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Elections d’enseignants-chercheurs cassées : analyses et réactions diverses. MàJ 14 juin 2012

jeudi 14 juin 2012

Après Strasbourg, Aix-en-Provence.... L’actualité semble confirmer les analyses faites dès 2007 ou début 2008 (voir par exemple ici ou ) sur les effets probables de la LRU sur les recrutements. Après le communiqué du SNESUP-­FSU d e l’Université de Strasbourg et l’analyse sur Mediapart de P. Maillard, SLU publie d’autres réactions et analyses.

Que le moins cher gagne !
Réflexions sur l’élection de Strasbourg

par Emmanuel Buron

Le CA restreint aux professeurs de l’université de Strasbourg s’apprête à ne pas transmettre au ministère le classement proposé par le comité de sélection chargé de recruter un professeur de littérature du XVIe siècle. Il torpillerait ainsi ce poste qu’il a lui-même souhaité pourvoir, alors même qu’aucun dysfonctionnement n’a été constaté au cours du processus de recrutement. Cette aberration montre une fois de plus les contradictions de la prétendue autonomie des universités.

Rappelons d’abord les faits. L’université de Strasbourg a publié un poste de professeur en littérature française du XVIe siècle, qui a donné lieu à un concours de recrutement en mai dernier. Un comité de sélection a été constitué, a fait son travail et a produit un classement. A la suite de quoi, le CA restreint aux professeurs a décidé de ne pas transmettre de classement au ministère, ce qui revient dans les faits à annuler la procédure d’élection et, peut-être, à perdre le poste. Il n’y avait aucun spécialiste de littérature française dans ce CA et cette décision ne procède pas d’un désaccord scientifique avec le classement du comité de sélection. Mais il y avait à l’université de Strasbourg un maître de conférence habilité à diriger des recherches et un PRAG qui avait soutenu un doctorat, et le scénario de l’élection était écrit à l’avance : le maître de conférences devait être élu sur le poste de professeur et le PRAG, sur le poste de maître de conférences ainsi libéré. Quant au poste de PRAG, il pouvait être transféré vers un autre département. Il s’agissait en somme d’organiser une opération de promotion de collègues en place, sans augmenter l’effectif des enseignants dans le département de lettres. En classant en tête un candidat extérieur à l’université de Strasbourg, le comité de sélection a compromis ce plan : un nouveau professeur entrait ainsi dans le département et bloquait le jeu des chaises musicales programmé. Contrarié, le CA restreint a décidé d’interrompre le recrutement.

Dans cette affaire, le comité de sélection a fonctionné normalement. La loi L.R.U., qui a institué ces comités à la place des anciennes commissions de spécialistes, impose qu’ils soient composés au moins pour moitié de membres extérieurs à l’université recruteuse, pour garantir l’indépendance de la sélection par rapport aux enjeux locaux. C’était même le grand argument des promoteurs de ces comités de sélection, très contestés comme l’ensemble de la LRU au moment de leur instauration : ils devaient être l’arme fatale contre le localisme, cette tentation qui peut pousser les membres d’un département à recruter un collègue déjà en place dans leur département, au détriment d’autres candidats qui présenteraient un meilleur dossier scientifique. Le problème est réel, mais sa dénonciation n’est pas toujours exempte de préjugés (pourquoi les « locaux » porteraient-ils fatalement leur choix sur un mauvais candidat ? Est-il aberrant de recruter un collègue dont on a déjà pu apprécier les qualités pédagogiques ou administratives ?). Toujours est-il que la critique du localisme renvoie au souci de fonder le recrutement sur le critère privilégié de la qualité scientifique, avant les qualités pédagogiques ou les compétences administratives. C’est dans cet esprit que les comités de sélection doivent être composés d’au moins la moitié de « membres extérieurs ».

Ce que l’affaire de Strasbourg met en évidence, c’est que loin de combattre le localisme, la L.R.U. en favorise une forme bien plus radicale que la précédente : elle n’est pas le fait des départements mais du CA et elle est indifférente à la qualité des candidats locaux, pures quantités, simples numéros de poste, qui ont pour seul atout d’être déjà là et donc de permettre un recrutement « à effectif constant ». Le candidat sur place est le candidat moins cher, donc le candidat le meilleur. Pour ce localisme à bas prix, le critère économique est le seul pertinent. Or, il résulte directement de la L.R.U., qui a donné aux universités la responsabilité de leur budget tout en comprimant celui-ci au point de rendre difficile le paiement des traitements : d’où la tentation de recruter localement à pas cher. C’est ainsi que l’autonomie doit favoriser l’excellence.

C’est donc du conflit de deux instances – le comité de sélection et le CA – qu’il s’agit, et de deux manières d’envisager l’intérêt d’une candidature. En conférant au CA restreint la responsabilité effective du recrutement, la loi sur l’autonomie des universités a simplement subordonné les exigences scientifiques aux critères de coût et a renforcé le localisme.

La décision du CA restreint strasbourgeois met en évidence les contradictions internes de la loi et les dommages collatéraux sont considérables. L’université de Strasbourg en sort singulièrement discréditée car le poste a été publié avant que le CA ne reprenne sa parole : le besoin pédagogique et scientifique a donc été reconnu et il a été jugé possible de le faire savoir publiquement. Ou bien l’université de Strasbourg a découvert entre le début et la fin de la procédure que ses finances étaient dans le rouge, et on peut s’interroger sur la qualité de sa gestion ; ou bien la direction de l’université n’a accepté le hasard d’une élection qu’à la condition que soit fixé à l’avance le nom de l’heureux élu, et la procédure fait fi du principe de décision collégiale. Le refus du CA est donc humiliant pour le comité de sélection dont l’avis scientifique ne vaut que s’il cautionne rétrospectivement une décision gestionnaire prise antérieurement. Les membres du comité ont travaillé pour rien : ils étaient dix, ils se sont réunis deux fois et ils ont dû étudier les dossiers, ce qui représente au minimum trente jours cumulés de travail inutile. A l’heure où les services d’une même université se facturent réciproquement leurs prestations, on se prend à regretter qu’il n’en aille pas de même pour les comités de sélection. Les CA hésiteraient peut-être alors à les convoquer pour rien. C’est enfin des candidats que le CA de Strasbourg se moque : ils ont investi de l’argent, de l’énergie et des espoirs dans un concours qui s’est révélé un leurre.

C’est un poste de littérature qui risque de disparaître. L’idéologie qui inspire la L.R.U. ne conçoit de recherche que positive : les disciplines à encourager sont celles dont les résultats sont utilisables. Les matières de connaissance, de discernement et de critique lui paraissent négligeables. C’est plus particulièrement un poste de littérature du XVIe siècle mais, en dépit du passé illustre de la ville en la matière, se soucie-t-on encore de l’humanisme à Strasbourg ?

Pour rendre à l’exigence scientifique la primauté qu’elle devrait avoir dans l’université, pour traiter correctement les candidats et les collègues, pour éviter le discrédit des universités, les CA n’ont d’autres solutions que de renoncer aux pouvoirs que leur donne la loi et de suivre l’avis des comités. Après tout, ce sont les CA qui ont décidé de la publication des postes et qui ont institué les comités : quelle logique y a-t-il à désavouer les seconds ou à supprimer les premiers ? Espérons qu’avant le 12 juin, la présidence de Strasbourg reviendra sur sa décision.

Emmanuel Buron

(Maître de conférence en littérature française du XVIe s. à l’université de Rennes 2)


"Pour une réforme des comités de sélection", Claire Crignon et Véronique Le Ru

A lire sur le site Academia

Nous voudrions témoigner par ce billet d’une situation désastreuse sur le plan institutionnel et humain.

Une série d’annulations de recrutements de maîtres de conférences ou de professeurs vient en effet de frapper le milieu universitaire. D’abord à la faculté de lettres de Strasbourg, ensuite au département de philosophie de l’Université d’Aix-Marseille et en histoire de l’art à Clermont-Ferrand. Ces récents événements viennent confirmer ce que l’on pouvait d’emblée craindre des effets de la réforme des universités initiée au moment de la loi dite LRU. Rappelons que le conseil constitutionnel et le conseil d’Etat ont affirmé que le jury du concours était bien le comité de sélection et que le conseil d’administration ne pouvait pas modifier ni remettre en cause le classement proposé par le comité à moins de pouvoir faire état d’un non respect de la procédure sur un plan administratif ou bien d’être en mesure de montrer que les candidatures retenues compromettent la stratégie de l’établissement (cf. Cons. const. 6 août 2010, déc. n°2010-20/21 QPC ; CE., 15 décembre 2010).
Mais cette procédure à deux niveaux (une liste soumise au CA par un comité qui n’a pas pouvoir décisionnel, un CA qui valide ou non une élection sans avoir assisté aux auditions) conduit à des effets pervers. En effet, d’un côté on a un comité constitué de pairs qui juge qui est le plus qualifié, parmi les candidats, à devenir un des leurs, de l’autre on a un conseil hétérogène où au mieux un ou deux représentants de la discipline dont un poste est mis au concours est représenté. Pour peu que le classement proposé par le comité ne soit pas conforme aux attentes locales et que des pressions s’exercent sur le CA, une élection qui s’est pourtant effectuée selon les règles démocratiques est cassée.

Quelle image l’université française va-t-elle donner à l’étranger si nous acceptons la généralisation de cette situation ? Pouvons-nous accepter que soit annulé l’ensemble d’une procédure qui mobilise entre 5 et 10 candidats, selon les postes, et une douzaine de professeurs et maîtres de conférences ? Avons-nous besoin de rappeler ici la rareté des postes, la difficulté non seulement du parcours qui conduit un doctorant à pouvoir postuler à ces emplois, les conséquences de l’annulation d’une telle décision non seulement pour le dit candidat mais aussi pour l’établissement susceptible de perdre le poste ? S’il est désormais possible d’annuler une élection sous le seul prétexte qu’elle déplaît localement, à quoi bon continuer à constituer des comités en choisissant leurs membres parmi les spécialistes reconnus du domaine dans lequel il s’agit de recruter ? Nous voudrions ajouter que les personnes classées première qui voient ainsi tous leurs espoirs sombrer du fait du népotisme ambiant sont souvent, en ce qui concerne la philosophie du moins, des femmes. Au moment où la parité s’affiche dans le gouvernement, il serait peut-être temps de faire cesser ces injustices ainsi que la disparité flagrante, en philosophie toujours, de la composition des comités de sélection : au mieux y recense-t-on 25% de femmes et souvent entre 0% et 10%.

Face à ces dysfonctionnements, il nous semble urgent d’en appeler dans le cadre de la demande récemment formulée de l’abrogation du décret Pécresse du 23 avril 2009 (n° 2009-460), à une révision du statut des comités qui viserait, toujours en respectant la parité entre membres internes et externes, à leur donner un réel pouvoir décisionnaire et non pas simplement consultatif.

Claire Crignon, MCF Philosophie Université Paris-Sorbonne, Véronique Le Ru, MCF habilitée, Université de Reims.

Remise en cause par les Présidents d’Université et les CA des classements opérés par les comités de sélection : la nécessité d’une réforme, Communiqué de QSF, 11 juin 2012

A lire sur le site de QSF

Quelques jours après l’affaire de Strasbourg, une seconde annulation d’une procédure de recrutement a été décidée, cette fois par le Conseil d’administration de l’Université d’Aix-en-Provence, après établissement par le comité de sélection du classement des candidats retenus sur un poste de philosophie.

Le poste était profilé « Philosophie et savoirs à l’époque classique et moderne », et la fiche publiée sur Galaxie spécifiait que le candidat recruté devait être un bon connaisseur de la tradition rationaliste de Descartes à Leibniz, et qu’il serait rattaché à un axe de recherche portant sur l’« histoire et philosophie des sciences mathématiques, de la physique et de la biologie ». Conformément à la règle et à l’esprit de la réforme LRU qui a donné naissance aux Comités de sélection, ce dernier était composé pour au moins moitié d’extérieurs, dont la plupart étaient des spécialistes reconnus du domaine de recherche défini par le profil du poste. Le comité a conduit ses travaux dans le respect du profil, en classant première une candidate au dossier très solide, travaillant aux frontières de la philosophie classique et de l’histoire des sciences biologiques et médicales, sur la vie et le vivant chez Spinoza et Leibniz.

L’annulation par le Conseil d’administration de la procédure, au mépris du travail accompli par les membres du comité, ne s’appuie sur aucun motif scientifique. En réalité, la candidature retenue ne convenait pas à certains locaux, qui lui préféraient d’autres candidatures, jugées par le Comité hors profil ou scientifiquement moins solides.

QSF ne peut que constater que ces pratiques sont de moins en moins isolées. Elles reposent sur un défaut de la loi LRU : celle-ci a accompagné la création des Comités de sélection, censée mettre un frein aux pratiques localistes auxquelles l’ancien système pouvait donner lieu, d’un pouvoir conféré au Président de l’Université et au Conseil d’administration de refuser de transmettre au ministère les classements rendus par ces Comités de sélection.

Craignant la recrudescence de conflits d’intérêts auxquelles de telles prérogatives, non encadrées par des textes précis, peuvent donner lieu, QSF souhaite que le nouveau gouvernement, dans le cadre de la future loi d’orientation sur l’Université, revienne sur ces pouvoirs excessifs accordés aux Présidents d’Université et aux Conseils d’administration.

La L.R.U., facteur de développement du « localisme » dans les recrutements universitaires ? par Fabrice Melleray, site QSF, 07 juin 2012

A lire sur le site de QSF

Le recrutement local pratique consistant à privilégier systématiquement au moment des recrutements en qualité de maître de conférences ou de professeur des candidats déjà en poste au sein de l’établissement, même dans l’hypothèse où des candidats dits « extérieurs » justifieraient le cas échéant de dossiers scientifiques manifestement plus étoffés, est hélas une pratique ancienne.

Q.S.F., qui se refuse à accepter ou cautionner cette attitude contraire aux exigences du principe d’égal accès aux emplois publics, considérant que les seuls critères valables sont ceux posés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (qui affirme que la capacité doit primer sans autre distinction que celle des vertus et des talents, art. 6), entend une nouvelle fois alerter les pouvoirs publics et la communauté académique sur ce fléau, qui sape la légitimité des universités et des universitaires, et dénoncer les risques ouverts par la L.R.U. sur ce point.

Alors même que le législateur avait en 2007 pour ambition revendiquée de remettre en cause le localisme (en remplaçant les commissions de spécialistes par les comités de sélection, composés pour moitié au moins de membres extérieurs à l’établissement), on constate malheureusement que ces pratiques perdurent, voire se développent, et que les juges, qui connaissent mal le monde universitaire, ont adopté des positions qui s’avèrent favorables au localisme.

Certes, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat ont semblé s’opposer à cette dérive en procédant à une forme de réécriture contentieuse de la L.R.U. (Cons. const., 6 août 2010, déc. n°2010-20/21 QPC ; C.E., 15 décembre 2010, SNESUP-FSU et autres, req. n°316.927) et en affirmant à cette occasion que le jury des concours de recrutement n’était pas le conseil d’administration (comme l’avaient envisagé les rédacteurs de la loi) mais le comité de sélection. Il en découle notamment, conséquence qui n’est assurément pas négligeable, que le conseil d’administration, lorsque le comité de sélection lui a transmis une liste de candidats classés par ordre de préférence, ne peut pas remettre en cause ce classement et le modifier (C.E., 26 octobre 2011, D., req. n°334.084).

Mais tant le Conseil constitutionnel que le Conseil d’Etat ont laissé subsister deux outils juridiques permettant aux élus de l’établissement de s’opposer au choix du comité de sélection : le droit de veto du président (art. L.712-2 du code de l’éducation) ; le pouvoir du conseil d’administration siégeant en formation restreinte aux enseignants-chercheurs et personnels assimilés de rang au moins égal à celui postulé de bloquer la procédure en refusant de transmettre au ministre compétent le nom du candidat dont il propose la nomination ou une liste de candidats classés par ordre de préférence (art. L.952-6-1 du code de l’éducation).

Une lecture rapide de la jurisprudence pourrait rassurer, dès lors que ces deux pouvoirs semblent encadrés :

Le Conseil constitutionnel a en effet précisé que « le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs s’oppose à ce que le président de l’université fonde son appréciation sur des motifs étrangers à l’administration de l’université et, en particulier, sur la qualification scientifique des candidats retenus à l’issue de la procédure de sélection » ;
Le Conseil d’Etat a non seulement mis en œuvre la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel relative au pouvoir de veto du président mais a également indiqué qu’ « il incombe au conseil d’administration d’apprécier l’adéquation des candidatures à la stratégie de l’établissement, sans remettre en cause l’appréciation des mérites scientifiques des candidats retenus par le comité de sélection ».
Il semble donc résulter de ces décisions une césure claire entre les appréciations scientifiques, où le comité de sélection est souverain, et celles relatives à l’administration de l’université et à la stratégie de l’établissement, où le président et le conseil d’administration peuvent faire obstacle à la proposition formulée par le jury.

On pourrait ainsi avoir le sentiment, à s’en tenir à ces principes, qu’un équilibre a été trouvé entre les exigences de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et plus largement ce que l’on nomme les libertés académiques (en particulier le principe d’indépendance et ses différentes déclinaisons) d’une part, et la logique de l’autonomie des établissements d’autre part.

Cet équilibre est cependant grandement menacé par le caractère très plastique et trop subjectif des notions de motifs tirés de l’administration de l’Université (justifiant le veto présidentiel) et de stratégie de l’établissement (qui peut fonder l’opposition du conseil d’administration) qui permettent en pratique aux organes universitaires de s’opposer à des comités de sélection privilégiant la compétence scientifique sur l’origine géographique des candidats.

Evidemment, un président qui motiverait son veto en affirmant qu’il refuse de nommer M. X. parce qu’il vient d’une autre Université, ou un conseil d’administration qui reconnaîtrait s’opposer à la nomination de M. Y au motif qu’il n’appartient pas à un centre de recherche de l’Université, seraient très probablement censurés par le juge administratif.

Il en irait de même s’ils prétendaient ouvertement substituer leur appréciation sur les qualifications scientifiques des candidats à celles du comité de sélection (V. ainsi C.E., 9 février 2011, A., req. n°329.584 ; C.E., 14 octobre 2011, A., req. n°341.103).

En revanche, un chef d’établissement qui oppose son veto à une nomination au motif que « le profil de recherche retenu pour cet emploi n’avait pas permis, en raison d’une définition trop large, une bonne compréhension des priorités scientifiques du laboratoire, ni de déterminer celle des équipes qu’il convenait de renforcer, par un tel recrutement » (C.E., 5 décembre 2011, M. El Kamel, req. n°333.809) ne commet aucune illégalité.

Tout connaisseur du monde universitaire ne pourra que s’étonner de cette solution pour des raisons qui ont été parfaitement résumées : « en faisant même abstraction de ce que la définition des emplois relève du conseil d’administration (art. L.712-3 C. éduc.), c’est donner ainsi au président le pouvoir de définir voire de rectifier la définition d’un emploi à un niveau de précision qui lui permet en fait de prédésigner le ou les quelques candidats qui peuvent seuls prétendre entrer dans le costume qui leur est taillé. On est loin de la « stratégie de l’établissement ». N’est-ce pas faire la part trop belle aux préoccupations des nouveaux « managers » de l’université aux dépens du respect du principe d’indépendance des enseignants-chercheurs ? » (Yves Jégouzo, Autonomie universitaire versus libertés académiques, A.J.D.A., 2011, p.2497).

Poser cette question revient évidemment à y répondre et à regretter que le juge administratif donne ainsi aux tenants du « localisme », en confirmant ici une nouvelle fois sa profonde méconnaissance du droit universitaire (M. Keller, rapporteur public dans l’affaire jugée le 5 décembre 2012, affirme à cet égard que « c’est le ministre qui définit le profil du poste » alors même que, si c’est bien le ministère qui publie le poste, son profilage est en pratique très généralement décidé au niveau local), des outils juridiques leur permettant de maquiller des oppositions fondées sur l’échec d’un candidat local (pour qui ils avaient ouvert l’emploi, croyant que son recrutement serait une formalité) ou sur des oppositions de personnes au sein de l’établissement, oppositions dont des candidats extérieurs font régulièrement les frais.

On ajoutera enfin que les comités de sélection eux-mêmes ne sont trop souvent qu’un obstacle bien limité aux tentations localistes, leur composition étant déterminée, après avis du conseil scientifique, par le conseil d’administration sur proposition du président (art. L.952-6-1 du code de l’éducation).

A l’heure où des assises de l’enseignement supérieur et de la recherche sont annoncées, on ne peut que souhaiter que la question essentielle des modes de recrutements des universitaires constitue un volet important de ces réflexions. En effet, bien loin d’avoir réduit les risques de localisme comme le prétendaient ses promoteurs, la L.R.U. a aggravé une situation déjà critiquable. Rien ne saurait donc pire que de considérer que, sur cette question, la loi de 2007 n’a pas à être réformée.