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Annulation du colloque "Israël, un État d’apartheid ?" à Paris VIII, Revue de presse et réactions MàJ 29 février 2012

dimanche 26 février 2012, par PCS (Puissante Cellule Site !)

Le "déni de démocratie" au cœur des débats du colloque sur Israël de Paris-VIII


Hélène Sallon, Le Monde, 28 février 2012

Pour lire cet article sur le site du Monde

"Si le président de Paris-VIII était venu, il se serait rendu compte combien son interdiction est stupide et malvenue", lance à l’assistance Jean-Paul Chagnollaud, professeur de sciences politiques à l’université de Cergy-Pontoise en France. Sous les applaudissements de la centaine de personnes, en majorité des étudiants, réunies lundi 27 février à la Bourse du travail de Seine-Saint-Denis, pour un colloque universitaire international intitulé "Israël, un état d’apartheid ?".
Toute la matinée, les présentations se sont succédé sans dérapage. Les faits, les constructions théoriques et le débat d’idées ont pris le pas sur la polémique. Seuls quelques sifflets sont venus ponctuer les interventions, à l’évocation du nom du président de l’université qui est allé jusqu’à fermer le campus pour s’assurer que le colloque ne s’y tienne pas. Organisé par le collectif Palestine Paris 8 dans le cadre de la "semaine contre l’apartheid israélien", ce colloque a bien failli ne jamais avoir lieu.

Après en avoir préalablement autorisé la tenue, Pascal Binczak, le président de l’université, a décidé le 17 février d’annuler le colloque qui devait se tenir dans ses locaux les 27 et 28 février. Au motif du risque de "trouble à l’ordre public". La double visée assumée du colloque – militante et universitaire – avait en effet entraîné une levée de boucliers du Conseil représentatif des institutions juives (CRIF) et du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme, qui dénonçaient un "colloque discriminatoire" du fait de la référence à l’apartheid et contestaient la tribune donnée à Omar Barghouti et au mouvement qu’il a fondé en 2005, Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS), visant Israël.

L’IMPOSSIBILITÉ DE DÉBATTRE ?

Ces pressions extérieures ont été mal perçues dans le monde académique, un an après la polémique qui avait entouré l’annulation par l’Ecole normale supérieure du débat de Stéphane Hessel sur le Proche-Orient. Le professeur Chagnollaud a ainsi décidé, au dernier moment, de présider une séance en signe de soutien. "Le CRIF est dans une espèce d’aveuglement. Depuis quelques années, il y a une régression, un aveuglement répété, pusillanime", dénonce le constitutionnaliste. Lui-même se dit opposé au boycott des universités israéliennes – prôné par le BDS –, mais il prône, à l’inverse du CRIF, l’ouverture du débat. "Interdire le débat est très contre-productif."

La question de l’apartheid, soutient Julien Salingue, enseignant de sociologie à l’université d’Auvergne et co-organisateur du colloque, "est dans le débat public, national et international. Donc, pourquoi se priverait-on de questionner cette réalité, de la mettre à l’épreuve ?" A l’accusation qu’il leur a été faite de n’avoir invité aucun contradicteur, il s’insurge."Tout dépend de là où l’on met la barre de la contradiction ? Certains des intervenants questionnent la pertinence du concept. Mais, il est vrai que l’on n’a pas invité de défenseur de la politique israélienne. Si l’on organise un colloque sur la Résistance, doit-on obligatoirement inviter des collabos ?", ose-t-il.

M. Salingue, qui ne cache pas son engagement militant pour la Palestine, et son appartenance politique au NPA, assume pleinement le caractère politique du colloque et met quiconque au défi de trouver une pointe d’idéologie dans ses présentations. La portée politique du colloque est d’ailleurs, pour nombre de ses participants, un faux débat. "Oui, c’est un colloque politique, admet Babek Farhani, un étudiant de Paris-VIII. La question palestinienne est une question politique grave dans le monde entier depuis soixante ans." Le problème, selon lui, est davantage dans la dépolitisation des universités et de la société. "L’université doit être politique mais indépendante", défend-il.

"DÉNI DE DÉMOCRATIE"

La polémique qui entoure l’interdiction du colloque de Paris-VIII dépasse désormais la seule question d’un débat sur Israël, l’apartheid et le boycott. Pour Jean-Paul Chagnollaud, l’enjeu est "symbolique : la liberté universitaire". Il dénonce la tribune de Pascal Binczak dans Le Monde daté du 24 février (voir ci-dessous) : "Indigne boycottage d’universitaires israéliens", où ce dernier invoque des risques de dérapage et de "troubles de conscience" pour justifier sa décision de retirer son autorisation à la tenue du colloque dans son université. "Cette tribune est encore plus grave. C’est un procès d’intention", estime-t-il. Jean-Guy Greilsammer, cofondateur de L’Union juive française pour la paix, dénonce lui un "chantage à l’antisémitisme" et accuse le CRIF d’être "la courroie de transmission de la politique d’Israël".

Si le tribunal administratif a validé, sur la forme, la décision du président de l’université d’annuler le colloque – au motif qu’un site alternatif leur a été proposé – pour les organisateurs, le combat continue. Ils entendent déposer dans les prochains jours une plainte pour abus de pouvoir au tribunal administratif afin que l’affaire soit jugée sur le fond. Ils jouissent d’un soutien sans faille du monde académique et universitaire. L’ensemble des syndicats étudiants et de nombreux départements de l’université Paris-VIII se sont ralliés à leur défense. C’est un "déni de démocratie de la présidence", dénonce ainsi Salah Kiran, de l’UNEF Paris-VIII. Une "Lettre des 500" universitaires et personnalités en soutien à la liberté d’expression et aux libertés académiques a été publiée sur le site Mediapart.

Pour les étudiants, il en va désormais de leur liberté d’expression. "C’est une décision inacceptable, ultra-réactionnaire. Si on l’accepte, la résistance est morte", estime Babek Farhani.

NDLR : Dans une première version de l’article, l’auteur a cité Dominique Chagnollaud, professeur de droit constitutionnel, en lieu et place de Jean-Paul Chagnollaud, professeur de science politique à l’université de Cergy-Pontoise. Nous nous en excusons.

Hélène Sallon


Colloque Paris VIII : pourquoi nous refusons de signer la pétition

Point de vue publié dans le Monde par Claudia Moatti, Michèle Riot-Sarcey, Tiphaine Samoyault, enseignantes à Paris VIII, 27 février 2012

Pour lire cet article sur le site du Monde

La décision prise par la Présidence de l’université de Paris 8 que se tienne hors de ses locaux une manifestation intitulée "Israël : un État d’apartheid ? Des nouvelles approches sociologiques, historiques et juridiques à l’appel au boycott international", a suscité une pétition, parue dans Mediapart, qui a déjà réuni cinq cents signatures. Pourquoi refusons-nous de la signer ?

- parce que les conditions, qui font d’une manifestation universitaire un lieu d’échange et de débat scientifique, ce qu’on appelle généralement un colloque, ne nous semblent pas remplies. Un colloque est un débat intellectuel où des chercheurs qualifiés tentent, sur la base de leurs recherches, d’apporter un éclairage sur différents objets méthodologiquement définis et épistémologiquement fondés. Dans le programme tel qu’il nous a été présenté, les moyens et les méthodes de cette recherche nous semblent instrumentalisés ;

– parce que l’Université est un lieu collectif d’apprentissage et de connaissance où doit s’exercer la pensée critique, où se développe une réflexion sur les fondements du savoir et sur les conditions de production du savoir, sur les acteurs/sujets qui le produisent, sur les enjeux de pouvoir qui les sous-tendent. À cette forme de pensée critique s’opposent donc la doxa et le dogme. Sans dialogue contradictoire, sans doute méthodique, la pensée n’est pas libre ;

– parce que la liberté d’expression s’arrête là où commence la propagande. On peut faire bien des choses pour la liberté d’expression, y compris, quand on s’appelle Noam Chomsky, préfacer un auteur négationniste, mais, selon nous, cette liberté n’a de sens à l’université que lorsqu’elle est fondée sur une totale liberté critique ;

– parce qu’une critique ferme du gouvernement israélien et de sa politique à l’égard des populations palestiniennes ne passe pas par le boycott de rares lieux où peut encore s’exercer cette liberté, à savoir les universités ; parce que la dénonciation de cette politique doit être dégagée de tout antisémitisme ; parce que nous pensons que le boycott de la résistance intellectuelle et politique est improductif pour lutter contre les multiples formes de discrimination et de domination que subit le peuple palestinien.


Tiphaine Samoyault enseigne la littérature comparée à l’université Paris-VIII-Saint-Denis

Claudia Moatti, historienne, professeur d’histoire romaine à l’Université Paris-VIII-Saint-Denis

Michèle Riot-Sarcey, professeure d’histoire contemporaine à l’université Paris-VIII-Saint-Denis.


Peut-on parler de la Palestine dans les Universités françaises ?

À l’université Paris 8, à l’ENS et à l’EHESS, des colloques, conférences et réunions publiques traitant de la question palestinienne viennent d’être interdites. Nous pensons que l’université doit rester un lieu d’ouverture et de pluralisme où aucun sujet ne doit être considéré comme tabou, quand bien même il s’agirait de s’interroger sur la notion d’apartheid israélien ou sur la pertinence d’un boycott universitaire d’Israël.

Nous dénonçons ces pratiques. D’autant plus que celles-ci interviennent dans des lieux réputés pour être des lieux d’avant garde. Cela devrait être la fierté de Paris 8, de l’ENS et de l’EHESS que de savoir poser les questions et les débats aussi difficiles et sensibles soient-ils.

C’est pourquoi des professeurs et des étudiants de l’Université Paris 8, de l’ENS et de l’EHESS mobilisés contre la censure sur la Palestine dans les universités françaises vous invite à un

GRAND RASSEMBLEMENT CONTRE LA CENSURE ET POUR LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

Le 29 février à 19h à la Bourse du Travail de Paris, 3 rue du Château d’Eau, 75010 Paris Métro République


Le Collectif Palestine Paris 8 condamne la fermeture de l’Université
Le Colloque aura donc lieu, malgré nous, à la Bourse du travail de Saint-Denis

Nous venons de prendre connaissance du communiqué de la direction de Paris 8 informant la communauté universitaire de la fermeture administrative de l’établissement jusqu’au 29 février.

La direction de Paris 8 rejette la responsabilité de cette décision grave sur les organisateurs du colloque « Israël : un État d’apartheid ? » qui, malgré l’interdiction prononcée par le Président, avait décidé de maintenir le colloque à l’Université.

Nous assumons le choix que nous avons fait et ne nous considérons pas comme responsables de la fermeture de l’Université, grave décision que nous condamnons. Car c’est bien l’obstination du Président à refuser la tenue du colloque à Paris 8, malgré la lettre des 500 universitaires et chercheurs, malgré les protestations des étudiants de Paris 8 (plus de 1000 pétitions signées !), malgré les condamnations de la plupart des syndicats et associations de l’université, et malgré les prises de position de plusieurs départements de Paris 8, qui a conduit à cette situation de blocage.

En décidant de fermer l’Université, la direction de Paris 8 reconnaît implicitement qu’elle est isolée et qu’elle n’a pas les moyens de faire respecter sa décision illégitime. Organisé à Paris 8, le colloque, avec un riche programme et plus de 300 inscrits, aurait été un succès, de toute évidence intolérable pour certains.

En prenant cette décision et en invoquant les prétendues « menaces » (lesquelles ?) qu’aurait fait planer le colloque, le Président sacrifie les libertés pédagogiques et la liberté de critique qu’il prétendait défendre en interdisant l’événement. Nous invitons donc l’ensemble des étudiant-e-s de Paris 8 à exercer ces libertés, dont ils viennent d’être abusivement privés, en assistant au colloque.

Nous l’avons toujours dit : le colloque aura lieu. Mais il ne pourra bien évidemment pas se tenir dans une université fermée par son Président. En conséquence, et au vu de l’urgence, nous avons décidé d’organiser le colloque à la Bourse du travail de Saint-Denis, aux dates et heures prévues.

Le colloque débutera, à 9h, par une déclaration du Collectif Palestine Paris 8, revenant sur les conditions « particulières » de la tenue du colloque. La presse est bien évidemment conviée à ce rendez-vous, à l’occasion duquel elle pourra poser des questions aux organisateurs et organisatrices.

Un accueil sera organisé à Paris 8 pour expliquer la situation aux étudiant-es et pour diriger vers la Bourse du travail celles et ceux qui n’auraient pas eu l’information.

Nous appelons donc tous les inscrits et toutes celles et tous ceux qui veulent participer au colloque à se retrouver lundi matin, à partir de 8h45, à la Bourse du travail de Saint-Denis (9-11 rue Génin, Métro Saint-Denis Porte de Paris).

Le Collectif Palestine Paris 8

Soutenu par : Oxygène, Sud, Tikli, UEAF Paris 8, UNEF Paris 8, UEC, NPA


Fermeture administrative de l’université
les lundi 27 et mardi 28 février

La présidence de Paris 8, le 26 février 2012

A la communauté universitaire,

Dans un communiqué diffusé ce samedi 25 février, avant 13 heures, le collectif Palestine a annoncé sa décision de maintenir à Paris 8 le « colloque » des 27 et 28 février et appelle
à un rassemblement massif au sein de l’université ce lundi 27 février, en violation de la décision prise le 17 février par le président de l’université et en violation de la décision de justice rendue par le tribunal administratif de Montreuil, le 24 février.

Les organisateurs du « colloque » n’ont donc pas attendu les résultats des médiations en cours pour répondre défavorablement, et par la voie indirecte d’un communiqué, à la proposition du président que le « colloque » se déroule à la Bourse du Travail de Saint-Denis, qui a été réservée à cet effet.

Cette nouvelle configuration change les termes de l’alternative dans la mesure où il ne s’agit plus de s’interroger sur le lieu ou la tenue d’un « colloque » mais de savoir si une décision administrative et une décision de justice doivent être appliquées. Or, une telle question est hors débat. La justice a été rendue. L’État de droit doit être respecté.

Dans ce communiqué relayé par divers réseaux, ce ne sont plus en effet des participants qui sont conviés à assister à un « colloque » à Paris 8, mais des manifestants qui y sont appelés en nombre à protester contre une décision administrative, soutenue unanimement par le conseil d’administration et validée par une décision de justice.

Ayant opté pour une position radicale et jusqu’au-boutiste, en refusant la proposition du président, le collectif Palestine contraint l’université à prendre la pire décision qui soit, celle qui devait être justement évitée dans l’intérêt des étudiants : la fermeture administrative de l’établissement jusqu’au mercredi 29 février au matin.

Aucune autre mesure n’est en effet susceptible d’assurer le bon fonctionnement du service public et de garantir, au sein de l’université, l’ordre public sur lequel pèsent, comme l’a constaté la juridiction administrative, de réelles menaces.

La direction de l’université


Indigne boycottage d’universitaires israéliens


Point de vue par Pascal Binczak, président de l’université Paris-VIII, Le Monde, 24 février 2012

Pour lire cette tribune de Pascal Binczak « Indigne boycottage d’universitaires israéliens »

Les réactions suscitées par ma décision de retirer l’autorisation préalablement accordée à la tenue, à l’université Paris-VIII, d’une manifestation présentée comme un colloque universitaire intitulé : "Des nouvelles approches sociologiques, historiques et juridiques à l’appel au boycott international : Israël, un Etat d’apartheid ?" me conduisent à éclaircir certains points et à m’interroger sur le sens et les causes de la polémique en cours. Suite à un communiqué publié par le site Mediapart intitulé : "Le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) ordonne la censure, Paris-VIII obéit" a succédé une pétition soutenant les organisateurs, au nom d’une liberté d’expression qui aurait été sacrifiée.
La rhétorique développée par les polémistes ne saurait masquer la réalité de faits qui ont été passés sous silence mais dont l’établissement montre que ma décision ne remet nullement en cause la liberté d’expression, bien au contraire. Passé sous silence le caractère conditionnel de l’autorisation accordée, les conditions émises tenant notamment au respect des principes énoncés par la loi rappelant que "le service public de l’enseignement supérieur est laïc et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions".

Passé sous silence l’emploi abusif du terme "colloque universitaire" sous la bannière duquel se présentait cette manifestation, celle-ci relevant davantage d’une action militante où le pluralisme des opinions, le caractère contradictoire des débats, la haute exigence intellectuelle caractérisant le travail universitaire importent moins que la finalité politique.

Passé sous silence moins le caractère polémique de l’objet du "colloque" que les dogmes auxquels il renvoie, comme en attestent les positions radicales d’intervenants appelant à rompre toute relation avec les universitaires israéliens, ce qui est inacceptable.

Passés sous silence les risques de troubles à l’ordre public, recouvrant aussi ce que le droit public nomme "les troubles de conscience" et impose le respect des valeurs et principes d’autrui. Si certains se sont émus d’une prétendue atteinte à la liberté d’expression, d’autres ont pu être, sinon émus, attentifs aux réactions suscitées par l’annonce de cette manifestation heurtant les consciences, choquant collègues ou étudiants, de quelque obédience qu’ils soient.

De quelle liberté d’expression disposent-ils face à une puissante action militante dont l’ouverture est symbolisée et en même temps contenue par le seul point d’interrogation ponctuant l’intitulé : "Israël, un Etat d’apartheid ?" et à qui fera-t-on croire que la réponse n’était pas dans la question ? Correspondant aux conditions indispensables pour garantir les libertés, l’ordre public commande que soient prévenus ces troubles de conscience qui affectent par nature la liberté d’expression. Passées sous silence mes propositions d’intervention afin qu’un autre lieu héberge ce "colloque" et que d’autres intervenants puissent être associés à un débat contradictoire.

Au regard de tous ces faits passés sous silence, la liberté d’expression est d’autant moins menacée qu’un autre lieu a été proposé dès mardi 21 février aux organisateurs. J’ai aussi recueilli l’accord de professeurs de Paris-VIII afin qu’ils participent à la manifestation et garantissent a minima le pluralisme des opinions. A ce jour, mes propositions sont restées sans réponse. A un exposé objectif de ces faits, les organisateurs ont préféré cette annonce choc : "Le CRIF ordonne la censure, Paris-VIII obéit". Propagande rodée, rappelant la théorie du complot, développée notamment dans cette citation de choix : "La complicité des Européens dans le maintien de l’occupation et de l’oppression israéliennes est obtenue par la menace, l’intimidation, la brutalité." Dans leur enthousiasme, ils ont aligné sous leur communiqué le soutien d’associations dont plusieurs ont ensuite précisé n’être pas solidaires de leur démarche, dont la Ligue des droits de l’homme.

Qu’il me soit alors permis de réagir à de telles manoeuvres bien éloignées de la probité intellectuelle qui caractérise un colloque universitaire, en songeant au philosophe Kierkegaard écrivant que "les gens exigent la liberté d’expression pour compenser la liberté de pensée qu’ils préfèrent éviter". Le silence fait sur les principes républicains interroge. Des pétitionnaires ont pu être trompés dans leur appréciation des faits, tant il est vrai, dit Hannah Arendt, que "la liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat". Mais à aucun moment les pétitionnaires ne font allusion aux principes républicains. Dans cette polémique, ces principes passent à la trappe, alors qu’ils auraient été convoqués avec force dans d’autres cas. A quel moment ces principes républicains ont-ils été invoqués dans notre affaire, au cours de la polémique, si ce n’est à son origine, lorsqu’ils ont fondé ma décision ? Jamais. Ce constat doit nous alerter individuellement et collectivement, car la véritable menace que révèle cette affaire ne pèse pas sur la liberté d’expression, mais vise nos fondamentaux républicains et notre vouloir vivre ensemble. Cette "Université-monde" qu’est Paris-VIII, riche de ce vivre ensemble, forte des cent cinquante nationalités représentées parmi ses étudiants, est certes un lieu sensible. Récemment, j’ai dû ordonner la destruction d’une banderole sur laquelle l’étoile de David était associée à la croix gammée, ou faire repeindre des murs souillés par des graffitis antisémites. Qu’il me soit donné acte d’avoir pris aussi en considération des risques de dérapages indignes de nos valeurs républicaines.

Ce risque que la manifestation rencontre, selon la formule de Michel Wieviorka dans La Tentation antisémite (Robert Laffont, 2005), "une forme extrême et exceptionnelle de dérive" suffit en soi à justifier ma décision. Comme par le passé, j’oeuvrerai au développement de nos relations privilégiées avec des universités comme Al-Aqsa et Beit Berl. La mobilisation en faveur d’une issue politique pour la liberté du peuple palestinien, cause que j’ai soutenue et continuerai à soutenir, mérite mieux que cette polémique qui divise et oppose.


Un colloque sur l’apartheid en Israël à nouveau censuré


Point de vue publié par François Dubuisson, Ivar Ekeland, Julien Salingue et neuf autres intervenants au colloque, Le Monde, 24 février 2012

Pour lire ce point de vue

Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA) sont coutumiers des attaques contre toute expression d’idées ne se conformant pas à leur position de soutien inconditionnel à Israël : campagnes contre France 2, son journaliste Charles Enderlin et l’émission "Un oeil sur la planète", protestation contre la diffusion par Canal+ de la série "Le Serment", pressions sur l’Ecole normale supérieure (ENS) pour interdire une conférence de Stéphane Hessel... Cette fois, le CRIF et le BNVCA ont appelé la présidence de l’université Paris-VIII à annuler un colloque intitulé "Des nouvelles approches sociologiques, historiques et juridiques à l’appel au boycott international : Israël, un Etat d’apartheid ?", que Paris-VIII avait préalablement autorisé et financé à hauteur de 2 500 euros.
Le CRIF se dit "heurté" que soit discutée la pertinence du concept d’apartheid pour Israël et considère que "le thème du boycott" d’Israël est illégal. Le colloque serait discriminatoire, illicite et pourrait provoquer des "troubles à l’ordre public". Le BNVCA va plus loin en dénonçant "un colloque (qui) procède de la pire propagande palestinienne qui, depuis onze ans, incite à la haine de l’Etat juif". Le site du CRIF a même mis en ligne des (pseudo)-biographies des intervenants, dans une logique maccarthyste.

En notre qualité d’intervenants à ce colloque, et malgré nos opinions diverses quant aux thématiques abordées, nous nous insurgeons contre ces accusations graves, et contre le manque de courage de la présidence de Paris-VIII qui, en retirant son autorisation, a porté une lourde atteinte à la liberté d’expression, établissant un dangereux précédent. Des chercheurs ne pourraient plus présenter leurs travaux dans une université, au motif que le thème de leurs recherches serait "sensible" ?

Selon la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), "la liberté d’expression vaut non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent". La CEDH a de plus tracé la frontière séparant critique d’Israël et antisémitisme en établissant la distinction entre la "critique politique ou idéologique du sionisme et des agissements de l’Etat d’Israël", qui est protégée, et la "diffamation raciale" ou "l’incitation à la haine", qui sont condamnables. C’est cette distinction que le CRIF et le BNVCA veulent voir s’estomper afin de faire taire toute critique d’Israël. Les sujets abordés au colloque peuvent donner lieu à polémiques, mais il ne suffit pas que des associations partisanes les décrètent "choquantes" ou "illégales" pour les exclure du débat public.

La question de savoir si le terme "apartheid" est pertinent pour qualifier les pratiques d’Israël n’est pas nouvelle. En 2007, le rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, John Dugard, concluait que "les deux régimes ont beau avoir leurs différences, les lois et les pratiques israéliennes dans le territoire palestinien occupé rappellent certains aspects de l’apartheid". La question n’est pas davantage un tabou en Israël. Dès 2002, Avi Primor, ex-ambassadeur d’Israël auprès de l’Union européenne, condamnait la "stratégie "sud-africaine"" d’Ariel Sharon, tandis qu’un éditorial du quotidien Haaretz évoquait, en janvier, un "glissement sur la pente de l’apartheid". La problématique posée par le colloque s’inscrit donc dans un débat légitime, en cours sur le plan international.

INTIMIDATIONS

Devrait-on en outre s’abstenir de discuter de la campagne de boycottage, désinvestissement, sanctions visant Israël, lancée en 2005 par un ensemble d’ONG ? Selon le CRIF, cette campagne serait illégale, ce qui interdirait d’en parler dans un colloque. Si en France certaines décisions de justice ont condamné des actions de boycottage, le CRIF omet de préciser qu’un récent courant jurisprudentiel s’est prononcé en sens contraire : "Dès lors que l’appel au boycottage des produits israéliens est formulé par un citoyen pour des motifs politiques et qu’il s’inscrit dans le cadre d’un débat politique relatif au conflit israélo-palestinien, débat qui porte sur un sujet d’intérêt général de portée internationale, l’infraction de provocation à la discrimination fondée sur l’appartenance à une nation n’est pas constituée."

Il est dès lors difficile de concevoir en quoi la discussion de ces sujets serait de nature à "troubler l’ordre public". On est pour le moins surpris que la présidence de Paris-VIII ne se soit pas posée en garante de la liberté d’expression et donne du crédit aux accusations du CRIF et du BNVCA, qui font planer la menace de "troubles" qu’ils semblent appeler de leurs voeux. Pour la préservation d’un espace de débat démocratique, il serait déplorable qu’une institution universitaire cède aux intimidations d’associations s’érigeant en censeurs.

François Dubuisson, professeur de droit à l’Université libre de Bruxelles ;

Ivar Ekeland, président honoraire du conseil scientifique de l’ENS et de Paris-Dauphine ;

Julien Salingue, enseignant à l’université d’Auvergne ;

et neuf autres intervenants au colloque.


Malgré l’interdiction, le Colloque « Israël : un État d’apartheid ? » aura lieu à Paris 8

25 février 2012,

Nous prenons acte de la décision du juge des référés du Tribunal Administratif de Montreuil : du fait de la mise à disposition d’une salle municipale, l’atteinte à la liberté d’expression constituée par le retrait de l’autorisation du colloque « Israël : un État d’apartheid ? » n’est pas « grave et manifestement illégale » au sens du Code de Justice Administrative.

Le rejet du référé traite de l’urgence, mais laisse entier le débat sur le fond. Aucune loi et aucune décision de justice n’interdit aujourd’hui à des étudiant-e-s d’inviter dans une université des chercheurs et des spécialistes du conflit opposant Israël aux Palestiniens pour y présenter leurs travaux et leurs opinions.

C’est pourquoi après nous être réuni-e-s, nous avons pris deux décisions :

- Le Collectif Palestine Paris 8 attaque devant le tribunal administratif la décision du président de l’Université pour excès de pouvoir, et une requête en ce sens sera déposée dès lundi. Elle sera rendue disponible auprès de tous : contre l’arbitraire, force doit rester à la loi !
- Nous maintenons le colloque tout en refusant « l’offre généreuse » de Paris 8 : nous délocaliser à la Bourse du travail de Saint-Denis.

Nous sommes un collectif d’étudiant-es de Paris 8, dont l’objectif est d’entretenir et de développer les débats au sein de notre université. Nous avons invité plusieurs universitaires et chercheurs, dont les travaux ont le droit d’être présentés dans une université. Nous tenons à ce que notre université demeure un lieu de débat et de libre expression, malgré les intimidations des uns et la timidité de l’autre.

Le colloque aura donc lieu à Paris 8, malgré le volte-face du Président de l’Université qui, après avoir autorisé l’initiative, a osé suggérer, dans une indigne « tribune » publiée dans le journal Le Monde, que celle-ci pourrait donner lieu à des « dérapages antisémites ». Accusation infâmante, dont l’emploi n’a d’autre but que de discréditer l’autre, faute de pouvoir le contredire.

Nous appelons donc tous les défenseurs de la liberté d’expression et de pensée, de même que toutes celles et tous ceux qui pensent que l’Université doit être préservée de toute forme de censure et de pression politique, à se joindre à nous en assistant au colloque.

Un seul rendez-vous : lundi 27 février, à 8h45 précises, à l’Université Paris 8 (2 rue de la liberté à Saint Denis, Métro Saint-Denis Université). La salle du colloque sera fléchée à partir de l’entrée de l’Université.

«  Il n’y a pas longtemps, c’étaient les mauvaises actions qui demandaient
à être justifiées. Aujourd’hui ce sont les bonnes.
 » (Albert Camus)

Le collectif Palestine Paris 8

Soutenu par : CGT-FERC Sup Paris 8, La Dionysoise, Sud-Étudiant-e-s, Unef Paris 8, UEAF, UEC, NPA.


Pour la liberté d’expression universitaire Lettre de la section SNESUP Paris VIII

Saint-Denis, le 21 février 2012

Monsieur le Président,

Le Snesup vous demande instamment de revenir sur votre décision de vendredi concernant la tenue d’une manifestation intitulée "Des nouvelles approches sociologiques, historiques et juridiques à l’appel au boycott international : Israël, un Etat d’apartheid ?"

Nous ne nous prononçons pas sur le contenu de cette manifestation, ni sur son intérêt ou son caractère judicieux, mais uniquement sur sa nature de manifestation militante offrant un cadre d’expression à des universitaires dans l’exercice de leur libre expression. Compte tenu du statut de la quasi-totalité des participants, il s’agit incontestablement d’une manifestation de ce type, et votre communiqué ne le nie d’ailleurs pas ; mais de ce fait les deux raisons que vous invoquez pour lui retirer votre autorisation ne nous apparaissent pas recevables, et ne justifient pas la décision d’annulation.

Le maintien de l’ordre public ne saurait justifier à lui seul l’interdiction d’une expression collective, si polémique soit-elle. De plus la fin du communiqué présidentiel semble impliquer que le trouble de l’ordre public viendrait, non des organisateurs de la manifestation, mais des oppposants à celle-ci - auquel cas vous autoriseriez ces fauteurs de trouble - non désignés d’ailleurs - à exercer un droit de censure sur les discussions au sein de l’Université, ce qui nous paraît tout-à-fait inacceptable.
L’indépendance intellectuelle de l’Université ne saurait non plus être menacée par une expression collective universitaire, si militante soit-elle. Ce raisonnement conduirait à interdire le discours militant dans l’Université au seul motif qu’il est militant, ce qui est en contradiction totale avec les libertés universitaires. La réunion prévue est bien sûr d’essence militante, et l’Université n’a donc pas à lui apporter son soutien ès-qualités, ce qui est déjà le cas semble-t-il. Si confusion il y a eu sur le statut non officiel de la manifestation (utilisation non autorisée du logo, par exemple), il est également normal de demander que cette confusion soit levée, et les logos retirés. Mais l’annulation de l’autorisation ne peut s’appuyer sur ce seul motif.

Aucune des deux raisons invoquées par votre communiqué ne paraît donc suffisante pour justifier ce qui constitue un acte grave dans le cadre d’une Université, l’interdiction de l’expression publique de membres de la communauté universitaire. Une telle interdiction pourrait se justifier uniquement dans le cas d’une expression relevant de l’apologie de crime de guerre ou de crime contre l’humanité, ou de l’incitation à la discrimination ou à la haine raciale. Encore cela serait-il invoquable ex post, et non ex ante, puisqu’autrement il s’agirait d’une censure préalable.

L’expression universitaire doit rester libre, et limitée par le seul respect des principes de tolérance et d’objectivité que la déontologie universitaire impose. Nous vous demandons donc instamment de garantir cette liberté d’expression, et d’autoriser la tenue de la manifestation "Des nouvelles approches sociologiques, historiques et juridiques à l’appel au boycott international : Israël, un Etat d’apartheid ?", quitte à prendre toute mesure utile pour que cette manifestation se déroule dans le calme, et sans préjudice des suites que des déclarations contraires aux lois en vigueur pourraient avoir, si de telles déclarations avaient lieu dans le cadre de cette manifestation.
Nous vous prions, Monsieur le Président, d’accepter l’expression de nos sentiments respectueux.
Pour la section,

Pierre Gervais

À lire sur le site du SNESUP


Un colloque sur Israël retoqué à Paris-VIII


Mehdi Fikri, L’Humanité, 20 février 2012

Sur le site de l’Humanité


Le président de l’université a annulé un colloque controversé du collectif Palestine sur le boycott des échanges avec Israël. En cause : le manque de pluralisme des interventions.

L’affaire pourrait se finir sur les bancs du tribunal, à défaut de ceux de la fac. Vendredi, Pascal Binczak, président de l’université Paris-VIII, a annulé le colloque prévu les 27 et 28 février sur le thème « Des nouvelles approches sociologiques, historiques et juridiques à l’appel au boycott international : Israël, un État d’apartheid ? » Le collectif Palestine se retrouve de nouveau mis au coin, après l’annulation de sa réunion à l’École normale supérieure, en mars  2011. Et menace de porter plainte.

Selon le collectif, Pascal Binczak a cédé aux pressions. Celles du Conseil représentatif des institutions juives (Crif) et du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme qui dénoncent un « colloque discriminatoire ». Le président de Paris-VIII, opposant notoire à la loi d’autonomie des universités, se défend pourtant d’avoir été influencé. « Paris-VIII est une université ouverte », assure-t-il, évoquant notamment le festival Printemps Palestine, organisé depuis trois ans dans ses locaux. Mais, comme le précise un communiqué de la direction, « les interventions à caractère fortement polémique ont été à l’origine de vives réactions laissant présager un risque sérieux de troubles à l’ordre public », dans cette fac qui abrite de nombreux militants pro-
palestiniens. «  L’annonce de ce colloque a beaucoup heurté, précise Pascal Binczak. Je ne craignais pas tant des vitres brisées que l’atteinte au respect de chacun, qui constitue en soi un trouble à l’ordre public. »

Il s’agit aussi, selon le responsable universitaire, d’une question de méthodologie. « Il faut garantir l’équilibre entre la liberté d’expression, le pluralisme des opinions et la neutralité du service public. » Et, justement, les approches scientifiques de ce colloque, présenté comme universitaire, manquent de « pluralisme », selon Pascal Binczak. Qui propose à la place « une journée d’études permettant un débat contradictoire et la mise à disposition des services de l’université afin d’identifier d’autres locaux susceptibles d’héberger ce colloque ».


Lettre des 100 contre l’interdiction du colloque « Israël : un État d’apartheid ? » Les invités de Médiapart, 19 février 2012

Suite à l’interdiction du colloque prévu à Paris 8 intitulé « Israël : un État d’apartheid ? », Mediapart publie la lettre d’un collectif de chercheurs et de personnalités, parmi lesquels Étienne Balibar, Jacques Rancière, Olivier Roy, François Burgat, Sylvie Tissot, Alain Bertho, Roshdi Rashed, Judith Butler ou Luc Boltanski.

À l’attention de Pascal Binczak, Président de l’Université Paris 8

Monsieur le Président,

Nous tenons par la présente à vous faire part de notre consternation suite à votre décision de retirer l’autorisation que vous aviez préalablement accordée à la tenue du colloque « Des nouvelles approches sociologiques, historiques et juridiques à l’appel au boycott international : Israël : un État d’apartheid ? », qui devait se tenir les 27 et 28 février prochains dans votre établissement.

Cette décision nous semble particulièrement grave puisqu’elle met en péril la liberté d’expression et les libertés académiques. Les motifs que vous invoquez, et notamment le risque de « troubles à l’ordre public », ne nous semblent guère convaincants au regard des implications de votre décision.

Nous avons en effet appris que la direction de l’Université avait pris connaissance du programme du colloque et de la liste des intervenants avant de donner son accord, et que le Fonds de Solidarité et de Développement des Initiatives Étudiantes avait même attribué une subvention de 2500 euros à l’initiative.

C’est donc bien suite à des pressions, voire des menaces venues de l’extérieur que vous avez décidé de faire machine arrière. Cela nous semble particulièrement préoccupant : l’Université doit-elle se soumettre aux pressions politiques, de quelque ordre qu’elles soient ? N’est-ce pas précisément sa fonction que de permettre que les libertés académiques puissent s’exercer dans les meilleures conditions ?

Nous ne partageons pas nécessairement les vues et les objectifs du colloque des 27 et 28 février. Mais l’essentiel n’est pas là. Ce qui est en jeu est en effet le droit de mettre en débat dans l’espace public, en l’occurrence dans ce lieu symbolique qu’est l’Université, des travaux et des opinions qui méritent d’être entendues et qui ne sont en aucun cas répréhensibles d’un point de vue légal.

Lire la suite et voir la liste des 100 premiers signataires ici


Lettre ouverte de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP) à Monsieur Pascal Binczak, Président de l’Université de Paris 8

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dimanche 19 février 2012
Monsieur le Président de l’Université de Paris 8,

L’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), comme de très nombreux partisans de la liberté d’expression et du respect du droit, est consternée par votre décision d’annuler le colloque qui était prévu dans votre université les 27 et 28 février prochains sur le thème « Israël, État d’apartheid ? »

Alors que vous aviez accepté ce colloque, vous avez cédé 8 jours avant sa tenue aux injonctions du CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) [*], qui vous reproche de contrevenir à « l’interdiction de la provocation à la discrimination nationale, raciale ou religieuse envers des personnes ou groupes de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non appartenance à une race, une ethnie, une religion ou une nation ».

Lire la suite ici


Paris-VIII annule un colloque controversé sur Israël
Nathalie Brafman, Le Monde, 18 février 2012

Le Collectif Palestine de l’université Paris-VIII menace de saisir la justice si le président de l’établissement ne revient pas sur sa décision. Vendredi 17 février, Pascal Binczak a en effet annulé le colloque "Des nouvelles approches sociologiques, historiques et juridiques à l’appel au boycott international : Israël, un État d’apartheid ?", qui devait se tenir les 27 et 28 février.

Dans un premier temps, il l’avait autorisé au nom de la liberté d’expression, mais "sous réserve du respect absolu des principes de neutralité et de laïcité" et à condition que ce colloque "ne trouble pas l’ordre public".

"Nous avions même reçu, début janvier, 2 500 euros du fonds de solidarité pour son organisation", indique, consternée, Céline Lebrun. Pour cette militante, M. Binczak aurait cédé aux pressions.

Le Conseil représentatif des institutions juives (CRIF) avait dénoncé "un colloque discriminatoire" rappelant que le thème du boycottage "contrevient aux articles 225-1 et 225-2 du code pénal sur la discrimination et aux articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1981 sur l’interdiction de la provocation à la discrimination nationale, raciale ou religieuse (…)".

Par ailleurs, le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme avait également menacé de déposer plainte. M. Binczak se défend avec insistance d’avoir cédé aux pressions du CRIF. "Depuis trois ans, nous accueillons le festival Printemps Palestine, organisé par certains de nos étudiants. Mais c’est une manifestation culturelle et non politique", insiste-t-il.

"RISQUE DE TROUBLES"

Pour lui, le thème de ce colloque, la nature des interventions envisagées, comme les intitulés des contributions, "à caractère fortement polémique", ont provoqué de vives réactions – au sein même de l’université, selon lui –, "laissant présager un risque sérieux de troubles à l’ordre public et de contre-manifestations". En cause notamment, une table ronde intitulée "Présentation de la campagne internationale BDS, Boycott, désinvestissement, sanctions" par Omar Barghouti, membre fondateur de cette campagne, présent par vidéoconférence.

Reste à savoir quelle suite la justice pourrait donner à cette affaire. En mars 2011, le Conseil d’État avait jugé que l’École normale supérieure (ENS), en refusant de mettre une salle à la disposition du Collectif Palestine ENS qui voulait organiser une réunion en invitant des personnalités extérieures, n’avait pas porté atteinte au principe de liberté de réunion et d’expression des élèves.

À lire sur LeMonde.fr


Le Crif ordonne la censure, l’université Paris 8 obéit - Julien Salingue, Les invités de Médiapart, 17 février 2012

À lire dans Médiapart

Julien Salingue, membre fondateur du Cercle des chercheurs sur le Moyen-Orient, réagit à la décision de l’université Paris 8 de retirer son autorisation au colloque « Israël, un État d’apartheid ? » prévu les 27 et 28 février prochains et auquel il devait participer : « Comme l’an passé à l’ENS, la direction d’un établissement public d’enseignement supérieur a cédé aux injonctions » du Conseil représentatif des institutions juives de France.

En pièce jointe, le communiqué de l’Université Paris8

Dans un courrier daté du 17 février 2012, le président de l’université Paris 8 a informé les organisateurs du colloque « Des nouvelles approches sociologiques, historiques et juridiques à l’appel au boycott international : Israël, un État d’apartheid ? », prévu les 27 et 28 février prochains, qu’il retirait l’autorisation qu’il avait accordée à cette initiative.

Prétextant de possibles « troubles à l’ordre public », la direction de l’université a donc décidé d’annuler deux journées de conférences-débats réunissant des spécialistes venus, entre autres, de France, d’Italie, de Belgique et de Grande-Bretagne. Universitaires, journalistes, membres du Tribunal Russel sur la Palestine… n’ont donc pas droit de cité à Paris 8, héritière de l’université de Vincennes. Les fondateurs de cette dernière apprécieront. Michel Foucault et Gilles Deleuze doivent se retourner dans leur tombe.

Cette décision a de quoi surprendre ceux qui, comme moi, ont suivi de près l’organisation du colloque. L’université avait en effet non seulement accordé son autorisation mais également soutenu l’initiative en lui attribuant un financement du Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes (FSDIE). Le programme et les intervenants du colloque étaient alors connus. Que s’est-il passé depuis ?

Il y a 3 jours, le Crif publiait sur son site un « communiqué » dans lequel il dénonçait l’organisation du colloque. Invoquant la « provocation à la discrimination nationale, raciale ou religieuse », le Crif demandait la censure du colloque, diffamant au passage l’un des intervenants, Omar Barghouti, en affirmant que « les thèses prônées par ce dernier ont été jugées à plusieurs reprises comme constituant un délit de provocation à la discrimination précitée », alors que Barghouti n’a jamais été condamné.

Le CRIF ne se contentait pas d’appeler à la censure, mais menaçait : « De par sa nature, ce colloque pourrait être susceptible de provoquer des troubles manifestes à l’ordre public ».

Comme l’an passé à l’ENS, certains « amis d’Israël » ont donc décidé d’exercer des pressions sur une institution universitaire, foulant au pied la liberté d’expression et les libertés académiques. De toute évidence, le débat n’est pas le point fort du Crif et de ses affidés, pour qui certaines questions ne méritent même pas d’être posées dans l’espace public.

Et comme l’an passé à l’ENS, la direction d’un établissement public d’enseignement supérieur a cédé aux injonctions et aux menaces d’un organe qui prétend représenter la communauté juive de France mais qui n’est en réalité qu’une représentation diplomatique bis de l’État d’Israël. La direction de l’université Paris 8 n’en sort pas grandie.

Espérons que la communauté universitaire et tous les défenseurs de la liberté d’expression et de la liberté académique réagiront à cette consternante décision. Et attendons aussi, sans trop d’espoir, la réaction des dirigeants politiques qui se sont récemment pressés au dîner du Crif.

Nul besoin de partager les points de vues des différents intervenants au colloque, qui sont en outre très loin d’être unanimes sur les questions qui seront discutées, pour comprendre ce qui est en jeu ici. Que le Crif refuse d’entendre tout propos critique au sujet d’Israël est une chose. Qu’une université s’incline face à des menaces de cet ordre en est une autre. Car ce sont bien des libertés démocratiques essentielles qui sont ici bafouées, et nul ne sait qui sera la prochaine victime de ces campagnes d’intimidation et de censure.

« Plus on prendra de soin pour ravir aux hommes la liberté de la parole, plus obstinément ils résisteront » (Spinoza).

Annexe

Pour information, le résumé de l’une des deux interventions que j’ai préparées pour le colloque. Chacun pourra ainsi juger sur pièces.

L’administration civile de l’apartheid

Juin 1967. Après la guerre des 6 jours, Israël occupe l’ensemble de la Palestine. Les habitants palestiniens de Cisjordanie et de Gaza se retrouvent, de facto, sous administration israélienne. Une administration militaire des territoires occupés est mise en place, qui va régir la vie quotidienne des Palestiniens au moyen d’ordres militaires. Officiellement nommé « Administration civile » en 1981, le gouvernement militaire n’a toujours pas, à l’heure actuelle, été dissous. Il continue d’émettre des ordres qui ont force de loi et qui peuvent, le cas échéant, conduire les Palestiniens à être jugés et condamnés par des tribunaux militaires israéliens. Pour la seule année 2010, 9542 Palestiniens ont été déférés devant ces tribunaux, avec un taux de condamnation de 99.74%.

Les colons israéliens, bien que résidant eux aussi en Cisjordanie, ne sont pas sujets aux mêmes lois et réglementations. Divers mécanismes juridiques leurs permettent en effet d’échapper aux ordres et aux tribunaux militaires, et de ne répondre qu’aux lois et à la justice civile israéliennes, moins contraignantes et plus respectueuses des droits de la défense. Coexistent donc, au sein d’un même territoire, deux systèmes judiciaires qui traitent de manière différenciée les habitants de Cisjordanie en fonction de critères ethnico-religieux. Comment est organisé ce système discriminatoire ? Comment se manifeste-t-il au quotidien ? Dans quelle mesure est-il l’expression de pratiques pouvant être assimilées à une politique d’apartheid ?



Le colloque sur le boycott d’Israël annulé à Paris 8, Marie-Estelle Pech, Le Figaro, 16 février 2012

Pour lire cet article sur le site du Figaro

Après l’École normale supérieure (ENS) l’année dernière, c’est l’université Paris-VIII qui est l’objet d’une polémique concernant « l’Israël apartheid week ». Le sujet des colloques organisés dans le cadre de cette campagne est de promouvoir le boycott des échanges scientifiques et économiques avec l’état d’Israël.

Le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) qui avait dénoncé cette semaine ce « colloque discriminatoire anti-israélien » prévu dans cette université les 27 et 28 février s’était dit choqué au sujet des conférences programmées : « l’apartheid, un concept pertinent pour l’analyse de la question palestinienne » et « le boycott d’Israël, une mise en perspective ».

Vendredi 17 février, en début d’après-midi, le président de l’université Paris-VIII a finalement décidé d’annuler la manifestation alors qu’il l’avait autorisée dans un premier temps. « Il apparaît cependant aujourd’hui que le respect de ces conditions ne peut pas être regardé comme suffisant pour garantir le maintien de l’ordre public dans les locaux, ainsi que l’indépendance intellectuelle et scientifique de l’établissement, où le pluralisme des approches scientifiques et de l’analyse critique et contradictoire doivent être regardés comme des obligations académiques intangibles », écrit-il dans un communiqué.

Risque sur le principe de neutralité du service public

« En effet, la présentation de ce « colloque » comme étant « universitaire », ainsi que la présence répétée de « Paris VIII » sur les supports de communication relatifs à ce colloque peuvent être, en eux-mêmes, de nature à créer une confusion susceptible de porter atteinte à l’exigence d’indépendance de l’université de toute emprise politique ou idéologique. Les réactions suscitées par la tenue de cette manifestation, dès lors qu’elles mettent en cause l’université, démontre qu’une confusion s’est installée et qu’un risque réel pèse sur le respect du principe de neutralité du service public d’enseignement supérieur et de recherche. », indique-t-il encore.

Précédent judiciaire de l’école normale supérieure

Les organisateurs du colloque vont-ils parler d’atteinte à la liberté d’expression ? C’est probable. Mai il existe un précédent judiciaire : l’ordonnance de référé du Conseil d’État en date du 7 mars 2011. Dans cette affaire, la plus haute juridiction administrative en France avait jugé qu’en refusant de mettre une salle à la disposition du « Collectif Palestine ENS » qui souhaitait organiser une réunion à l’École normale supérieure en invitant des personnalités extérieures afin de stigmatiser Israël, la directrice de l’école n’avait pas porté atteinte au principe de la liberté de réunion et d’expression des élèves.

Au sujet de Paris-VIII, le Crif s’alarmait notamment de « la présence du théoricien de la campagne de boycott contre Israël (campagne boycott, désinvestissement et sanctions, dite BDS), Omar Barghouti ». Cette dernière « est d’autant plus choquante que les thèses prônées par ce dernier ont été jugées à plusieurs reprises comme constituant un délit de provocation à la discrimination précitée. »

« De par sa nature, ce colloque pourrait être susceptible de provoquer des troubles manifestes à l’ordre public », affirmait le Crif qui demande que l’Université de Paris-VIII « ne puisse permettre des manifestations violentes et discriminatoires qui, par leur nature, iront au-delà de la mission éducative de celle-ci. »