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Quelles solutions pour éviter le démantèlement de l’université française ? - L’Humanité, 19 juin 2014

jeudi 19 juin 2014, par Elisabeth Báthory

En finir avec la logique comptable du gouvernement dans les universités. Débat avec Christel Poher et Jean-Luc Antonucci Cosecrétaires généraux de la Ferc sup CGT, Jean-François Balaudé Président de l’université Paris Ouest Nanterre et Jean-Yves Mérindol Président de l’université Sorbonne Paris Cité.

A lire sur le site de l’Humanité.

Une politique qui organise la casse du service public

Christel Poher et Jean-Luc Antonucci Cosecrétaires généraux de la Ferc sup CGT

Après la mise en œuvre de la loi LRU-Pécresse (2007), qui a provoqué l’éclatement du service public d’enseignement supérieur et de recherche (ESR), un grand nombre d’établissements universitaires, désormais en concurrence les uns avec les autres, ont été mis en situation financière catastrophique. Dans la continuité du gouvernement précédent, la loi LRU-Fioraso (2013) pousse au regroupement des établissements, principalement avec la fusion d’universités et la création de communautés d’universités et d’établissements (ComUE). Cette décentralisation-régionalisation de l’ESR, qui permet à l’État de se désengager en transférant la gestion et la responsabilité de la pénurie vers les opérateurs locaux, constitue un plan de restructuration d’ampleur nationale.

Cette politique, amplifiée par le pacte de responsabilité, est profondément antisociale : seules les universités qui accueillent le plus grand nombre d’étudiants sont contraintes aux restructurations-fusions, tandis que les filières élitistes, à sélection précoce et sociale, conservent les moyens nécessaires à la formation d’un très petit nombre d’étudiants privilégiés. L’État renonce à créer les conditions de l’égalité d’accès à des études supérieures de haut niveau pour le plus grand nombre sur l’ensemble du territoire national. La priorité budgétaire ressassée par la secrétaire d’État n’est pas respectée, les investissements d’avenir à caractère élitiste sont maintenus, les agences paraministérielles (HCERES, ANR, fondations, Campus France…) dispersant les financements sont reconduites, le crédit impôt recherche, qui absorbe une large part des fonds publics nécessaires à la recherche et à la formation sans favoriser pour autant la recherche privée et l’embauche de docteurs, n’est pas remis en cause. La résorption de cet éparpillement budgétaire suffirait à rétablir le financement d’un service public national d’ESR, démocratique et émancipateur. Au mépris de l’intérêt général du pays et de ses étudiants, la conférence des présidents d’université a une grande part de responsabilité dans l’effondrement du service public national d’ESR gratuit et ouvert, jusqu’ici encore, au plus grand nombre. L’autoritarisme et l’arbitraire qui résultent des lois Pécresse et Fioraso ont envahi les universités et les différents regroupements se font avec précipitation et dans l’opacité la plus totale. Les regroupements régionaux aboutissent à des établissements hors d’échelle où démocratie universitaire et collégialité sont absentes : suppression des scrutins proportionnels directs, instances élues marginalisées ou vidées de toute représentation significative des personnels et étudiants. Ce sont les familles les plus dépendantes du service public qui sont victimes de ces politiques : victimes de la spécialisation thématique des régions préconisée par l’Union européenne et de la réduction des formations qui seront proposées localement ; victimes des coupes dans les volumes horaires enseignés dans chaque diplôme ; victimes des restructurations de services administratifs et documentaires ; victimes des suppressions de postes d’enseignants ; victimes du développement pseudo-égalitaire de la pédagogie numérique (les Mooc) ; victimes de la dégradation du service public et de l’augmentation des frais d’inscription et de scolarité. Pour s’opposer à la dégradation délibérée de nos services publics, la convergence des luttes des différents secteurs affectés (santé, transports, énergie, communication, éducation, culture…) est indispensable.

La communauté, pourquoi pas ?

Jean-François Balaudé Président de l’université Paris Ouest Nanterre

Le contexte dans lequel se pose la question des regroupements universitaires n’est pas étranger aux réactions qu’elle provoque : un feu roulant de réformes, initié par la loi LRU, prolongé l’an dernier à la fois par les lois enseignement supérieur et recherche (ESR) et refondation de l’école (création des Espe), le tout sur fond de menaces budgétaires (un budget ESR pour l’instant à peu près maintenu, mais en légère érosion, avec des créations de postes d’un côté, des charges transférées s’alourdissant et partiellement compensées de l’autre). Au-delà d’un sentiment assez répandu de lassitude, mêlé d’inquiétude, la disposition qui oblige à se coordonner territorialement provoque ici et là des crispations et des débats agités. Pour les opposants à l’ensemble de ces politiques de réforme, le regroupement, auquel incitait la LRU et qu’impose la loi ESR, devient ainsi un symbole, et la confirmation d’une volonté de désengagement de l’État. Il importe pourtant ici de faire la part entre une question essentielle, celle du maintien de l’effort de l’État en faveur de son service public, notamment celui de l’ESR, et l’enjeu des regroupements. Si ce dernier est pensé pour lui-même, des avantages évidents apparaissent. Le regroupement territorial permet en effet une politique dite de site et donne l’occasion de liens renforcés entre de nombreux partenaires – établissements d’enseignement supérieur, organismes de recherche, collectivités territoriales, tissu socio-économique – qui ouvrent des possibilités nouvelles d’activité et de coopération pour les universités, tant en matière de formation, de recherche et transfert, que de vie de campus ou d’implication sociale. Y a-t-il à cet égard une forme optimale de regroupement ? Certains vantent l’association, supposée plus légère et moins contraignante : je crains que cette proposition ne soit avant tout une parade imaginée contre cette politique de construction de projets de l’enseignement supérieur et de la recherche par plusieurs acteurs, qui est la vraie mutation et le véritable enjeu des années à venir. Surtout, je ne crois pas pour ma part qu’il y ait un sens à décréter que telle forme de regroupement (fusion, ComUE – communautés d’universités et établissements – ou association) serait en soi la meilleure. Que cela plaise ou non, la fusion apparaît dans certains cas, aux yeux des acteurs, comme le bon choix ; dans d’autres, l’association est retenue pour lier des établissements de taille très différente avec, pour coordinateur territorial, le plus grand d’entre eux ; le plus souvent, c’est la ComUE qui semble la bonne option. La raison en est simple : la ComUE, par son statut et ses instances, doit garantir les conditions d’une gouvernance équilibrée, où les acteurs de poids comparable sont représentés sur un pied d’égalité. Elle crée ainsi les conditions de la confiance entre les membres, qui ne voient pas l’un prendre le pas sur l’autre, et structure suffisamment le regroupement pour permettre de porter les projets partagés. De surcroît, c’est une formule assez souple pour permettre de définir le niveau de transfert de compétences souhaité par les établissements. Dans le cas du projet Paris Lumières, qui est celui des universités Paris Ouest Nanterre et Paris-VIII, la ComUE permet de consolider leur partenariat pédagogique et plus encore scientifique, avec le CNRS à leurs côtés. De surcroît, cette ComUE sans transfert de compétences verra ses instances élues au suffrage direct. Le maintien de la souveraineté des établissements, une plate-forme de collaboration structurée et démocratique, l’engagement renforcé du CNRS, l’envie donnée à d’autres établissements publics de s’associer à nous… quoi de mieux ? Pour nous, le bon choix est là, assurément.

Des regroupements positifs et un soutien de l’État

Jean-Yves Mérindol Président de l’université Sorbonne Paris Cité.

L’enseignement supérieur français, organisé par un dispositif réglementaire puissant, évolue en tenant compte des exigences des acteurs, parfois exprimées dans des mouvements sociaux, des propositions du gouvernement et des réformes votées par le législateur.La création des «  regroupements territoriaux  », espaces de solidarité rassemblant universités, grandes écoles et organismes de recherche, est un exemple de ces interactions. Les universités, écoles et organismes de recherche ont en France de nombreuses collaborations. Cette particularité de notre système est positive, favorisant des coopérations là où d’autres pays encouragent la concurrence. Mais elle a deux contreparties moins heureuses : la visibilité internationale de nos universités est faible, ce qui est un handicap pour l’attractivité de nos formations ; ces collaborations nécessitent des conventions signées par de nombreuses institutions, d’où des processus longs et complexes : c’est le mille-feuille souvent dénoncé, jamais réduit. Ce constat, établi depuis plus de trente ans, a conduit à des initiatives provenant de divers lieux, pour favoriser des partenariats plus stratégiques et moins dispersés. On peut citer le gouvernement lançant en 1991 les «  pôles universitaires européens  » ; des responsables universitaires strasbourgeois ouvrant en 2001 un processus ayant abouti en 2009 à la fusion des trois universités ; le mouvement Sauvons la recherche demandant lors des états généraux de la recherche de 2004 la création de Pres (pôles de recherche et d’enseignement supérieur). En cinq ans, une bonne vingtaine de Pres se sont créés, s’appuyant sur une loi votée en 2006. Lors des assises de l’enseignement supérieur et de la recherche de l’automne 2012, les modalités de ces coordinations stratégiques ont été critiquées, ce qui a conduit à des modifications inscrites dans la loi de juillet 2013. Tout d’abord, il y a clarification sur les objectifs des regroupements. La plupart d’entre eux ne visent pas à des fusions, mais à des coordinations pérennes, sous deux formes juridiques possibles, sur la base d’un projet revu tous les cinq ans. La composition des conseils d’administration des communautés d’universités et établissements, qui succèdent aux Pres, donne plus de place aux représentants élus des personnels et étudiants. Ainsi, pour Sorbonne Paris Cité, le pourcentage des élus dans le CA va doubler. Enfin, l’État apporte un soutien explicite : les cinq regroupements qui négocient en ce moment avec le ministère savent qu’ils vont disposer ensemble d’un peu plus de 200 emplois nouveaux à attribuer aux établissements. Ainsi, le sujet central de ces regroupements, dépendant principalement des acteurs locaux, est de définir un projet partagé. Si la plupart des actions doivent rester, dans un souci légitime de proximité, au plus près des étudiants et des acteurs de terrain, donc directement prises en charge par chacune des universités ou grandes écoles et par leurs composantes internes, d’autres échelles d’intervention sont plus efficaces en étant portées collectivement et mutualisées. Le projet partagé de Sorbonne Paris Cité pour 2014-2018 porte entre autres sur la formation des universitaires aux pédagogies innovantes ; l’ouverture de bureaux à l’étranger ; les langues étrangères pour les étudiants en licence ; la vie de campus ; la coordination de l’offre de formation rassemblant les compétences des établissements membres ; le financement et la formation des doctorants ; la volonté d’éclairer de grands enjeux sociétaux par les apports de la science.En se regroupant en 2010 au sein de Sorbonne Paris Cité, quatre universités et quatre grandes écoles ou instituts ont fait le pari de la coopération pour mener au mieux leurs activités de service public. Ici, comme ailleurs, l’union fait la force.