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Un recteur vole au secours de l’enseignement privé - Lucie Delaporte, Médiapart, 2 juillet 2011

samedi 2 juillet 2011, par Laurence

Note de SLU : l’illustration est la couverture d’une bande dessinée d’Etienne Davodeau qui raconte l’histoire de ses parents, catholiques et syndicalistes en pays de Mauges (ce pays que le recteur dont il est question dans cet article veut protéger de l’école laïque) jusqu’à l’élection de François Mitterand, en 1981.

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Dans la bataille qui oppose, à Beaupréau (Maine-et-Loire), les défenseurs de l’école publique aux représentants de l’enseignement privé, le ministère de l’éducation nationale a choisi son camp. Alors que l’ouverture d’une cité scolaire (collège et lycée) publique dans ce canton, où l’enseignement catholique privé est en situation de monopole, était pourtant actée, le recteur de l’académie semble bien décidé à bloquer le projet.

Voulue de longue date par la région, qui a compétence pour le secondaire, la construction du lycée au sein d’une cité scolaire – l’ouverture d’un collège devant suivre – avait été entérinée par le Conseil académique de l’éducation nationale il y a un peu plus d’un an. La municipalité de Beaupréau avait d’ailleurs déjà votée la mise à disposition d’un terrain. Tout semblait prêt pour une ouverture en 2015.

Jusqu’à ce courrier en date du 7 juin.

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Dans cette lettre adressée à l’association Dom Sortais, qui regroupe les trois établissements privés du canton – un lycée général, un lycée professionnel et un collège –, le recteur Gérald Chaix assure ainsi avoir pris connaissance des « inquiétudes légitimes » des établissements catholiques « quant à l’évolution de la carte de formation ».

« Je suis pour ma part opposé à cette création » d’une cité scolaire publique, écrit-il sans détour, en expliquant que l’ouverture du lycée « au vu des études menées » ne manquerait pas d’avoir des conséquences sur « l’offre éducative déjà existante ». Pour lui, « rien n’est encore acté à ce jour. Toute création d’établissement dépendant d’un arrêté préfectoral ». Pour donner un peu plus de poids à son propos, Gérald Chaix tient à préciser que c’est bien le ministre qui « a pris attache » auprès de lui sur le sujet. De quoi rassurer les établissements privés inquiets de ce qu’ils qualifient de « concurrence déloyale ».

« Dans le prolongement de la Vendée »

Le courrier a fait bondir les associations de parents et partisans de l’école laïque. Leurs lettres alertant le ministère des blocages autour de la cité scolaire (notamment pour ce qui concerne le collège, de la responsabilité du conseil général) sont restées sans réponse. « Les propos du recteur sont inadmissibles. Depuis quand demande-t-on à un recteur de donner son avis ? C’est un fonctionnaire d’Etat qui doit appliquer ce que son ministre lui dit. Mais il semble que M. Luc Chatel n’ait pas eu le courage de prendre position lui-même sur ce dossier et qu’il a laissé son recteur s’en charger », tempête Jacques Auxiette, le président socialiste de la région Pays de la Loire qui ne décolère pas.

Pour Jacques Auxiette qui porte le projet depuis des années, la procédure menée pour valider l’ouverture du lycée, celle du collège devant suivre, a été « conforme au droit ». Invoquer le rôle du préfet est pour lui totalement « fallacieux ».

Sur le fond, il se veut pourtant serein, l’ouverture de la cité scolaire gardant, selon lui toute sa légitimité. « Vous savez, j’en suis à mon troisième recteur depuis 2005 (date à laquelle a été initié le projet) », assure-t-il.

« Les parents d’élèves demandent simplement que le libre choix des familles soit appliqué. C’est assez rare de voir l’enseignement public laïque devoir faire valoir son droit à être présent sur un territoire, on observe habituellement l’inverse », poursuit le président de région, en notant malicieusement qu’« ici on est quand même dans le prolongement de la Vendée ». Une terre où la hache de guerre entre la République et l’Eglise n’aurait jamais été complètement enterrée...

Difficile de ne pas voir que sur ce contentieux historique se greffent aujourd’hui des considérations politiciennes, ministère et conseil général UMP s’opposant à un projet porté par la région PS. Manifestations, contre-manifestations… le climat est localement devenu électrique sur le sujet.

« Il n’y a pas de réels besoins »

« Cela fait trente ans qu’on se bat pour que les enfants des 120.000 habitants du pays des Mauges aient accès à l’école publique de la maternelle à la terminale », rappelle Jack Proult à la tête du collectif pour la promotion de l’école publique dans les Mauges. Il se refuse à envisager un retour en arrière sur l’ouverture du lycée et ferraille désormais pour l’ouverture du collège dont le conseil général ne veut pas.

Pour Christian Rosello, vice-président du conseil général UMP, l’opposition à l’ouverture du collège ne serait pourtant en rien politique. « Les collèges des communes voisines (à une dizaine de kilomètres) sont déjà en sous-effectif. Pour l’instant, le projet ne se justifie pas. A un moment où les finances publiques sont ce qu’elles sont, on ne va pas s’amuser à construire un collège quand il n’y a pas de réels besoins. » Selon Jack Proult, ces arguments ne résistent pas à la démographie et à la tendance de plus en plus nette des familles à choisir le public : « Bien sûr que la demande existe », assure-t-il. Comme tous les tenants de l’école laïque, il ne voit dans cette question d’effectif qu’une manœuvre dilatoire pour repousser à nouveau le projet.

Le rectorat aurait-il choisi de freiner l’ouverture d’un établissement pour satisfaire une hiérarchie qui récompense désormais les recteurs au regard des économies de postes qu’ils réalisent ? Malgré nos demandes insistantes, le recteur Gérald Chaix, par ailleurs historien fin connaisseur de la Contre-Réforme et auteur d’une thèse sur la vie religieuse et la conscience civique à Cologne au XVIe siècle, n’a pas souhaité nous répondre.