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Les cadres de l’éducation sont en pleine « crise de confiance » - Louise Fessard, Mediapart, 3 septembre 2010

vendredi 3 septembre 2010, par Mathieu

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Alors que Luc Chatel, ministre de l’éducation, navigue selon le sens du vent, une fois sur l’automaticité des sanctions en cas de violence verbale ou physique, une autre sur les rythmes scolaires et l’expérimentation du « cours le matin, sport l’après-midi », le Snes appelle à la grève le lundi 6 septembre (juste après la rentrée). Le principal syndicat du secondaire crie ni plus ni moins au « point de rupture face à l’effet cumulatif des suppressions de poste (16.000 cette rentrée, ndlr) et de réformes mal conçues (notamment la réforme du lycée et de la formation des enseignants, ndlr) ».

Pour leur part, les corps d’encadrement de l’éducation nationale, d’habitude plus discrets, haussent le ton. Chefs d’établissements d’un côté, inspecteurs de l’éducation nationale de l’autre : ces voix, insolites dans le brouhaha médiatique de la rentrée, portent des analyses parfois radicalement différentes, mais partagent une même inquiétude face à l’accélération des réformes, conçues dans l’urgence et sans concertation.

« La loyauté à l’égard de l’institution ne veut pas dire l’aveuglement », cadre Patrick Roumagnac, secrétaire général du principal syndicat d’inspecteurs de l’éducation nationale, le SI.EN-Unsa, qui a exceptionnellement organisé une conférence de presse le 30 août. Signe de cette évolution, le SI.EN-Unsa vient de faire un geste envers les enseignants désobéisseurs du primaire qui refusent d’appliquer la réforme de l’école primaire de 2007, et notamment les deux heures d’aide personnalisée. Pas encore l’amour fou, mais « nous sommes prêts aujourd’hui à trouver un terrain d’entente car nous partageons la même préoccupation d’améliorer la réussite des élèves », annonce Patrick Roumagnac. Il doit rencontrer dans les prochains jours l’instituteur Alain Refalo, chef de file de ces « résistants » et sanctionné à trois reprises par son inspection académique toulousaine.

Les critiques des corps d’encadrement se concentrent sur la réforme de la formation des enseignants « qui percute tout le système de la maternelle à la terminale » et « va mobiliser les conseillers pédagogiques et inspecteurs auprès des enseignants débutants au détriment de la formation permanente de ceux déjà dans le métier », selon Patrick Roumagnac, ainsi que sur les suppressions de poste qui « plombent toutes les réformes, même celle plutôt positive du lycée », regrette Philippe Tournier, secrétaire général du syndicat des chefs d’établissement, le SNPDEN.

Pressions politiques

En juin 2010, un courrier du ministère indiquant aux recteurs treize pistes pour supprimer des postes, dont une augmentation de la taille des classes, avait déjà largement fuité sur le site du Café pédagogique, signe « de larges remous dans l’encadrement de l’éducation nationale » selon le site spécialisé. « Quand le ministère affirme qu’on va faire mieux tout en réduisant les moyens, on nous prend vraiment pour des idiots, s’exclame Patrick Roumagnac. Le gouvernement pourrait au moins présenter les réformes comme une conséquence des restrictions budgétaires, en assumant la dégradation des conditions de scolarisation. »

« Dès qu’une mesure est annoncée, chacun cherche à savoir quels postes sont visés derrière, ce qui renforce les réactions conservatrices », soupire Philippe Tournier, par ailleurs entièrement d’accord avec l’idée de Luc Chatel de donner « plus de responsabilités aux chefs d’établissements. » « Nous partageons l’analyse selon laquelle une partie du blocage du système est liée à sa gouvernance, à l’absence de management pédagogique, mais on ne fait pas de grandes réformes dans la pénurie », estime-t-il en s’appuyant sur l’exemple de l’ex-premier ministre Tony Blair qui mena sa réforme du système scolaire britannique tambour battant de 1997 à 2007, « dans une débauche de crédit et sans une seule grève pendant dix ans ».

S’il applaudit donc des deux mains la possibilité pour les principaux des collèges les plus difficiles (réseau Clair) de recruter eux-mêmes leurs enseignants, Philippe Tournier est plus que « dubitatif » face à l’ouverture en septembre d’une dizaine d’établissements de réinsertion scolaire regroupant les collégiens « particulièrement perturbateurs ». « Dans les années 1930, on a dû fermer les maisons de redressement où on stockait les apaches qui terrorisaient les faubourgs, car elles étaient devenues des foyers de délinquance, rappelle-t-il. De plus, nous sommes en plein Foucault avec cette mise à l’écart de populations, implicitement considérées comme irrécupérables. »

Plus fondamentalement, Patrick Roumagnac évoque « une crise de confiance » des corps d’encadrement, pris entre le marteau et l’enclume. « Les inspecteurs de l’éducation nationale ont de plus en plus de difficultés à communiquer avec la hiérarchie (directions des services départementaux de l’éducation et rectorats), celle-ci recevant elle-même beaucoup de pressions, notamment politiques », dit-il.

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Alors que Luc Chatel, ministre de l’éducation, navigue selon le sens du vent, une fois sur l’automaticité des sanctions en cas de violence verbale ou physique, une autre sur les rythmes scolaires et l’expérimentation du « cours le matin, sport l’après-midi », le Snes appelle à la grève le lundi 6 septembre (juste après la rentrée). Le principal syndicat du secondaire crie ni plus ni moins au « point de rupture face à l’effet cumulatif des suppressions de poste (16.000 cette rentrée, ndlr) et de réformes mal conçues (notamment la réforme du lycée et de la formation des enseignants, ndlr) ».

Pour leur part, les corps d’encadrement de l’éducation nationale, d’habitude plus discrets, haussent le ton. Chefs d’établissements d’un côté, inspecteurs de l’éducation nationale de l’autre : ces voix, insolites dans le brouhaha médiatique de la rentrée, portent des analyses parfois radicalement différentes, mais partagent une même inquiétude face à l’accélération des réformes, conçues dans l’urgence et sans concertation.

« La loyauté à l’égard de l’institution ne veut pas dire l’aveuglement », cadre Patrick Roumagnac, secrétaire général du principal syndicat d’inspecteurs de l’éducation nationale, le SI.EN-Unsa, qui a exceptionnellement organisé une conférence de presse le 30 août. Signe de cette évolution, le SI.EN-Unsa vient de faire un geste envers les enseignants désobéisseurs du primaire qui refusent d’appliquer la réforme de l’école primaire de 2007, et notamment les deux heures d’aide personnalisée. Pas encore l’amour fou, mais « nous sommes prêts aujourd’hui à trouver un terrain d’entente car nous partageons la même préoccupation d’améliorer la réussite des élèves », annonce Patrick Roumagnac. Il doit rencontrer dans les prochains jours l’instituteur Alain Refalo, chef de file de ces « résistants » et sanctionné à trois reprises par son inspection académique toulousaine.

Les critiques des corps d’encadrement se concentrent sur la réforme de la formation des enseignants « qui percute tout le système de la maternelle à la terminale » et « va mobiliser les conseillers pédagogiques et inspecteurs auprès des enseignants débutants au détriment de la formation permanente de ceux déjà dans le métier », selon Patrick Roumagnac, ainsi que sur les suppressions de poste qui « plombent toutes les réformes, même celle plutôt positive du lycée », regrette Philippe Tournier, secrétaire général du syndicat des chefs d’établissement, le SNPDEN.
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Pressions politiques

En juin 2010, un courrier du ministère indiquant aux recteurs treize pistes pour supprimer des postes, dont une augmentation de la taille des classes, avait déjà largement fuité sur le site du Café pédagogique, signe « de larges remous dans l’encadrement de l’éducation nationale » selon le site spécialisé. « Quand le ministère affirme qu’on va faire mieux tout en réduisant les moyens, on nous prend vraiment pour des idiots, s’exclame Patrick Roumagnac. Le gouvernement pourrait au moins présenter les réformes comme une conséquence des restrictions budgétaires, en assumant la dégradation des conditions de scolarisation. »

« Dès qu’une mesure est annoncée, chacun cherche à savoir quels postes sont visés derrière, ce qui renforce les réactions conservatrices », soupire Philippe Tournier, par ailleurs entièrement d’accord avec l’idée de Luc Chatel de donner « plus de responsabilités aux chefs d’établissements. » « Nous partageons l’analyse selon laquelle une partie du blocage du système est liée à sa gouvernance, à l’absence de management pédagogique, mais on ne fait pas de grandes réformes dans la pénurie », estime-t-il en s’appuyant sur l’exemple de l’ex-premier ministre Tony Blair qui mena sa réforme du système scolaire britannique tambour battant de 1997 à 2007, « dans une débauche de crédit et sans une seule grève pendant dix ans ».

S’il applaudit donc des deux mains la possibilité pour les principaux des collèges les plus difficiles (réseau Clair) de recruter eux-mêmes leurs enseignants, Philippe Tournier est plus que « dubitatif » face à l’ouverture en septembre d’une dizaine d’établissements de réinsertion scolaire regroupant les collégiens « particulièrement perturbateurs ». « Dans les années 1930, on a dû fermer les maisons de redressement où on stockait les apaches qui terrorisaient les faubourgs, car elles étaient devenues des foyers de délinquance, rappelle-t-il. De plus, nous sommes en plein Foucault avec cette mise à l’écart de populations, implicitement considérées comme irrécupérables. »

Plus fondamentalement, Patrick Roumagnac évoque « une crise de confiance » des corps d’encadrement, pris entre le marteau et l’enclume. « Les inspecteurs de l’éducation nationale ont de plus en plus de difficultés à communiquer avec la hiérarchie (directions des services départementaux de l’éducation et rectorats), celle-ci recevant elle-même beaucoup de pressions, notamment politiques », dit-il.

Accélération des réformes

Malgré la reprise apparente du dialogue avec le ministre de l’éducation, Luc Chatel, unanimement salué comme plus ouvert que son prédécesseur Xavier Darcos, « les réformes se préparent dans le plus grand secret de la hiérarchie, on évoque des consultations mais elles s’arrêtent au niveau des inspecteurs d’académie », regrette Patrick Roumagnac.

« Le ministère fait fi de l’expertise des acteurs de terrain, enseignants, chefs d’établissement, inspecteurs », renchérit Michel Gonnet, secrétaire général du syndicat national des personnels d’inspection (SNPI-FSU), qui décrit « le passage à un fonctionnement pyramidal descendant ». « Alors que la réforme des programmes du primaire en 2002, par exemple, avait fait l’objet de longues concertations et de différentes versions pour aboutir à un consensus, les réformes actuelles sont menées au pas de charge, dans la précipitation », décrit-il. Et de railler : « La seule fois qu’on a sollicité notre imagination, et encore, ça a été sur les moyens de supprimer des postes ! »

Assouplissement de la carte scolaire dès la rentrée 2007, réforme de l’école primaire, de la formation des enseignants, puis du lycée, mise en place d’un accompagnement éducatif, de stages de remise à niveau en primaire et au collège, de stages d’anglais au lycée, états généraux de la sécurité à l’école, expérimentation d’établissements Clair destinés à remplacer les ZEP sans même un bilan de ces dernières, expérimentation du « cours le matin, sport l’après-midi » sans attendre les conclusions de la commission sur les rythmes scolaires nommée au printemps, création d’internats d’excellence, d’établissement de réinsertion scolaire, généralisation du livret de compétence au collège, etc. : « Tout doit être fait tout de suite, on doit voir les résultats dans les trois mois et, si ce n’est pas le cas, dire qu’on les voit tout de même », dénonce Patrick Roumagnac. Et tant pis si les rapports qui permettraient des ajustements tardent.

Les dernières prévisions d’effectif d’élèves publiées par le ministère de l’éducation (qui prévoyaient une remontée des effectifs dès 2010) remontent ainsi à avril 2007. Lassé d’attendre un enquête du ministère sur les effets de l’assouplissement de la carte scolaire, le SNPDEN avait même effectué la sienne en mars 2010, concluant à une aggravation de la situation des établissements de ZEP ainsi qu’à une déstabilisation des établissements moyens.

Ce qui n’empêche pas le ministère de l’éducation d’affirmer, lors de cette rentrée 2010, que « le dispositif contribue à réduire les inégalités » puisque « le nombre de demandes de dérogations est en augmentation et atteint en 2010 environ 11% des élèves entrant en sixième et en seconde ». La logique est stupéfiante : le ministère se félicite que de plus en plus d’élèves cherchent à fuir l’établissement public de leur quartier. Patrick Roumagnac y voit « une confusion de plus en plus grande entre le registre du pédagogique et du politique ». Quand à Philippe Tournier, il s’agace des volte-face médiatiques de Luc Chatel. « Nous sommes le seul pays d’Europe où on commence à parler de sanctions qu’on va donner aux élèves, avant même qu’ils ne soient rentrés », s’amuse-t-il.