enseignants : les mystères de la mastérisation (1) D’une pierre trois coups, Luc Cédelle, blog "Interro Ecrite", 4 mars 2010

vendredi 5 mars 2010, par Mathieu

Quel que soit l’interlocuteur, à la seule condition qu’il ne soit pas en service commandé et dans les tout premiers cercles gouvernementaux, l’entrée en vigueur en septembre 2010 de la réforme de la formation initiale des enseignants mène à une série d’interrogations sur sa viabilité. « Catastrophisme, dont les milieux de l’éducation sont coutumiers », comme le suggère l’entourage du ministre de l’éducation ? La dramatisation est certes un réflexe bien ancré dans l’éducation nationale, mais il est rare qu’elle rencontre autant de constance et pareille unanimité.

Depuis la parution le 29 juillet 2009 des décrets mettant en place cette réforme, les deux ministères impliqués (ceux de l’éducation et de l’enseignement supérieur) ne cessent de rechercher des solutions destinées à compenser certains de ses effets prévisibles. Mais à chaque fois qu’un problème paraît en voie de règlement, un autre surgit. Le dispositif pour septembre n’étant toujours pas stabilisé, l’administration s’inquiète, tandis que les contestations continuent de s’accumuler.

Après une nouvelle série de rencontres début février avec les syndicats d’enseignants, le cabinet de Luc Chatel, ministre de l’éducation, a adressé le jeudi 25 février aux recteurs et inspecteurs d’académie une circulaire dite « de cadrage » sur l’organisation de la première année scolaire des nouveaux enseignants nommés à la rentrée 2010.

Ce texte marque une étape supplémentaire dans la réforme. Cependant, il continue de laisser dans l’ombre ou dans le flou les problèmes d’organisation les plus aigus, dont le règlement est confié aux rectorats. C’est même là, d’une certaine façon, sa principale caractéristique : le renvoi vers l’échelon des académies, précédant peut-être le renvoi par celles-ci vers les établissements d’enseignement, d’une série de décisions d’organisation que le ministère ne parvient pas à arrêter au niveau national.

Les pièces du puzzle

L’enseignement s’apprend-il principalement « sur le tas » ou bien une formation professionnelle liant théorie et pratique est-elle indispensable ? En décidant de reléguer la formation professionnelle au second plan tout en reconnaissant la nécessité d’une préparation minimale, le gouvernement a déclenché une cascade de problèmes dont la solution ne cesse de se dérober. Le pire, du point de vue de ses répercussions possibles sur l’opinion publique, est la perspective d’aggraver les insuffisances du remplacement des professeurs absents, alliée à celle de projeter dans les classes, pour des périodes de pleine responsabilité, de jeunes étudiants dépourvus de toute formation.

A mesure que s’approche, pour cette réforme, l’épreuve du terrain, les syndicats d’enseignants tentent à la fois de mobiliser leurs adhérents et d’alerter les familles sur ses conséquences possibles. Ils ont beaucoup de mal, notamment parce que cette réforme est aussi malaisée à contester qu’à expliquer : non seulement elle vient modifier un dispositif de formation des enseignants qui était déjà fort complexe et très jargonnant, mais elle n’a cessé d’évoluer au fil des mois, à chaque fois sur des points tellement techniques que seuls les négociateurs et les acteurs directs du dossier s’y retrouvent, au prix de mises à jour successives. Comme pour ajouter à cette incommunicabilité, cette réforme ne concerne pas la seule éducation nationale. Son impact est important sur l’université, où sont apparues les protestations les plus vives. Cerise sur le gâteau : ses opposants s’y opposent pour des raisons parfois opposées…

Je vais tenter ici, dans une série de billets, de rassembler toutes les pièces du puzzle.

Sus aux bastions du « pédagogisme »

A l’origine de ces difficultés, le bouleversement que cette réforme introduit dans l’architecture de la formation des maîtres, elle-même étroitement imbriquée avec la gestion des postes d’enseignants. Rappelons que cette réforme est appelée « mastérisation » parce qu’elle pose l’obtention d’un master 2 (M2) comme condition à la validation de tout concours d’enseignement. Cela revient à hausser au niveau bac + 5 la barre du recrutement, alors que l’inscription aux concours était jusqu’alors conditionnée à la détention d’une licence (bac + 3). Le paradoxe est qu’elle supprime pourtant une partie de l’actuel cursus des futurs enseignants. Il s’agit de l’année de formation en alternance, après l’obtention du concours. Durant cette année, qui s’effectue en institut universitaire de formation des maîtres (IUFM), les reçus aux concours sont fonctionnaires stagiaires, rémunérés 1300 euros nets par mois.

La dernière vague de ces élèves professeurs, qui effectuent environ 60% de leur temps de formation en IUFM et 40% dans les classes (en « pratique accompagnée » ou « en responsabilité ») est actuellement en formation, sur l’année scolaire en cours. Après, c’est fini. Les lauréats des concours, aussi bien du primaire que du secondaire, seront directement affectés à un poste, même s’il est prévu qu’un tiers de leur temps de service, la première année, soit consacré à acquérir une « formation complémentaire ».

La définition et l’organisation de ce tiers temps sont parmi les principales difficultés auxquelles se heurte aujourd’hui le gouvernement. Les problèmes affleurent dès le choix du vocabulaire, puisque le ministère de l’éducation préfère désormais utiliser les termes de « formation continuée » ou « continue », celle-ci étant juridiquement placée sous la responsabilité de l’employeur, alors que la loi d’orientation Fillon, d’avril 2005, toujours en vigueur, situe la formation initiale « au sein des IUFM ».

Le projet gouvernemental, assumé aujourd’hui par Luc Chatel après avoir été lancé fin mai 2008 par Xavier Darcos, son prédécesseur au ministère de l’éducation, faisait d’une pierre trois coups. Primo : honorer la promesse de campagne de Nicolas Sarkozy de hausser le niveau universitaire de recrutement des enseignants. Secundo : économiser des postes, en l’occurrence ceux des stagiaires IUFM dont la suppression couvre intégralement les 16 000 suppressions de postes annoncées pour le budget 2010. Tertio : marginaliser, voire supprimer, les IUFM.

Ces derniers sont en effet considérés dans les milieux gouvernementaux (mais aussi dans une partie de la gauche et chez de nombreux universitaires) comme des bastions du « pédagogisme », censé être la principale source des difficultés de l’école. En sautant l’étape de l’année de formation spécifiquement professionnelle sous l’égide de l’IUFM, les nouveaux enseignants, dans l’esprit des promoteurs de la réforme, bénéficieraient d’une meilleure formation, dite par « compagnonnage », c’est-à-dire sur le terrain et au contact de collègues « chevronnés ».

« Des frites dans l’huile bouillante »

Dès le départ, le ministère Darcos a néanmoins voulu couper court aux reproches prévisibles sur le thème de l’impréparation des nouveaux enseignants voués à passer directement du concours à la salle de classe : « Nous n’allons pas, disait le ministre, les lâcher comme des frites dans l’huile bouillante ! » Pour cela, la logique suivie dans l’élaboration de la réforme a consisté à renforcer, dès le début du cursus universitaire, les phases d’initiation au métier : stages dans des établissements scolaires, modules de découverte du système éducatif, etc.

Cette dimension d’initiation existe déjà dans le cadre de l’ancien système, à partir de la licence et à l’intention des étudiants se destinant à l’enseignement. Mais la perspective du recrutement au niveau M2 (sous réserve de réussir le concours) a conduit à vouloir inclure dans les masters un important volet « professionnalisation », aboutissant à construire des « masters d’enseignement ». Ceux-ci peuvent être de deux sortes : soit généralistes dans la perspective des concours de professeur des écoles, soit disciplinaires pour les concours du second degré. Toutefois, aucun de ces masters professionnels ne sera obligatoire pour devenir enseignant. N’importe quel M2 dans n’importe quelle discipline peut permettre de passer un concours de recrutement… et de se retrouver aussitôt après devant des élèves.

Imaginé pour remettre de la professionnalisation, mais dans un style différent, dans les cursus des futurs enseignants là où la réforme commençait par en enlever, ce projet de masters d’enseignement a eu un impact désastreux sur la communauté universitaire et a ouvert le premier front d’opposition à cette réforme. Beaucoup d’enseignants-chercheurs, confrontés dans certaines matières (notamment langues et sciences humaines) à une chute de leurs effectifs d’étudiants y ont vu une promesse d’arrêt de mort de leurs masters centrés sur la recherche et considérés par eux comme la première étape vers le doctorat.

Leur raisonnement est que, dans un marché de l’emploi déprimé, les étudiants vont se ruer sur les masters à dominante enseignement, plus « vendables » et plus aptes à une réorientation en cas d’échec au concours, et vont déserter les masters recherche, les seuls « vrais » selon les critères universitaires traditionnels. Par ailleurs, les universitaires, dont certains ne sont pas pour rien dans le dénigrement subi ces dernières années par les IUFM, ne sont généralement pas intéressés en tant que chercheurs aux problématiques de didactique et d’épistémologie de leur discipline, qui pourraient nourrir utilement des masters professionnels.

« Sur un champ de ruines »

Un autre aspect auquel une partie du monde universitaire est sensible est l’avenir de l’agrégation, dont la position dans le nouvel édifice est bancale. S’inscrire au concours de l’agrégation exigeait en effet jusqu’à présent un bac + 4, soit l’équivalent de l’ancienne maîtrise. Si le recrutement est désormais conditionné à un bac + 5, l’agrégation, même si elle reste un concours difficile par sa sélectivité et la nature de ses épreuves, se voit en partie « rabaissée » au niveau des Capes.

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