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Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur : ce qui l’attend, par François Garçon, enseignant-chercheur, Le Nouvel Observateur, 17 mai 2012

dimanche 20 mai 2012

Pour lire ce point de vue sur le site du Nouvel Obs

"Quand la Marabunta gronde". Qui se souvient de ce film que signe Byron Askin en 1954 ? En Amazonie, un riche planteur découvrait un jour que son domaine était sur le point d’être ravagé par le trek inexorable de quelques milliards de fourmis légionnaires.

Le sympathique navet aura-t-il droit à son remake, prenant cette fois l’enseignement supérieur français comme jungle indigène ? Le pire n’est jamais certain. Mieux vaut pourtant ne pas sous-estimer l’énergie des milliers d’enseignants-chercheurs pour qui les réformes engagées dans la LRU sont la marque infâmante d’un enseignant-supérieur soumis aux diktats du grand capital, du méchant marché, de l’entreprise privée, du profit, etc.

Combats à venir

Pour beaucoup des contre-révolutionnaires qui s’échauffent dans les travées, la LRU n’est "pas amendable" et la Conférence des Présidents d’Université devra payer de s’être commise dans cet abandon des "principes d’indépendance, de collégialité et de démocratie" qui, selon eux, gouvernaient l’enseignement supérieur avant Valérie Pécresse. Qui s’est un jour heurté au mur de népotisme dans les années 1990/2000 sourira à la lecture de cette vision idéalisée du passé.

Les zones de combat à venir sont connues par avance : défense du statut de fonctionnaire de l’Etat, ou encore gratuité des "enseignements dispensés à l’université, qu’il soit en formation initiale ou salarié/chômeur". Considérant l’actuelle extrême modicité des droits d’inscription, à l’exception de deux ou trois établissements où se bousculent les gamins des beaux quartiers, on s’interroge sur la signification de cette "gratuité" revendiquée comme future Bastille à prendre ou à défendre.

Il s’agira encore de "revenir à un traitement équitable entre universités pour satisfaire à l’exigence d’un enseignement et d’une recherche de qualité sur tout le territoire, au service des étudiants". On s’interrogera sur quoi sera fondé le traitement "équitable" : nombre d’étudiants inscrits ? Autrement dit, les étudiants de l’université Pierre et Marie Curie seront dotés de ressources identiques, par tête d’étudiants, que ceux des universités de Corte ou de Toulon ? Très drôle, enfin peut-être pas pour les étudiants et les enseignants-chercheurs de Pierre et Marie Curie…

Un ministère boursouflé ?

Pour la faire courte, la ministre de l’Enseignement supérieur se trouve à un carrefour. Soit, il continue de scruter ce qui se passe à l’étranger, et par étranger il faut qu’il s’intéresse à la Hollande, à la Grande-Bretagne ou à la Suisse (à noter, je n’ai mentionné ni les Etats-Unis, ni le Canada, où pullulent pourtant les jeunes étudiants expatriés français, mais où les universités sont asservies à des principes de dépendance, de non collégialité et de tyrannie), soit la ministre réinvente la roue carrée : un ministère boursouflé, où tout se décide dans l’ignorance certes de ce qui se passe sur le terrain, mais qui n’est pas asservi au "clientélisme", que la LRU aurait fait émerger (rires).

À lire ce que produisent actuellement les intranets de beaucoup de nos universités, le futur de l’enseignement supérieur français paraît bien franchouillard, bunkerisé, avec le pied écrasant la marche-arrière, les sirènes claironnant l’arrivée de la "démocratie citoyenne". Aucun doute : la marabunta est en marche.

Les maux et vertus de la LRU

Mais les spécialistes vous le diront : la marabunta a aussi des effets bénéfiques. Dans leur migration dévastatrice, les fourmis carnivores nettoient tout en effet, y compris les parasites les plus virulents. Dans cette optique, on peut se féliciter du passage des ravageuses. Car si la LRU est vertueuse, ne serait-ce que pour avoir enfin étudié ce qui se passait hors de notre parc Astérix, la LRU est aussi porteuse de maux divers.

Le pire est sans conteste "la modulation de services", cette charge d’enseignement supplémentaire imposée aux enseignants-chercheurs qui ne publient pas ou rien. Partout sur le globe, les universités de renom savent qu’elles hébergent un enseignant-chercheur sur deux dont la stérilité est avérée, et elles vivent avec.

À ma connaissance, il n’est venu à l’idée de personne de sanctionner ce collègue en lui collant davantage d’heures de cours. Voilà pourquoi les primes de publication, très combattues en France, étaient une bonne idée puisqu’ignorant les non-publiants, elles récompensent les plus actifs parmi les enseignants-chercheurs. Oui, mais voilà : les primes, en France, ne sont tolérées qu’à la condition de bénéficier aux sportifs. Comprenne qui pourra.

Première mission pour la ministre : aller en Suisse

Après la suppression de la modulation de services, espérons encore que la marabunta rouge liquidera le calendrier imposé aux universitaires, qui les maintient dix mois dans leur établissement. Nulle part ailleurs, un tel régime n’est imposé aux enseignants-chercheurs. Démissionnant de son poste de rédacteur en chef du magazine "Fortune" pour enseigner à Harvard, Daniel Bell donnait quatre raisons à son départ : juin, juillet, août, septembre. Quatre mois pour faire non du jardinage, mais de la recherche… Il est consternant que, pour satisfaire semble-t-il aux revendications d’un syndicat d’étudiants, les universités françaises soient désormais soumises au régime des CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles), d’où nulle recherche n’est jamais sortie.

La ministre de l’Enseignement supérieur aurait d’abord intérêt à se rendre gare de Lyon pour aller visiter l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (durée du déplacement : un jour. Budget voyage : 140 euros), puis, au retour, d’aller gare du Nord pour aller voir l’Imperial College à Londres (durée du déplacement : un jour. Budget voyage : 160 euros), puis l’université d’Utrecht, en Hollande (durée du déplacement : 1 jour. Budget : 180 euros).

Ces brèves visites terminées, la ministre, que l’on espère sans épaisses œillères, pourra constater à quel point notre enseignement supérieur reste ringard, nonobstant la bénéfique LRU. À propos des déplacements suggérés, qu’il me contacte, je peux essayer de lui avoir des billets à tarifs attractifs.

François Garçon est l’auteur de "Le dernier verrou. En finir avec le Conseil National des Universités" publié par Media Faculty.