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"Chercheurs, haut et fort" : dossier "Academic pride" de "Libération" du 27 mai 2008

mardi 1er juillet 2008, par Laurence

Rebelles. Qu’est-ce qui fait encore courir les scientifiques ? Des jeunes chercheurs répondent à l’occasion de l’« Academic Pride », manifestation organisée aujourd’hui contre la réforme du CNRS et le sous- financement du secteur.

Recueilli par C.Bn Recueilli par C.Bn R ecueilli par S.H. Recueilli par C.Bn

« Academic Pride »… C’est sous cette bannière provocatrice que les mouvements Sauvons la recherche et Sauvons l’université ainsi que plusieurs syndicats appellent aujourd’hui le monde scientifique à des manifestations dans toute la France. En fait de « coming out », il s’agit d’affirmer haut et fort la fierté d’être chercheur et la défense de la recherche publique en protestation contre une politique et un discours gouvernementaux qui, sous bien des aspects, portent le discrédit sur la recherche académique.

En dépit des longs parcours de formation, de la rareté des postes, de la modestie des salaires et des carrières, chaque année des jeunes espèrent un engagement dans la recherche publique. Qu’est-ce qui peut donc, aujourd’hui encore, les motiver ? Libération donne la parole à cinq « jeunes chercheurs », pas toujours juniors mais qui ont décroché leur premier poste dans le public il y a quelques années seulement.

La plupart des gens ont une idée assez floue de la vie des chercheurs. Ils en voient dans les séries américaines qui appuient sur un truc et, eurêka, la solution jaillit.

En fait, être chercheur, c’est d’abord aimer démonter des choses, regarder ce qu’il y a l’intérieur, essayer de comprendre comment ça marche. J’ai toujours aimé ça, du plus loin que je me souvienne. Juste avant le bac, j’ai mis un mot sur ce plaisir-là : chercheur. Ensuite, j’ai fait de la biologie à la fac jusqu’à la thèse, puis je suis partie aux Etats-Unis où je suis restée neuf ans à faire de la recherche comme post-doc.

Là, j’ai découvert chez les mammifères un gène contrôlant une fonction tout à fait étonnante : il détermine l’orientation de certaines structures (par exemple, les poils de la peau) par rapport à un axe, un peu à la façon d’une boussole.

Il y a trois ans je suis rentrée en France, et il y a un peu plus d’un an, j’ai été recrutée à l’Inserm. De ce point de vue, je suis « jeune chercheure », à 39 ans ! Et je m’estime privilégiée, même si je fais des journées de quinze heures, parfois.

On imagine le scientifique rivé à son labo. En fait, il y a le temps des expériences, celui de la lecture, de l’écriture, des discussions avec des chercheurs d’autres équipes, d’autres cultures. Et les colloques où on présente ses travaux. J’ignore la routine. C’est un luxe formidable. Il est directement lié au fait de pouvoir mener des recherches comme on l’entend, dans un environnement correctement doté, au plan humain et matériel.

Si je suis revenue en France, c’est précisément parce que j’ai eu l’assurance d’avoir les moyens de continuer mes travaux sur ce gène qui s’avère aujourd’hui impliqué dans toutes sortes de troubles : des malformations de la moelle épinière du type spina bifida, mais aussi la surdité, des malformations cardiaques, ou encore des perturbations du système nerveux…

J’ai en effet bénéficié d’un contrat Avenir au terme duquel un chercheur de l’Inserm reçoit 60 000 euros par an pendant au moins trois ans pour son projet. C’est un gros coup de pouce qui permet de monter une petite équipe avec un post-doc. Mais seulement un coup de pouce car cette somme est modeste, il faut trouver des financements complémentaires pour recruter ou s’équiper. Et c’est un soutien précaire. J’ignore ce que deviendront ma recherche ou mon équipe à l’échéance du contrat.

« J’ai toujours voulu être chercheur. Et depuis tout petit, j’ai su que je voulais travailler sur les insectes. En 2002, après un an de prépa, une maîtrise, un DEA, une thèse et trois ans de post-doc aux Etats-Unis, j’ai eu ce que je voulais : un poste au CNRS, dans un laboratoire du Muséum national d’histoire naturelle, à Paris. Je suis entré à 1700 euros, ce n’est pas énorme pour un niveau bac+9. Mais j’ai le privilège de faire ce que j’aime.

J’étudie les collemboles, des petites bêtes à six pattes qui ont colonisé la planète. Un groupe immense, 8 500 espèces décrites. Elles mangent des microbes et des champignons du sol et jouent un rôle majeur dans le recyclage de toute la matière organique. Ce qui m’intéresse, c’est qu’elles sont à la transition de deux mondes qui marquent deux étapes de l’histoire du vivant : le milieu aquatique et terrestre. Elles vivent dans des sols gorgés d’humidité. Comme certains crustacés, elles n’ont pas d’organe respiratoire : elles captent l’oxygène de l’eau avec leur peau. En les étudiant de près, au plan morphologique, génétique, écosystémique, on peut espérer mieux comprendre comment on est passé de la vie immergée à la vie émergée.

Ces questions m’amènent à faire un travail très polyvalent au labo, avec beaucoup d’informatique et d’instruments, et en forêt, pour des observations et des collectes : l’an dernier, j’étais au Chili, en Argentine et à Madagascar. Moins drôle : je fais de plus en plus de paperasse. Pour les petites commandes, on doit fournir cinq devis. Et il faut partir à la chasse aux financements. Avec mon poste et mon gros labo, je suis privilégié. Mais j’assiste à une précarisation de la profession, doublée d’une obsession du résultat à court terme. On a le sentiment qu’on ne fait pas confiance aux chercheurs en France. Aux Etats-Unis où j’ai travaillé, une fois que vous avez obtenu le financement, on vous laisse libre. »

« J’ai été formée comme ingénieure à l’école de physique et de chimie de Paris, dirigée à l’époque par Pierre-Gilles de Gennes. J’ai fait des stages dans des entreprises, mais je voulais plus de liberté, de découvertes, d’initiative, j’étais motivée par la volonté de comprendre le monde.

Je travaille au laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, à Saclay. Glaciologue, j’étudie les bulles d’air piégées dans les glaces ainsi que de l’eau de pluie recueillie un peu partout dans le monde. C’est un outil décisif pour reconstituer et comprendre les climats du passé. C’est très expérimental, je manipule des objets concrets, je développe des méthodes d’analyse avec des spectromètres de masse… Je ne me vois pas passer mes journées devant un ordinateur à faire de la théorie et des calculs. J’aime bien le travail en équipe. Ce qui me plaît surtout au CNRS, c’est la liberté, la possibilité de prendre une année sabbatique à l’étranger, de changer de laboratoire, de sujet, de prendre le risque de développer une nouvelle technique d’analyse… Cependant, durant ma première année de chercheure, j’ai dû écrire quatre projets pour demander de l’argent à l’Agence nationale de la recherche (ANR). Heureusement que les crédits du Commissariar à l’énethie atomique (CEA) m’ont permis de commencer à travailler sans attendre. Mais je suis énervée par ce discours négatif sur les chercheurs, sur la science française. Il est traduit par mon salaire, 1750 euros net par mois. Franchement, c’est pas terrible. Alors, on se mobilise. »

« J’ai fait Centrale-Paris, puis un master de maths appliquées à Cambridge, en Angleterre, puis une thèse de bioingénierie, à Stanford, aux Etats-Unis, où j’ai passé six ans. Aux Etats-Unis, avant de commencer ma thèse, j’ai eu une proposition d’une entreprise de haute technologie après y avoir fait un stage d’ingénieur. Mais mon mémoire de master m’avait fait entrer dans un monde qui m’a passionnée, à la frontière des mathématiques et de la médecine : la mécanique des fluides appliquée à la biologie. J’ai voulu continuer de l’explorer lors de ma thèse. Ensuite, il y a deux ans, j’ai réussi le concours de l’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique), et j’ai décidé de rentrer en France. Maintenant, je fais ce que je voulais faire : j’essaie de modéliser la circulation sanguine normale et pathologique. L’objectif est de créer des modèles sur lesquels on pourra tester par exemple les différentes options chirurgicales proposées en réponse à des malformations de naissance. Ce sont des médecins qui nous ont approchés pour cette recherche. Ils aimeraient pouvoir prédire l’impact de leur acte chirurgical, notamment chez les enfants.

J’aime ce travail qui me donne l’espoir de découvrir quelque chose d’utile avec des connaissances très théoriques. J’aime aussi l’ouverture des équipes : une dizaine de nationalités travaillent ici, et nous collaborons aussi avec des PME. En revanche, je trouve choquant d’être aussi peu payée, surtout parce que cela traduit un manque de reconnaissance, en France, de l’importance de la recherche. Aux Etats-Unis ou dans d’autres pays, les chercheurs gagnent plus et ont, comme par hasard, plus de considération sociale. Aller dans le privé, c’est évidemment une option. Mais il y a dans le public, en France, quelque chose de précieux : la liberté de prendre des risques, d’émettre des hypothèses audacieuses, sans craindre pour son poste. Cette liberté attire encore des étrangers. J’espère que la France ne va pas perdre cet avantage. »