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L’école primaire craint l’asphyxie avec une nouvelle vague de suppressions de postes - Lucie Delaporte, Mediapart, 16 mai 2011

mardi 17 mai 2011, par Elie

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L’école primaire n’avait pas connu une telle ébullition depuis des années. Séquestration symbolique d’un directeur d’école primaire dans le Lot-et-Garonne, pour empêcher la fermeture d’une classe ; opération « école morte » à Meurchin (Pas-de-Calais) où des parents ont sorti duvets et couvertures pour bloquer leur établissement ; manifestation d’enseignants et de parents d’élèves à Marseille... Depuis quelques semaines les actions locales se sont multipliées pour protester contre les fermetures de classes.

Principale victime des suppressions de postes de la rentrée 2011 avec près de 8.960 postes sur les 16.000 supprimés, le primaire paie en effet le plus lourd tribut à la politique du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, et ce au moment où ses effectifs d’élèves repartent à la hausse. C’est pour rappeler ce paradoxe que se tiendra mercredi 18 mai devant le ministère de l’Education nationale un rassemblement de délégations enseignantes venues de toute la France à l’appel du SNUipp, principal syndicat du primaire, rejoint par quelques fédérations de parents. Cette journée d’action devrait se présenter comme le point d’orgue de plusieurs semaines de mobilisations.

Cette année, les coupes budgétaires vont se traduire, selon les chiffres du ministère, par la fermeture de 1.500 classes à la rentrée. Une première alors que ces dernières années, le solde entre fermetures et ouvertures de classes était jusque-là positif.

Côté ministère, on relativise pourtant en rappelant que plus de la moitié des postes supprimés concernent des enseignants n’étant pas en charge d’une classe : professeurs remplaçants, enseignants de langue itinérants, poste de Rased (réseau d’aide aux enfants en difficulté).
« Est-ce que cela veut dire que le système de remplacement du primaire va se calquer sur celui du secondaire qui est catastrophique ? », s’interroge Jean-Jacques Hazan, président de la FCPE, première fédération de parents d’élèves.

Malgré les mises en garde répétées des spécialistes de l’éducation sur l’importance de l’école primaire dans le déroulement de la scolarité, ces coupes sont d’autant moins comprises que l’école primaire a toujours été le parent pauvre de l’éducation nationale. En moyenne un élève de l’école élémentaire coûte 15% de moins que dans les autres pays de l’OCDE, comme le soulignait il y a tout juste un an un rapport de la Cour des comptes. Le coût salarial par élève y est l’un des plus faibles de la zone, la France arrivant au 25e rang sur 30 pays. Le taux d’encadrement y est aussi l’un des plus bas.

« Sentiment d’abandon »

« Il s’agit pour nous de tirer le signal d’alarme. On bute sur un noyau dur de 15 à 20% d’élèves en difficulté à la sortie du CM2. Face à cela les enseignants ont désormais un vrai sentiment d’abandon », explique Sébastien Sihr, secrétaire national du SNUipp. Première marche du parcours scolaire, c’est aussi en primaire que commence à s’observer le poids du déterminisme social, faille majeure du système scolaire français.

Or pour parvenir à rendre au ministère le nombre de postes demandés, après avoir progressivement exclu les enfants de moins de trois ans de l’école maternelle, les inspecteurs académiques se sont retrouvés obligés de raboter les effectifs des zones d’éducation prioritaire ou ceux des réseaux d’aide aux élèves en difficulté. Six cents postes de Rased vont être supprimés à la rentrée, ce qui correspond à quelque 30.000 enfants en difficulté qui ne seront plus pris en charge.

L’argument selon lequel la disparition de postes d’enseignants « non chargés de classe » (remplaçants, Rased, etc.) serait indolore apparaît dans ce contexte bien léger, ces postes étant souvent essentiels au bon fonctionnement du système, assurent les enseignants. « Dire cela, c’est méconnaître le fonctionnement de l’école, s’insurge Sébastien Sihr. Dans le Val-d’Oise, on supprime par exemple 40 postes de maître soutien en ZEP. Alors que ce sont des renforts qui permettent justement à certain moment de la journée de dédoubler les classes et donc d’améliorer l’apprentissage. »

Dans le Nord, l’un des départements les plus touchés avec 195 suppressions de postes au total, on s’émeut aussi de ces coupes indifférenciées. « A l’école Camus de Tourcoing, l’une des plus défavorisées du département, on supprime un poste ! Cela n’a pas de sens », s’alarme Yves-Marie Jade, secrétaire départemental du SNUipp du Nord. Même incompréhension à la FCPE : « Une classe a été carrément supprimée dans une petite école de Seine-Maritime qui avait pourtant les plus faibles résultats aux évaluations de CM2. Cela veut tout simplement dire qu’on décide de les abandonner. Il ne faudra pas ensuite venir pleurnicher sur les résultats ! », s’indigne le président de la FCPE.

Parallèlement à la journée d’action de mercredi, la FCPE organise également le 20 mai une « nuit des écoles » en invitant les parents à occuper les établissements scolaires. Et si ces actions-coups de poing ne suffisent pas, ce pourrait bien être la voie judiciaire qui permette aux parents de se faire entendre. Les recours au tribunal administratif contre les fermetures de classes, déposés par des parents d’élèves ou des municipalités, se sont multipliés ces dernières semaines, contestant souvent les chiffres du rectorat pour justifier les fermetures. « Ils se comptent aujourd’hui par centaines et, si cela continue, il y en aura bientôt des milliers », prévient Jean-Jacques Hazan.