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"Dans l’envers du modèle universitaire américain"

par Frédéric Viguier, "le Monde" du 4 juillet 2008

vendredi 11 juillet 2008, par Laurence

Pourquoi Barack Obama suscite-t-il un tel engouement sur les campus américains ? Si ses propositions sur l’université ne brillent guère par leur originalité, le candidat démocrate à la présidentielle de novembre incarne pourtant un porte-parole sincère des familles, pour qui la charge financière des études est devenue insupportable : il répète partout qu’il vient à peine de finir de rembourser les emprunts contractés pendant ses études. Au moment où le malaise s’étend du haut en bas de la pyramide des « entreprises de la connaissance » américaines, son insistance fait mouche.
Un ouvrage collectif publié par des universitaires de gauche, historiens, sociologues et spécialistes des cultural studies, a suscité un vif intérêt dans le milieu des blogs universitaires et des revues spécialisées. Ensemble d’articles de circonstance sur la longue grève des doctorants de New York University (NYU) au cours de l’année 2005-2006, l’ouvrage éclaire les tensions croissantes qui tiraillent les universités américaines. L’Université contre elle-même offre une interprétation critique des conflits que suscite aujourd’hui un modèle que la France semble adopter, celui de la mise en concurrence généralisée des institutions d’enseignement supérieur.
Depuis vingt-cinq ans, rappellent les auteurs, l’université américaine se fragmente. Le système public, qui forme 13 des 17,5 millions d’étudiants, souffre du retrait de l’Etat. Les frais de scolarité moyens y restent très inférieurs à ceux des universités privées mais sont devenus trop élevés pour les classes moyennes et populaires. Quant aux universités privées, leur prospérité a creusé les inégalités internes. La clé de voûte du succès dans les classements consiste en effet à recruter - et à garder - les enseignants les plus prestigieux. Ce système, analyse le sociologue Goodwin, amplifie prodigieusement les inégalités. Pour compenser les salaires élevés et les décharges d’enseignement dont bénéficient ces « stars », les universités ont accru le recours à une main-d’oeuvre précaire et mal payée : doctorants, adjoint temporaires d’enseignement... : à NYU, plus de 60 % de l’enseignement est assumé par ce prolétariat intellectuel.

DYNAMISME RETROUVÉ

A bien des égards, analysent les auteurs, il fait bon étudier à NYU. Naguère grosse université privée locale, NYU a profité du dynamisme retrouvé de la métropole new-yorkaise depuis les années 1980 et s’est transformée en université d’élite, haut placée dans le classement de Shanghaï. Guidée par un conseil d’administration de banquiers, d’assureurs et d’investisseurs immobiliers, conduite par une équipe de direction ambitieuse, l’université a tiré parti de l’attrait de Manhattan et de l’embourgeoisement du quartier historique de Greenwich Village. Elle a recruté des enseignants réputés, séduit de nombreux étudiants... accru ses frais de scolarité et combattu toute organisation collective.

A l’été 2005, la présidence de NYU annonce qu’elle ne renouvellera pas son contrat avec le syndicat des doctorants, qui négociait alors les conditions d’emploi et de salaire des doctorants. Les méthodes de l’administration - manoeuvres dilatoires, intimidations, accaparation des ressources de communication - conduisent les doctorants à voter la grève en novembre 2005 : celle-ci sera un échec cuisant, faute du soutien des autres acteurs de l’université.

Au départ, les étudiants de premier cycle sont solidaires ; ils reprochent à l’administration les frais de scolarité élevés et l’opacité quant au budget de l’université. Mais, bientôt, ils doivent s’absorber dans les examens et se détournent des luttes de leurs aînés. Quant aux professeurs permanents de NYU, ils affichent leur neutralité, rompant avec l’apathie manifestée par les enseignants des grandes universités privées dans des circonstances similaires.
Finalement, l’ouvrage dépeint des étudiants transformés en consommateurs et des universitaires centristes, libéraux et dociles, bien loin des radicaux hautement politisés que dénoncent les conservateurs. S’il y a des mécontents dans les entreprises de la connaissance, ils n’ont guère d’influence sur ses évolutions stratégiques.

Frédéric Viguier