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Le sac de nœuds de Saclay : Le Campus Paris-Saclay peine à voir le jour. Et la polémique ne désenfle pas, S. Huet, Libération, 30 janvier 2011

mardi 31 janvier 2012

La réussite marquante du quinquennat sarkozien… ou son plus formidable coup de bluff ? Déjà, cette question se pose pour l’ensemble de sa politique universitaire et de recherche. Elle s’impose pour ce qui devait en être le joyau : le Campus Paris-Saclay, censé devenir le plus puissant des pôles d’excellence nationaux, à l’origine d’une nouvelle alliance entre la science, la technologie et l’industrie, productrice d’activités nouvelles et d’emplois qualifiés.

Où en est le Campus Paris-Saclay ? Au départ, il avait fière allure, si l’on considère ses acteurs. L’Université Paris-sud, Polytechnique, l’ENS de Cachan, Paris-Tech (Agro et Mines), Centrale, des laboratoires d’entreprises (Thalès, EDF). Et des laboratoires communs avec le CNRS et le CEA. Des équipements scientifiques de qualité mondiale comme le synchrotron Soleil, Neurospin (exploration du cerveau), des lasers de puissance… Au total, près de 15% du potentiel de recherche national, estime-t-on.

Arrière-pensée. Se rater sur cette opération ne peut donc qu’être catastrophique. Or, elle cumule retard à l’allumage, incohérence du projet, bisbilles entre acteurs, volonté politique de faire des deux géants réels du site - l’Université et le CNRS - des « nains » politiques de la gouvernance afin de contourner les universitaires et les chercheurs…

Le nerf de la guerre ? L’argent. Il attend que le jury de l’appel à projet Idex (Initiative d’excellence) choisisse parmi neuf projets ceux qui auront à se partager 7,7 milliards d’euros. Une dotation en capital, dont seuls les intérêts seront disponibles… alors que la seule rénovation du campus d’Orsay était estimée à près d’un milliard.

Mu par la volonté de pouvoir afficher des réalisations avant les élections, le gouvernement pousse des décisions de financements de projets (la construction sur le plateau de Saclay de l’Institut des sciences moléculaires, un site pour la pharmacie et les neurosciences, l’Institut diversité et écologie du vivant…) dans un processus lourd où Matignon possède le vrai pouvoir de décision. Vous avez dit « universités autonomes » ?

Mais le concept même du Campus Paris-Saclay continue de susciter une vive réprobation. En témoigne la victoire - avec 57,6% des voix - de la liste Résistance aux élections désignant en décembre dernier les représentants des universitaires et des scientifiques dans le conseil d’administration de la Fondation de coopération scientifique qui gère le projet.

Résistance. Denis Jouan (CNRS, Institut de physique nucléaire d’Orsay), sa tête de liste, dénoncece projet « présenté comme une meilleure coopération entre établissements très prestigieuxmais qui est une machine à détruire l’enseignement supérieur et la recherche. Le mécanisme de remplacement avec lequel l’Idex prétend initier les percées intellectuelles de demain est basé sur de la pure bibliométrie, et fonde les financements de la recherche fondamentale sur ses retombées économiques ultimes. Un tel processus la contraint à se tourner vers des objectifs de courts termes… ce qui tue in fine la recherche fondamentale, et du même coup ses retombées ».

En fait, la résistance des universitaires, explique Denis Jouan a fait capoter le projet initial : « Détourner les éléments apparaissant les plus profitables pour cette logique de valorisation économique de la recherche et laisser pourrir le reste dans une situation qui se dégrade. Mais ce n’est que partiel, Les premiers cycles du campus d’Orsay sont ainsi laissés de côté. Il faut donc aller plus loin et réorienter en profondeur le processus. » Vu à cette aune, « le projet grandiose du début a accouché d’une souris : quelques projets comme Nano-innov, le pôle commun de recherche informatique (Inria/Université) ; le regroupement dans l’institut des sciences moléculaires ».

Cet échec à passer en force aboutit à proposer aujourd’hui un nouveau concept « l’Université Paris Saclay » qui prendrait la suite de la Fondation. Mais que signifie le mot université dans ce sigle, le seul qui vaille au niveau mondial ? Certainement pas la communauté universitaire - taxée avec mépris de « République universitaire » par certains industriels du corps des X-Mines. La nature de la gouvernance de cette « université » - la place des élus, des universitaires et des scientifiques dans le futur « Sénat académique » - demeure floue.

Métros. Deux des tares majeures du projet initial sont toujours là. Le lien entre les formations de premier cycle et l’activité de recherche n’est pas assuré par un projet cohérent de rénovation du campus d’Orsay. Et le problème majeur des transports en commun reste ouvert, que ce soit pour l’accès au plateau de Saclay, en particulier pour les étudiants ou pour avoir une circulation autre qu’automobile entre les éléments du futur campus.

Les projets de métro sont certes décisifs, mais leur calendrier officiel de mise en service s’échelonne de… 2017 à 2027.

L’alternance politique que laissent percevoir les sondages pour 2012 pourrait mettre le nouveau pouvoir devant une alternative : bricoler sur la base du concept sarkozien, ou tout reprendre à zéro.

Dans le second cas, calendrier, gouvernance, devenir du campus d’Orsay et principe même des financements, des partenariats public-privé avec des dotations en capital, pourraient être mis en cause.

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