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Contrats aidés dans l’éducation nationale : une bombe pour l’Etat ? par Jacques-Olivier Teyssier, Médiapart, 4 mai 2011

mercredi 4 mai 2011, par Laurence

Les condamnations de l’Éducation nationale par les prud’hommes se multiplient depuis quelques mois. Des employés de vie scolaire en contrat aidé attaquent leur employeur – l’État – pour non-respect de ses obligations de formation. Et gagnent : à Amiens, Angers, Digne-les-Bains, Libourne, Montluçon, Nevers, Orléans...

Le contrat aidé permet à l’employeur de bénéficier d’aides conséquentes en échange d’un accompagnement visant à favoriser l’insertion professionnelle de personnes supposées éloignées de l’emploi. Moins de 300 euros par mois, c’est ce que peut coûter à l’employeur une personne en contrat aidé pour 26h hebdomadaires. Celle-ci est payée au Smic et la différence – salaire, cotisations sociales – est prise en charge par l’État.

Mais certains employeurs empochent les aides et oublient parfois l’accompagnement. Ce qui peut être dénoncé devant les prud’hommes. Le raisonnement juridique est simple et il se retrouve dans de nombreux jugements, dont une décision de la Cour de cassation de novembre 2004 : l’employeur peut recourir à un CDD dans le cadre d’un contrat aidé car il est accompagné d’une obligation de formation. Si cette obligation n’est pas suffisamment remplie, ce type de CDD n’est plus justifiable et il convient de le requalifier en CDI. Si la personne n’est plus en poste, les juges considèrent qu’elle a donc été licenciée et elle a droit à des indemnités notamment pour licenciement « sans cause réelle et sérieuse ». Traduction sociale de Jean-Claude Faivre du SNUDI-FO des Alpes-de-Haute-Provence : « L’éducation nationale exploite ces gens-là et ne leur crée pas d’avenir du tout. »

Une décision des prud’hommes d’Angers, le 14 avril, vient à nouveau illustrer cette jurisprudence. Saisi par 24 anciens salariés, le conseil a condamné l’Éducation nationale à verser à chacun d’entre eux environ 14.000 euros à titre de dommages et intérêts et indemnités diverses (voir extraits du jugement ci-dessous pour le détail). Le 5 avril, c’est le bureau de départage de Nevers qui octroyait près de 10.000 euros à cinq personnes. Deux jours plus tard, les prud’hommes de Digne-les-Bains attribuaient environ 12.000 euros à sept personnes, signale Jean-Claude Faivre. Au-delà de ces décisions de premières instances et celles des villes déjà citées, il existe aussi la décision de la cour d’appel d’Amiens de septembre 2010 (13.200 euros).

Si la condamnation de l’Éducation nationale pour défaut de formation peut faire sourire, ces décisions pourraient aussi finir par devenir embarrassantes pour l’État. Le ministère n’a pas communiqué à Mediapart le nombre total de personnes qu’il emploie en contrats aidés ni les procédures juridiques en cours ou passées, mais la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) annonce 54.000 CUI-CAE (historique et définition des contrats aidés dans l’onglet Prolonger) à fin 2010 dans les établissements publics d’enseignement. Si on y ajoute le nombre de personnes embauchées depuis cinq ans en contrats aidés – durée pendant laquelle les recours juridiques sont toujours possibles –, on dépasse sans doute largement les 100.000 salariés employés par l’Éducation nationale pendant cette période.

Heureusement pour l’État, les actions de groupe (« class action » en anglais) n’existent pas encore en France. Cela dit, les jugements favorables aux pionniers donnent des idées à d’autres. Ainsi en Gironde, après l’action victorieuse en première instance de trois personnes à Libourne, Éric Martel du SNUDI-FO affirme qu’une procédure d’une vingtaine d’autres personnes est en cours à Bordeaux. À Montpellier, ce sont une quarantaine de dossiers qui ont été déposés en deux vagues depuis le début de l’année. Et avec la médiatisation locale, d’autres personnes pourraient suivre après l’organisation de réunions par le collectif des précaires de l’Hérault.

Effet boule de neige

Elisabeth Boussion du collectif du Maine-et-Loire annonce : « Une deuxième réunion d’information avec Me Bougnoux, notre avocat, aura lieu le 6 mai. J’ai déjà encouragé une vingtaine de personnes à préparer leur dossier d’aide juridictionnelle et tous les documents nécessaires. » Et la militante de préciser : « Les départements limitrophes nous appellent pour faire la même chose mais aussi d’autres départements : la Sarthe, la Loire-Atlantique, le Tarn. » Muriel Michelin, de l’Union nationale des EVS (UNCEVS), confirme : « Ça va accélérer. Parce que les gens sont en colère. On arrive au troisième trimestre et on commence à avoir des mails par paquet de 10. Les gens en ont marre des promesses sans acte. Que ce soit au niveau de la formation ou de la reconnaissance. » La peur d’attaquer son employeur, surtout quand il s’agit de l’État, serait-elle en train de reculer ?

En tout cas, ce dernier n’a pas attendu un éventuel effet boule de neige pour réagir. Sur le terrain juridique tout d’abord. À Angers, le préfet a contesté la compétence du conseil des prud’hommes au profit du tribunal administratif. Fait rare – huit affaires de ce type jugées en 2005, 33 en 2006 –, le tribunal des conflits a été saisi. Il a donné tort au préfet mais le jugement sur le fond a été retardé de plusieurs mois. La procédure a donné lieu a une scène étonnante lors de la première audience des prud’hommes où les participants ont vu débarquer le procureur. « C’est du jamais vu, commente Me Jean-Pierre Bougnoux. Le jour où ça s’est fait, il y a avait du monde à l’audience pour voir ça. »

À Bordeaux, une décision de la cour d’appel est également attendue dans les prochains jours pour une question de forme concernant la vingtaine de dossiers déposés, rapporte Éric Martel. À Digne-les-Bains, c’est une question prioritaire de constitutionnalité que l’employeur a tenté de soulever. « Cela a relancé une audience supplémentaire, souligne Jean-Claude Faivre de Force ouvrière. De plus, l’avocat du lycée employeur a laissé entendre qu’il irait en appel et peut-être même plus loin si c’était nécessaire. » Cela ne serait en effet pas surprenant car l’Education nationale fait quasi systématiquement appel dans ce type de dossiers. Le ministère n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Autre réaction de l’État : sur le fond du dossier, c’est-à-dire sur un meilleur accompagnement associé à une vraie formation. L’avenir, et sans doute les prud’hommes, diront si la situation s’est améliorée mais plusieurs syndicalistes ou EVS contactés ne semblent pas convaincus. A l’image de Jean-Claude Faivre : « Il n’y a pas de changement vraiment obtenu si ce n’est maintenant que les EVS ont accès au plan académique de formation, comme les autres personnels, mais sur une formation vraiment indigente. C’est vraiment se ficher du monde, c’est pour essayer de couper court à tout recours plus tard auprès des tribunaux. »

Denis Walecks, en charge de la formation au rectorat de Montpellier, voit les choses différemment : « Ma difficulté, c’est de faire comprendre à ces contrats précaires qu’ils ont droit à la formation. Mais c’est à eux de concrétiser le droit. L’offre de formation, elle y est. » Même attitude du ministère dans sa réponse de janvier 2011 à la question écrite du député PS Jean-Jacques Urvoas visant à attirer l’attention du ministre sur la motion-pétition de l’UNCEVS « pour une égalité de traitement et des chances des personnels précaires de l’Éducation nationale et une justice sociale pour tous ». Il faut noter que le ministre répond uniquement sur la question de la formation alors que la motion est bien plus large. Signe que ce problème de la formation préoccupe ?

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