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Lettre ouverte à Mesdames et Messieurs les membres de la Conférence des Présidents d’Universités. (Lille 3, 6 mars 2013).

lundi 11 mars 2013, par Jara Cimrman

La mise en oeuvre à marche forcée de la refonte de la formation des enseignants suscite, après de nombreuses motions, lettes ouvertes et analyses cette interpellation de la CPU par des universitaires de Lille 3.
Cette lettre à la CPU sert de base à deux lettres envoyées à M. Bernard Roman (député de la 1re circonscription du Nord) et à Madame Audrey Linkenheld (députée de la 2e circonscription du Nord) à lire en pj.

Villeneuve d’Ascq, le 6 mars 2013

Mesdames les Présidentes d’Universités, Messieurs les Présidents d’Universités,
nous apprenons que partout en France les Conseils d’Administration des Universités (Universités du Nord de la France, Strasbourg, Créteil, Aix-Marseille...), adoptent les uns après les autres un document intitulé : « Dossier de préfiguration de l’Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education – Académie de XXX. » dont la trame a été élaborée par les services du MEN et du MESR et qui concerne la mise en place des Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education dans les diverses Académies.
Ce document, qui n’a fait nulle part l’objet d’une concertation préalable interne avec les enseignants-chercheurs impliqués dans la formation des enseignants, et qui dans certains cas n’a même pas été présenté pour avis au CEVU des établissements, est le fruit de négociations interuniversitaires entre les seuls membres des comités de pilotage académiques et les porteurs des projets ESPÉ.
Ce document acte et présuppose acquis les principaux principes de la réforme en cours de la formation des enseignants :
une vision entièrement nouvelle de la formation et du rôle des enseignants du primaire et du secondaire, vision qui suppose une très large uniformisation de la formation entre enseignants de disciplines et de niveaux différents,
une très nette dominance de la formation didactique et professionnelle aux dépens de la formation disciplinaire,
la reconduction de ce que tous les formateurs ont depuis longtemps identifié comme cause principale de l’échec de la mastérisation : l’obligation, intenable pour l’étudiant de master 1, de se former tout à la fois sur les plans didactique, professionnel et disciplinaire tout en préparant les épreuves d’admissibilité et d’admission du concours.

Vous ne pouvez cependant ignorer, Mesdames et Messieurs les Présidents, que la réforme en cours de la formation des enseignants, élaborée dans la plus totale opacité par les services ministériels, et sans aucune concertation nationale avec les enseignants-chercheurs formateurs, fait l’objet, depuis qu’ont été révélés les documents de cadrage officieux des futurs masters et des futures maquettes génériques du concours, d’une très vive contestation au sein de la communauté universitaire. Une pétition (ici), signée par plus de mille collègues, en témoigne.
Vous ne pouvez ignorer, Mesdames et Messieurs les Présidents, que partout en France des voix nombreuses, de pédagogues comme de chercheurs, s’élèvent pour rappeler une évidence : qu’une professionnalisation de qualité n’est pas possible sans l’acquisition préalable d’une solide formation disciplinaire. C’est cette évidence que nie et foule aux pieds le cadrage imposé par la tutelle aux Conseils d’Administration des établissements.
Ces derniers se voient ainsi contraints d’adopter dans une précipitation extrême (deux à trois semaines de travail préparatoire) ce dossier de préfiguration des ESPE et d’adhérer idéologiquement à cette réforme dangereuse sous votre pression, à seule fin de ne pas exclure leur établissement du marché académique de la formation des enseignants, dans le cadre d’une mise en concurrence régionale sévère entre universités orchestrée par les services ministériels.
Mais plus gravement encore, il n’échappe à personne que ce document de préfiguration des futures ESPÉ, intégrant la totalité des éléments de cadrage officieux longtemps tenus secrets par les services ministériels, est dépourvu de toute valeur en droit : en l’absence de tout cadre législatif national concernant les ESPÉ, les maquettes de master enseignement et les maquettes génériques et spécifiques des futurs concours de recrutement, il n’a valeur que de convention locale entre acteurs de la formation régionale, et ne pourra au mieux acquérir de valeur juridique qu’une fois adoptées et promulguées les lois et circulaires d’application, si elles le sont.
Il est inquiétant de constater que les Conseils d’Administration des Universités, sous la contrainte de la hiérarchie, se soient ainsi pliés à une procédure extra-légale qui n’a qu’un seul objectif : obliger dans chaque établissement la communauté universitaire à adopter de facto, et avant même que la moindre loi ait été votée, les cadrages officieux et les principes d’un projet de réforme imposé unilatéralement par la tutelle et qui condamnera l’université française à renoncer à toute ambition intellectuelle dans la formation des futurs enseignants de ce pays.

Pour toutes ces raisons, et prenant en considération les menaces considérables de dégradation que ce projet de réforme fait peser sur la formation des futurs enseignants, nous vous demandons solennellement de tout mettre en oeuvre pour obtenir des Ministères concernés le report de l’application de la réforme à la rentrée 2014, de façon à permettre, tant au niveau académique que national, une concertation sereine entre tous les acteurs de la formation des enseignants : il en va de l’avenir de nos formations universitaires, de la qualité de la formation des futurs enseignants, de la qualité de l’enseignement primaire et secondaire qu’ils dispenseront aux jeunes de notre pays.

Nous vous prions d’agréer, Mesdames et Messieurs les Présidents d’Universités, l’expression de nos sentiments respectueux et dévoués.

Yves Macchi, Enseignant-Chercheur à l’Université Lille3-Charles-de-Gaulle,
Responsable du Master Enseignement Espagnol,
Membre élu de l’UFR des Langues, Littératures et Civilisations Etrangères de Lille 3.