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6.000 euros pour les chefs d’établissements performants - Noémie Rousseau, "Médiapart", 25 janvier 2011

mercredi 26 janvier 2011, par Laurence

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Le ministre de l’éducation nationale, Luc Chatel, l’a annoncé ce matin du 25 janvier : les chefs d’établissement bénéficieront de rémunérations variables selon leurs performances, « comme cela existe dans l’immense majorité des entreprises de notre pays ». La prime pourra atteindre 6.000 euros tous les trois ans. « C’est un système éducatif moderne qui se fixe des objectifs et qui cherche à améliorer ses performances », a-t-il précisé à l’antenne de France Info. La mesure est le résultat de 14 mois de discussions sur la rémunération, le statut et les conditions de travail des principaux et proviseurs, selon le SNPDEN, assis à la table des négociations avec le Sgen-FSU et I&D (Indépendance et direction).

Peu avant Noël, les recteurs s’étaient vu attribuer une rémunération annuelle au montant modulable. Leur prime de 19.000 euros fixes a été revue à la hausse, pouvant atteindre désormais 22.000 euros selon leurs résultats. Les syndicats avaient dénoncé une somme indécente, le gouvernement évoquait alors un simple rattrapage par rapport à d’autres fonctions de la Fonction publique. Les 6.000 euros de gratification perçus tous les trois ans par les chefs d’établissement font aussi grincer des dents.

De part et d’autre, la prime interroge. S’agit-il de reconquérir des cadres de plus en plus contestataires ou de diviser les équipes pour faire taire les contestations ? Car les chefs d’établissement n’ont pas dissimulé leur opposition aux suppressions de postes et à la réforme de la formation des enseignants (lire ici notre article). Ils se rangeaient alors avec les professeurs pour dénoncer une « casse de l’école ». Mais qu’ils perçoivent maintenant des primes pour bons et loyaux services, la pilule a parfois du mal à passer.

Et Frédérique Rolet, co-secrétaire générale du SNES-FSU, le principal syndicat d’enseignants de l’enseignement secondaire, de s’insurger : « Dans un contexte difficile où les relations entre chefs d’établissement et équipes pédagogiques sont dégradées, c’est soit une revalorisation pour tous, soit rien. Par principe, nous sommes contre les primes, elles clivent les personnels, séparent les corps entre eux. Cette prime est vécue comme un moyen de pression supplémentaire sur les profs. Les principaux et proviseurs les plus zélés, ceux qui appliqueront le mieux les réformes seront récompensés. »

Riposte de Michel Richard, du SNPDEN (syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale), le syndicat majoritaire parmi les chefs d’établissement : « Les enseignants ne refusent pas non plus leurs améliorations de traitement, quand ils font des heures sup, deviennent tuteurs ou mènent des actions pour l’accès à la culture. Le système des primes peut certes être dénoncé, il faudrait augmenter la base des salaires, mais c’est faire insulte aux chefs d’établissement que de penser qu’on les achète avec une prime. » Le syndicaliste ne voit pas « où est le problème », et se justifie : « Dans l’école de la République, on a toujours voulu valorisé le mérite et l’excellence, c’est un signe de reconnaissance de l’institution. »

Une évaluation existe déjà

Sur quels critères cette reconnaissance sera-t-elle distribuée ? Les détails seront fixés lors des négociations avec les syndicats de chefs d’établissement dans les semaines à venir. Luc Chatel a d’ores et déjà donné quelques pistes : « Je pense à la politique de projet pédagogique d’un établissement qui doit être partagée, je pense aux performances, aux résultats scolaires d’un établissement par rapport aux prévisions qui ont été faites, je pense à la capacité d’intégrer des élèves en grande difficulté, c’est ça qui nous intéresse. »

Mais la suppression des postes d’EVS et AVS (emplois ou auxiliaires de vie scolaire), chargés de la scolarisation des enfants en situation de handicap, éloigne de l’objectif d’intégration les chefs d’établissement ayant en ligne de mire la fameuse prime. Quant aux résultats scolaires des élèves, « on ne choisit ni ses profs ni ses élèves », lance Michel Richard. Les bonnes notes ne sont pas exclusivement du ressort des principaux et proviseurs mais, désormais intéressés par une rémunération, ils pourraient être tentés d’intervenir dessus. Frédérique Rolet, du SNES-FSU, explique : « Cela dépend des politiques d’établissement et de recrutement des élèves mais les moyens artificiels pour gonfler les résultats sont bien connus : les redoublements sont limités sans vérifier si les élèves ont acquis les compétences nécessaires au passage dans la classe supérieure. Le problème des indicateurs de performance, c’est qu’ils peuvent conduire à des comportements contraires à ce qu’est l’éducation nationale. Les personnels d’encadrement ont de plus en plus de difficultés à faire fonctionner les collèges et lycées, la prime est un moyen de les remotiver mais ce n’est pas la bonne mesure. »

Le SNPDEN se dit conscient du problème : « Se donner des outils pour mesurer les actions menées n’est pas en soi critiquable. Néanmoins, il faudra être vigilant pour éviter une dérive que nous dénonçons : celle du pilotage non plus par mais pour les indicateurs, en cherchant artificiellement des résultats qui seront à l’avance bons », développe Michel Richard, secrétaire général adjoint. Les critères d’évaluation devront accorder « peu de place à la subjectivité » mais sans toutefois se baser exclusivement sur des « résultats chiffrés, quantifiables ». Le SNPDEN souhaite que soient pris en compte « le climat dans l’établissement, la qualité des relations entre les personnels et la direction, l’évolution de l’absentéisme ». Il entend suivre le dossier de près : « Nous demandons que les critères soient transparents avec une possibilité de recours si les chefs d’établissement s’estiment mal jugés ou qu’on leur impute des facteurs exogènes ne traduisant pas un manque d’investissement. »

Une évaluation des chefs d’établissement existe déjà. En prenant possession d’un nouveau poste, principaux et proviseur doivent faire un diagnostic de l’établissement, qu’ils envoient à l’inspecteur et au recteur. Ils reçoivent en retour leur lettre de mission, listant les objectifs pour l’établissement. « Dès lors que le credo est la réussite et le bien-être des élèves, on voit de manière évidente là où ça pèche et ce qu’il faut faire. L’inspecteur et le recteur se contentent de l’entériner. Cela dit, c’est toujours intéressant de prendre un moment pour s’interroger sur son travail, le reste de l’année, on a souvent la tête dans le guidon », explique une principale dans un collège en zone rurale que l’annonce de cette nouvelle prime laisse de marbre : « Des carottes financières existent déjà. Au fil de notre carrière, on monte les échelons, on accède à de plus gros établissements, on est payés davantage. » Mais une rémunération variable pourrait accentuer la concurrence entre les chefs d’établissement. « On est solidaire, il y a beaucoup d’échanges car c’est une profession où on est très seul. Mais on est en compétition par rapport aux postes tandis que les enseignants sont mutés en fonction de leurs points de barème, la qualité pédagogique n’entre pas en compte. Si on me donne une prime, je ne la refuserais pas mais je ne suis pas pour ce genre de petits commerces. »