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De l’ouverture sociale à Henri IV. Retour sur l’expérience de la Classe Préparatoire à l’Enseignement Supérieur, par Olivier Coquard, "La vie des idées", 14 septembre 2010

mardi 14 septembre 2010, par Martin Rossignole

Olivier Coquard, professeur au lycée Henri IV, revient ici sur la création d’une classe préparatoire destinée à accueillir des étudiants dotés d’un capital culturel inférieur à ceux des « héritiers » qui fréquentent d’ordinaire ce prestigieux lycée. Un document en forme de retour sur une expérience au cœur des tensions de l’élitisme méritocratique à la française.

Depuis les années 1980, de nombreux travaux, initiés par les recherches emblématiques de Pierre Bourdieu, ont mis en évidence la difficulté croissante, pour les jeunes issus des milieux sociaux et culturels les moins favorisés, d’entrer dans les écoles les plus prestigieuses, publiques ou non : ENA, ENS, X, HEC, IEP par exemple semblaient interdits de fait à ceux qui n’avaient pas, en dehors de l’école, bénéficié d’un environnement spécifique. Non seulement ces grandes écoles étaient devenues inaccessibles, mais en plus, les classes préparatoires à ces grandes écoles (ci-après CPGE) devenaient elles aussi des lieux où seuls des privilégiés de la culture et de la société pouvaient entrer et s’épanouir.

L’entreprise d’ouverture sociale à l’IEP de Paris, largement médiatisée à partir de 2001, favorisa de nombreux autres projets : au lycée Henri IV, une expérience fut proposée après la publication d’un texte dans Le Monde, préparé par Pascal Combemale et cosigné par l’auteur des présentes lignes. Professeurs tous deux dans l’un des symboles du système des classes préparatoires, envoyant un nombre conséquent de nos étudiants dans les grandes écoles précitées, nous constations, depuis que nous avions commencé à enseigner en CPGE, une vraie diminution du nombre de nos étudiants d’origine modeste. Plus grave encore, nous constations aussi que les rares qui suivaient notre enseignement ne parvenaient pas, sauf rarissime exception, à intégrer les plus grandes écoles, quelles que soient leurs qualités propres et quels que soient nos efforts. Notre texte fit quelque bruit et permit l’élaboration d’un projet de classe intermédiaire de compensation entre la terminale et la première année de classe préparatoire. Il s’agissait de proposer une remédiation à ce déficit culturel et social dont pâtissent les étudiants issus des milieux les moins favorisés. Immédiatement soutenu par Patrice Corre, proviseur du lycée, ainsi que par certains de nos collègues, le projet ardemment appuyé par le recteur de Paris, M. Maurice Quenet, et validé par le ministre Jack Lang dès 2001, dut cependant attendre l’automne 2005 pour recevoir, sous l’impulsion directe du premier ministre Dominique de Villepin, sa concrétisation : très rapidement, la Classe Préparatoire aux Etudes Supérieures (CPES) fut élaborée, autour du projet initial modifié et étoffé. Á l’origine établi pour des étudiants se destinant plutôt aux études littéraires et commerciales, il fut enrichi par l’intégration des étudiants s’orientant vers les différentes filières des CPGE scientifiques. L’appui du ministère attira d’autres soutiens, essentiels : ceux de ce qui était alors la Délégation Interministérielle à la Ville et ceux de nombreuses fondations d’entreprises et entreprises.

La première promotion de la CPES entra donc au lycée en septembre 2006. Depuis, trois autres promotions se sont succédées. Des élèves issus des premières promotions de la CPES sont entrés à l’X, à l’ENS, dans de grandes écoles commerciales également. D’autres projets, directement inspirés par la CPES ou parallèles, ont pu être développés ou confirmés comme c’est le cas entre autres à Marseille, Bordeaux (deux classes d’esprit assez proches y existaient depuis 2001), Metz, Nantes, Nîmes ou encore dans les lycées militaires. Enfin – et c’est peut-être la réussite la plus considérable de notre point de vue – la CPES a permis l’accélération d’une réouverture sociale des classes préparatoires aux étudiants issus des milieux les plus modestes. En quelques années, la proportion des boursiers dans les CPGE du lycée Henri IV est passée de moins de 10% à 30%, soit en chiffres bruts d’à peine 80 à plus de 250 entre la rentrée 2005 et la rentrée 2009. L’effet mécanique de la montée des CPES en CPGE classique s’est combiné avec l’idée devenue plus naturelle, pour des candidats issus des milieux les plus modestes et/ou venus de lycées plongés au fond des détestables classements annuels, qu’ils pouvaient, avec de bons résultats, espérer entrer dans les établissements les plus réputés : cette idée-là avait eu largement tendance à disparaître, une sorte d’autocensure aggravant le phénomène de discrimination sociale dans les CPGE. Un autre facteur externe a joué aussi, d’ailleurs relativement indépendant du projet de la CPES : c’est l’élargissement des critères d’attribution des bourses, avec récemment l’introduction de la bourse « à taux 0 » qui permet à des étudiants issus de classes moyennes, culturellement plus favorisées, d’accéder au statut de boursier.
Les quatre piliers pédagogiques de la CPES

Le fonctionnement pédagogique de la CPES repose sur quatre piliers : l’enseignement classique ; le tutorat ; l’accompagnement culturel ; les stages. Ces quatre formules sont adaptées aux trois filières de formation proposées aux étudiants de la CPES : filière littéraire (préparant à l’entrée dans les classes de Lettres Supérieures A/L et Chartes), filière économique (classes de Lettres Supérieures B/L, Prépa ECE et ECS), filière scientifique (filières de Mathématiques Supérieures). Chaque filière est coordonnée par un professeur qui dispose, pour ce travail, d’une heure hebdomadaire dans son service. L’enseignement classique représente, selon les cas, plus ou moins trente heures hebdomadaires de cours dispensés par des professeurs, à l’origine tous volontaires, et pour la plupart enseignant parallèlement dans les CPGE traditionnelles du lycée Henri IV : PC*, Premières Supérieures A/L, B/L, Lyon, Prépa-ECE et ECS par exemple. Quelques collègues venus du second cycle complètent l’équipe pédagogique et, au total, ce sont près d’une trentaine de collègues qui se sont impliqués dans ce projet, soit directement, soit en participant à l’élaboration des programmes disciplinaires. En effet, pour chaque discipline, un programme spécifique a été élaboré, souvent en concertation avec l’inspection générale concernée. L’objectif de cet enseignement classique est de combler des lacunes souvent déterminantes pour la réussite en CPGE : l’écart entre les exigences du baccalauréat et les exigences permettant d’entrer dans les meilleures conditions en classe préparatoire n’a cessé, depuis quelques années, de s’accroître et seules les classes les plus sélectives des lycées peuvent tenter, en amont, de compenser cet écart. La maîtrise des formes du raisonnement mathématique ou, très simplement, la maîtrise convenable de la syntaxe ou de l’orthographe ne sont plus des conditions nécessaires pour obtenir le baccalauréat. En langues vivantes, cet écart est particulièrement douloureux : pour bien y réussir en prépa, il faut avoir une vraie pratique linguistique et celle-ci ne s’acquiert en fait que dans l’expérience de l’étranger. Les langues vivantes sont ainsi l’un des éléments les plus discriminants socialement, alors que leur poids ne cesse de croître dans les différents concours d’entrée. Une discipline, la prise de parole, a été instituée pour pallier une autre difficulté fréquemment rencontrée par ces élèves : la maîtrise de l’expression orale publique. L’enseignement classique dispensé en CPES a ainsi pour objectif de tenter de combler le retard imposé par les distorsions du système à ces étudiants prometteurs. Les formes d’évaluation sont en général assez proches de celles que connaissent leurs camarades des CPGE traditionnelles, avec en particulier en fin d’année un concours blanc qui leur permet de s’étalonner clairement par rapport aux épreuves qu’ils subiront les années suivantes. Des « khôlles » ou interrogations orales leur sont également proposées.

Le tutorat accompagne l’enseignement classique. Recrutés par les professeurs parmi leurs anciens étudiants ou parmi les candidats qui se présentent spontanément, tuteurs et tutrices ont en commun d’avoir brillamment réussi leur cursus en classe préparatoire, la plupart d’entre eux étant d’ailleurs scolarisés dans une grande école. Ils sont sortis depuis peu du système des CPGE, ce qui leur permet d’avoir encore présentes à l’esprit les contraintes de ce système. Ils sont indemnisés et beaucoup d’entre eux prolongent leur travail de tutorat pendant quelques années : le tutorat est considéré comme une activité véritablement professionnelle. Á ce tutorat universitaire, s’ajoute un parrainage : les différentes fondations d’entreprises qui aident le projet de la CPES proposent aux étudiants des parrains qui leur font découvrir le monde de l’entreprise et mettent à leur disposition une partie de leurs contacts professionnels.

L’accompagnement culturel, troisième pilier du dispositif pédagogique, a été rendu possible par l’aide d’institutions culturelles prestigieuses : l’Opéra de Paris (qui offre des spectacles et dont des responsables artistiques viennent donner au lycée des conférences) et le musée du Louvre par exemple. Des places de concert à la salle Pleyel et dans différents théâtres sont proposées aux étudiants. Des visites sont régulièrement organisées. L’ensemble est organisé par une professeure documentaliste dont une partie du service est affectée à cette mission ; elle a la tâche délicate de donner une cohérence entre l’accompagnement culturel et les programmes disciplinaires et doit également coordonner les visites et l’emploi du temps purement scolaire des étudiants. L’objectif est de tenter de combler partiellement le fossé souvent très important entre la culture de ceux-ci, souvent à peu près strictement limitée à celle qu’apporte l’école, et celle dont les « héritiers », pour reprendre la terminologie de Bourdieu, disposent dans leur cadre familial et social. Il s’agit surtout de faire naître le goût de cette culture des élites et de donner les clés permettant d’y accéder plus aisément à des étudiants qui souvent n’en disposaient pas.

Dernier pilier : les stages proposés à ces étudiants. Ces stages sont de deux types : le premier est un stage linguistique commun de deux semaines au British Council et permet l’obtention de certifications linguistiques européennes. L’importance de cette formation linguistique pour tous les concours que nos étudiants se préparent à affronter est cruciale. Second type de stages : ceux qui sont proposés par les entreprises partenaires, avec l’aide de leurs parrains d’entreprise, aux étudiants. Stages d’une semaine, ils leur donnent un autre regard, sinon une vraie pratique, sur le travail en entreprise à haut niveau. Ces stages sont l’occasion pour les étudiants de présenter des rapports qui valident l’expérience.

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