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Le SNESUP écrit au premier ministre sur le projet de loi dite de « refondation de l’école » - 20 décembre 2012

samedi 22 décembre 2012

Monsieur le Premier Ministre,

La formation des enseignants est au cœur du projet de loi dite de refondation de l’École. Meurtrie par cinq années d’un pouvoir au service d’intérêts particuliers, elle fédère autour d’elle des attentes pour la société qui ne pourraient être déçues.

Depuis vingt ans, former des enseignants a considérablement évolué. La double réforme de 2009 (formation, recrutement), dénoncée par tous les acteurs intéressés, a laissé une situation catastrophique. L’élection de M. François Hollande, à l’issue d’une campagne ouvrant des possibles (pré-recrutement, concours professionnels…), a suscité dans la communauté éducative et scientifique une forte attente. Les deux prochaines lois sur l’École et sur l’Enseignement Supérieur et la Recherche pourraient permettre, avec un minimum d’ambition, de redresser la situation.

À cet effet, elles devraient comporter des dispositions visant, notamment à : intégrer formations disciplinaire et professionnelle, lesquelles sont liées intrinsèquement ; prendre en compte les évolutions scientifiques nécessaires à l’exercice du métier, dans toutes leurs dimensions (évolutions de l’École, des disciplines, didactique, épistémologie…) ; construire la formation à partir des questions professionnelles.

Pourtant, la marginalisation des universitaires par le ministère de l’éducation nationale, l’absence de prise en compte de leurs propositions lors de la concertation sur la formation des enseignants et l’urgence imposée par un calendrier intenable font craindre que cette réforme, unanimement demandée, ne conduise à un nouvel échec au 1er septembre 2013.

S’il faut rapidement des enseignants en nombre devant des élèves, cela ne doit pas se faire au détriment de leur formation et de celle des étudiants. La nécessaire réforme de la formation des enseignants nécessite du temps, et surtout l’adhésion des acteurs qui doivent s’y impliquer. Il ne serait pas acceptable que l’intervention des recteurs soit substituée aux débats qui doivent être menés. Imposer des ESPE, sous la forme de structures universitaires d’exception ne pourra qu’entraîner le désaccord de la communauté universitaire. C’est pourquoi, dans l’impossibilité de faire entendre sa voix, le SNESUP, première organisation représentative des enseignants du supérieur, a quitté le Conseil Supérieur de l’Éducation, réservant son expression lors du CNESER exceptionnel en présence des deux ministres concernés.

En l’état, le projet de loi dit de « refondation de l’École » non seulement ne marque pas la rupture attendue, mais impose en sus la prééminence du Ministère de l’Éducation Nationale sur la formation des enseignants, niant la mission des universitaires et renvoyant au second plan le rôle du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

N’ayant pas été consultés lors de la phase d’écriture de ce projet de loi, reçus moins d’une semaine avant le CSE, nous voulons attirer votre attention sur quelques points saillants en l’état actuel de l’écriture de ce projet de loi :

* Les ESPE seraient créées (L 721-1.1) au sein d’un EPCSCP (universités, grands établissements) ou d’un PRES de type EPCS (structure permettant le regroupement d’établissements publics et privés), alors même que le rapport au Président de la République des « Assises de l’Enseignements supérieur et de la recherche » de V. Berger prévoit une évolution des structures ;

* Tandis que toutes les composantes universitaires sont administrées par un conseil avec des élus, cela ne serait pas le cas pour les ESPE. Les représentants des personnels et des usagers seraient désignés -sans, d’ailleurs, que soit précisé le mode de désignation- et pour la seule durée de l’accréditation. De plus, le président serait élu parmi les personnalités extérieures nommées par le recteur, et le directeur nommé par arrêté conjoint du MEN et du MESR. Un tel dispositif est aux antipodes des principes de collégialité, de vie démocratique et du statut usuel d’une composante universitaire, même dérogatoire ;

* L’État abandonnerait le monopole de la collation des grades et des diplômes. L’accréditation de l’ESPE par le MEN et le MESR vaudrait habilitation à délivrer les diplômes de master. Une fois l’ESPE accréditée, tous les établissements d’enseignement supérieur partenaires pourraient délivrer le diplôme national de master, y compris des organismes privés. Sachant que certains sont de nature confessionnelle ou implantés depuis l’étranger, le coup ainsi porté au principe de laïcité serait gravissime ;

* Lors de la création des ESPE, et durant les 3 mois suivants, les conseils pourraient valablement siéger sans représentants des personnels ou usagers. Les personnels seraient donc exclus de l’élaboration du règlement intérieur et des statuts. C’est d’autant moins acceptable que d’autres solutions sont possibles (conseil provisoire, maintien des élus des conseils d’IUFM, etc.) ;

* Les membres des conseils seraient désignés pour la durée de l’accréditation. Ce serait une première que de lier le début et la durée d’un mandat à ceux d’un instrument de contractualisation. Avec un tel système, la nouvelle équipe devrait mettre en œuvre le projet conçu par l’équipe précédente, même dans le cas où elle aurait fait une campagne d’opposition : c’est tout simplement inenvisageable ;

* En l’état, le pré-projet de loi n’apporte aucune garantie quant au devenir des personnels et aux moyens mobiliers et immobiliers des IUFM ;

* La recherche dans les ESPE se trouverait limitée à une simple participation (§6 des missions), alors qu’il faudrait au contraire développer la recherche en éducation de la Maternelle à l’Université et donc fonder de nouvelles équipes ou unités de recherche.

Nous n’accepterons pas que ces ESPE soient entièrement sous la seule responsabilité des recteurs et de ses services, les personnels et les usagers étant tenus à l’écart d’une gestion démocratique et collégiale, conforme aux traditions universitaires. Des réunions ont déjà été organisées par des rectorats dans ces perspectives, en dehors de la présence de toute représentation des personnels, alors que ceux-ci devraient être consultés sur la création des nouvelles ESPE. Si aucun texte ne le précise, il apparaît aussi que le maître d’ouvrage (le décideur) sera le recteur. Ce n’est pas notre conception d’une université qui garantit l’autonomie scientifique et pédagogique des personnels, nécessaire à la qualité de la formation et de la recherche.

Par ailleurs, quasiment rien n’est dit sur l’articulation entre le second degré et le supérieur, alors même que le gouvernement rappelle sans cesse l’objectif d’améliorer la réussite des étudiants. Un conseil national d’évaluation du système éducatif et un conseil supérieur des programmes seraient créés sans aucun représentant des personnels. Ce dernier ne comporterait a priori aucun universitaire, alors même que les programmes scolaires ont un impact direct sur les formations supérieures et leurs maquettes.

Devant la gravité de la situation, nous vous demandons, Monsieur le Premier Ministre, de bien vouloir recevoir dans les plus brefs délais une délégation de notre syndicat.

Veuillez croire, Monsieur le Premier ministre, en l’assurance de notre haute considération.

Stéphane TASSEL
Secrétaire Général du SNESUP
20 décembre 2012

Copie de cette lettre à Madame la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et à Monsieur le Ministre de l’Éducation Nationale.