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Assises, auditions Copil –Propos liminaire, Christine Noille pour SLU – 17 septembre 2012

vendredi 21 septembre 2012, par Jara Cimrman

SLU a été auditionné le 17 septembre 2012 par le Comité de pilotage des Assises (compte-rendu ici). Le texte qui suit constitue la partie liminaire de cette audition (version développée : voir la contribution écrite de SLU aux assises de l’ESR).

Par où commencer ?
Par 2009 bien sûr, 2009 où pendant 4 mois, une partie de l’université française est descendue dans la rue chaque semaine. Révolte étouffée, certes, mais qui dit quelque chose de l’état présent de l’enseignement supérieur et de la recherche, puisque rien n’a été réglé depuis.

Il est confondant à cet égard de voir à quel point l’ensemble des discours politiques qui accompagnent l’actuel processus des Assises est clairement, comme au plus beau temps de la mise en place de la LRU,
- du côté de l’innovation (en lieu et place de la recherche)
- du côté de l’obsession de la professionnalisation précoce des cursus et du remplacement des savoirs par les compétences (en lieu et place d’une véritable réflexion sur l’enseignement supérieur, ancré dans la recherche, dans la construction et la transmission des savoirs)
- du côté de la technocratisation des structures (en lieu et place de la démocratie et de la collégialité)
- et, j’ajouterai, concernant l’une des missions historiques de l’université, la formation des enseignants, du côté de la mastérisation, c’est-à-dire de la prorogation de masters validant des diplômés en enseignement (en lieu et place d’un système reposant sur les concours de la fonction publique).

Autant d’éléments qui expliquent que "Sauvons l’Université !" a hésité à participer au processus même des Assises. Et si nous sommes là aujourd’hui c’est pour deux choses :
. (1) C’est d’abord pour rappeler que tout n’irait pas mieux dans l’ESR avec quelques aménagements à la marge : qu’il faut mettre un terme à des logiques politiques de dévalorisation des diplômes, de destruction des métiers et de précarisation des établissements comme des personnels ;
. et (2) si nous sommes là aujourd’hui, c’est parce qu’il nous paraît urgent et nécessaire de dénoncer un certain nombre d’injonctions du discours ambiant et de prétendus principes consensuels qui très clairement pour nous ne vont pas de soi : en particulier concernant l’enseignement supérieur et le métier d’enseignant-chercheur ; et concernant également les structures et les financements de l’université. Ce seront là les deux axes de notre contribution à la réflexion commune dans l’espace de temps qui nous est imparti et qui ne permet pas de traiter de l’ensemble des problématiques – quand bien même nous nous joignons aux analyses critiques qui ont d’ores et déjà été faites sur la politique des appels à projets, sur l’AERES, sur le Crédit Impôt Recherche…

Concernant tout d’abord ce qu’il en est de l’enseignement supérieur, nous remettons en cause un certain nombre de dispositifs promus et défendus soi-disant au nom de la réussite des étudiants (notamment en Ier cycle), qu’il s’agisse des référentiels de compétences, des injonctions de pluridisciplinarité ou de l’impératif de professionnalisation. Comment de tels dispositifs, qui sont au cœur de l’arrêté Licence, permettraient-ils de réussir la formation des étudiants ?
Nous ne voyons pas comment le primat des compétences sur les connaissances, associé à la promotion d’initiations dites pluridisciplinaires sans approfondissement disciplinaire même minime, permettrait d’améliorer la formation des étudiants. Nous ne voyons pas non plus, en dehors du cas très particulier des licences pro, comment une professionnalisation opérée a minima dans le premier cycle, sous la forme de stages de terrain dans des fonctions d’agent d’exécution, permettrait d’approfondir une formation antérieure qui n’est pas encore assez structurée à ce niveau-là d’études.
Ce sont là des dispositifs qui reposent sur l’illusion et l’imposture, mais dont les conséquences, réelles, sont très lourdes :
- Première conséquence concernant les étudiants et ce qu’il en est réellement de leur niveau d’études, l’arrêté licence mène tout droit à un alignement d’une grande partie des formations (hors secteurs de niche) sur l’enseignement secondaire et à une disqualification des diplômes sanctionnant ces parcours qui sont de fait des parcours de masse ; ou pour le dire autrement, l’arrêté licence marque un coup d’arrêt historique au difficile processus de démocratisation de l’université entamé depuis quarante ans.
- Deuxième conséquence de ces dispositifs mis en place pour assurer un enseignement strictement opérationnel, on dissout par là mécaniquement les liens entre enseignement et recherche dans le Ier cycle universitaire et on autorise à ce que le sous-encadrement chronique en enseignants-chercheurs soit compensé par le recrutement d’enseignants sans temps recherche dans leur service et par l’embauche de vacataires. On retrouve sous ce biais un problème tout à fait vif, la dénaturation du métier d’E.C. par l’individualisation des carrières et l’éclatement des statuts.
- Ajoutons enfin que la mystique du stage qui sévit dans les premiers cycles universitaires disciplinaires est également en train de biaiser complètement les débats sur la formation des enseignants : car le vrai problème de la mastérisation, ce n’est pas la place et la nature des stages dans la formation, c’est l’existence même de masters enseignement ouverts à tous les étudiants, c’est-à-dire de parcours qui certifient un niveau de formation en enseignement indépendamment de la réussite ou de l’échec au concours de recrutement. C’est là une logique qui va permettre de mettre en place un vivier de « reçus-collés » (reçus au diplôme, collés au concours) facilitant des recrutements contractuels privés à l’échelle des établissements ou des rectorats ; autrement dit, c’est une logique qui condamne à moyen terme les concours nationaux comme forme privilégiée de recrutement républicain des enseignants.

Deuxième axe de notre contribution, concernant les structures et les financements de l’université, nous attirons votre attention sur le simple fait qu’il ne suffira pas de modifier la LRU pour remédier à un certain nombre de dysfonctionnements. Bien évidemment il faut le faire, mais cela ne résoudra désormais quasiment rien car les universités françaises ne sont plus des « universités LRU », mais des universités « post-LRU ». Alors que voulons-nous ?
Concernant tout d’abord les dysfonctionnements induits par la loi LRU stricto sensu, il est clair qu’il faut revoir les répartitions de compétence au sein des conseils centraux et en particulier redonner une importance décisionnaire aux C.S. et aux CEVU. Mais à quoi cela servira-t-il si on ne revoit pas de fond en comble les modes de gouvernement des PRES en rendant majoritaires dans leurs conseils de gouvernance les élus et y en rendant minoritaires les personnalités qualifiées ? Ou encore si l’on continue à encourager la création de mastodontes institutionnels (par les fusions d’établissements) dotés de conseils centraux aux mains d’une vingtaine de personnes ?
Par-delà ces points institutionnels, ce que nous remettons également en question, c’est le management technocratique qui sert de plus en plus souvent de principe directeur aux politiques de sites (en particulier aux fusions d’établissement) et qui passe par la compétition de tous les personnels entre eux et par l’économie des moyens. Disons-le clairement, la restructuration générale des établissements à laquelle nous assistons aujourd’hui transforme les directions en purs et simples agents de la RGPP, de la Révision Générale des Politiques Publiques.
Voilà qui nous conduit pour finir à la question des financements : l’autonomie financière des universités est un mirage. Il n’existe pas d’autonomie quand 80% des budgets viennent de l’État et qu’ils sont affectés à hauteur de 85% à la masse salariale. De fait, nous assistons partout cette année à la faillite pure et simple des universités : elle est liée aux coûts induits sur les budgets récurrents par le passage aux RCE, mais aussi par la dévolution du patrimoine et par la mise en place des investissements d’avenir.
Car loin d’être la manne décrite, les investissements d’avenir et l’argent censé transiter via l’ANR ont entraîné des déséquilibres structurels gravissimes, les universités se délestant en particulier d’une partie de leurs formations, de leurs personnels et de leur recherche. A ce titre, nous pensons que les IDEX ne sont pas réformables et qu’il faut impérativement y mettre un terme. Mais ce qu’il faut dire aussi, c’est que les financements de type ANR ont de fait ponctionné encore plus les budgets réels des universités, en raison de la minoration forte qu’ils ont entraînée des budgets recherche récurrents, en raison aussi des surcoûts liés à la mise en place des projets eux-mêmes.
Il conviendrait de décrire ici précisément quelles sont les conséquences de cet étranglement budgétaire sur les personnels en termes de précarité ; sur le pilotage à court terme de la recherche ; mais aussi sur la restriction drastique de l’offre de formation à laquelle nous assistons aujourd’hui par mesure d’économie, sur la fermeture des TD, des parcours, des diplômes que nous sommes en train de vivre dans toutes les universités avec la présente rentrée universitaire.

En conclusion, nous pensons qu’il appartient aujourd’hui à l’État d’assumer ses obligations et de donner à ses agents les moyens d’atteindre les objectifs de formation et de recherche qu’il leur assigne, d’une véritable formation universitaire ancrée sur la recherche. Nous demandons que l’État prenne aujourd’hui toutes ses responsabilités et intervienne massivement, notamment en termes d’encadrement statutaire. C’est à ce prix seulement que les universités pourront contribuer à une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur et de la recherche et à « l’élévation du niveau scientifique, culturel et professionnel de la nation et des individus qui la composent », pour reprendre la magnifique formulation du Code de l’Éducation. Je vous remercie.