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Ces profs qui changent de métier - Laura Thouny, Libération, 8 septembre 2011

jeudi 8 septembre 2011, par Elie

Témoignages - Même si les chiffres restent un secret d’Etat, de plus en plus d’enseignants se détournent de l’Education nationale, et se reconvertissent.

« Les conditions étaient devenues trop indignes ». Après vingt-cinq années de bons et loyaux services, d’abord comme instit’ puis comme professeur spécialisé pour élèves en difficultés [Rased], [1], 48 ans, a rendu son tablier. Le métier la passionnait pourtant. Mais avec la suppression programmée de milliers de postes, l’ambiance n’a fait que de se dégrader dans son réseau d’aide aux élèves de la Sarthe.

« Dans un système qui se délite, on est la proie des gens qui dysfonctionnent. Un directeur d’école faisait passer toute sa haine sur nous. On nous a clairement dit que nous allions être "supprimés". On nous harcelait, il fallait nous écraser ». Désabusée, Sylvie a fini par tout lâcher. Cette année, elle fait sa rentrée non plus comme prof, mais comme étudiante dans un centre de formation pour devenir orthophoniste.

Comme Sylvie, ils seraient de plus en plus nombreux à tourner le dos à l’Education nationale. Mais le sujet est pour le moins tabou. Si le ministère admet qu’à la rentrée 2010, 66 professeurs stagiaires avaient démissionné dès le mois de novembre, soit 32% de plus que l’an passé, il se refuse à communiquer d’autres chiffres.

« Les abandonner, c’est terrible ! »

« Cela devient un véritable secret d’état, estime Christophe Barbillat, secrétaire national chargé de l’emploi au Snes (Syndicat national des enseignements). On nous dit que c’est stable, mais de plus en plus de nos collègues se manifestent auprès de nous pour savoir comment démissionner ».

Arrêts maladie de longue durée, mise en « disponibilité pour convenance personnelle »... Les démissions qui ne disent par leur nom ne font, elles aussi, qu’augmenter selon le syndicaliste, qui attribue le phénomène à la « dégradation croissante des conditions de travail ».

Mais quitter le « mammouth » ne se fait pas sans douleur. « J’ai le sentiment d’avoir abandonné les élèves au moment où ils avaient le plus besoin de nous, témoigne Sylvie. C’est terrible ! »

Elodie, elle, n’avait pas de complexe à quitter sa profession pour se lancer dans la couture. Fille d’enseignants, elle avait passé le Capes « sans réfléchir » pour devenir professeur d’histoire-géo, avant de se rendre compte que le « moule » du système éducatif ne lui convenait pas. Elle a donc décidé d’ouvrir son propre atelier de couture, pour exercer sa vraie passion, tout en continuant à enseigner à des jeunes. « J’ai retrouvé une liberté d’action totale ! » se réjouit-elle à présent.

Comme beaucoup d’enseignants, elle a pourtant eu affaire à un rectorat rétif à sa démission. « On m’a dit que j’avais une attitude individualiste. Et on m’a conseillé de me mettre plutôt en disponibilité. Avec le recul, je trouve ça paternaliste, voire infantilisant ».

Partir avant d’être « aigri »

Difficile, aussi de passer à l’acte, alors que la reconversion est jugée indécente par ceux qui considèrent les profs comme des privilégiés. « C’est la honte », témoigne Marie, ex-institutrice qui se lance cette année dans un BTS d’assistant de gestion après avoir été agressée par un élève. « Si je dis ce que je faisais avant, on me dit "c’est un bon métier, tu as passé des concours, pourquoi tu l’as quitté ?" »

Les collègues des « démissionnaires » sont en revanche de plus en plus ouverts à la question : « Au début, il y a eu beaucoup de réactions d’incompréhension. Maintenant, ils me disent : "qu’est-ce que tu as bien fait de partir !", raconte encore Elodie. Ça me déprime un peu car j’ai des enfants et je voudrais qu’ils aient des profs heureux ! ».

Fabrice, lui, a sauté le pas avant de devenir « aigri ». Directeur d’école depuis six ans, cet adepte de l’école « ouverte » se désespérait de voir le système éducatif se rigidifier : « Les profs sont devenus de vagues techniciens des apprentissages. L’école un lieu de sanction, certainement pas un lieu d’éducation et de découverte ». Il vient d’envoyer sa lettre de démission à son rectorat. Titulaire d’un diplôme d’éducateur spécialisé, il sera formateur social.

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[1SylvieTous les prénoms ont été changés.