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Geneviève Fioraso : « Régler le problème de l’échec à l’université par la sélection est rétrograde » - entretien avec Nathalie Brafman et Benoît Floc’h, Le Monde, 25 juin 2014

jeudi 26 juin 2014, par Elisabeth Báthory

Geneviève Fioraso est la seule rescapée du gouvernement Ayrault à avoir accepté de troquer son maroquin de ministre contre un titre de secrétaire d’Etat. Elle répond aux attaques, sans précédent, qu’elle a subies. Alors que la sélection à l’entrée de l’université revient dans le débat, Mme Fioraso oppose une fin de non-recevoir. C’est, dit-elle, l’amélioration de l’orientation et de l’accompagnement des étudiants qui permettra de réduire le taux d’échec en licence. En revanche, elle estime qu’il faut réformer le cursus de master et espère que les arbitrages de Bercy lui donneront raison sur la valorisation des aides sociales aux étudiants.

A lire sur le site du Monde.

Le Monde : Lors du remaniement gouvernemental, une pétition a circulé contre votre nomination. Elle a recueilli 12 000 signatures. Vous sentez-vous fragilisée ?

Geneviève Fioraso : Je ne me suis jamais sentie affaiblie ou fragilisée personnellement car la politique menée s’appuyait sur le soutien du gouvernement. Aujourd’hui, cette pétition est derrière nous.

Alors que les attentes de la communauté universitaire étaient très fortes lorsque la gauche est revenue au pouvoir, elle se dit aujourd’hui déçue par votre politique. Que lui répondez-vous ?

Je vais régulièrement sur le terrain ; je discute avec les étudiants, les enseignants-chercheurs, les doctorants… Ce n’est pas ce que j’entends. Je ne dis pas que tout va bien mais je refuse de dire que tout va mal. Il y a bien sûr de l’inquiétude. Mais elle traverse toute la société française.

Beaucoup se plaignent de l’augmentation de la précarité…

Soyons sérieux sur les chiffres ! En quatre ans, nous avons, avec la loi Sauvadet, intégré 8 400 personnels précaires. Dans le même temps, on a créé 1 000 emplois par an.

Selon les chiffres du ministère, il y a eu 500 postes en moins pour le recrutement d’enseignants-chercheurs et la plupart de ces 1 000 postes ont été gelés…

Cette baisse s’explique par le fait qu’il y a moins de départs à la retraite. Cela représente jusqu’à 30 % de personnes en moins qui partent. Quant aux 1 000 postes, un grand nombre a été créé. Certaines universités les ont gelés et s’en sont servies pour améliorer leur situation financière. Nous faisons tout pour préserver les universités. Etre préservé ne signifie pas être riche, mais être une priorité du gouvernement

Cet argument passe mal : le projet de loi de finances rectificative pour 2014 prévoit de geler 180 millions d’euros de crédits budgétaires. Autant de moins pour les universités…

Cela n’aura aucun impact sur l’activité des universités. C’est purement comptable. En revanche, c’est le budget triennal qu’il faut considérer. Avec Benoît Hamon, nous négocions des arbitrages qui respectent la priorité donnée à l’éducation par le gouvernement. L’objectif est de maintenir le budget. Mais cela implique tout de même des efforts.

Vous avez lancé une réforme des bourses en 2013 avec la création de deux nouveaux échelons. Son financement est-il assuré ?

Sur les 458 millions d’euros prévus entre 2013 et 2016, nous avons déjà engagé 360 millions d’euros. Pour le reste, nous nous battons, avec Benoît Hamon, pour que, dès la rentrée 2014, tous les boursiers à l’échelon « 0 » [qui ne paient pas les droits d’inscription] passent à l’échelon « 0 bis » et bénéficient d’une bourse mensuelle.

Le cercle de réflexion Terra Nova, proche du PS, préconise la sélection à l’entrée de l’université. N’est-ce pas la solution pour régler le problème de l’échec en licence, où six étudiants sur dix échouent en première année ?

Vouloir régler le problème par la seule sélection ne me paraît pas être la bonne solution pour atteindre 50 % d’une classe d’âge diplômée. C’est un point de vue daté et rétrograde. Ce qu’il faut faire, c’est lutter contre le décrochage et mieux préparer l’orientation.

Par ailleurs, si nous avons augmenté les aides pour les étudiants, ce n’est pas pour avoir la paix sociale. C’est parce que les conditions de vie des étudiants contribuent en grande partie à la réussite en premier cycle. Trop d’étudiants doivent travailler pendant leurs études.

Mais l’université accueille les bacheliers dont personne ne veut ailleurs…

C’est pour cela que nous avons pris la décision de réserver des places en BTS pour les bacheliers professionnels et en IUT pour les bacheliers technologiques. En un an, 8 % de bac pro supplémentaires ont pu s’inscrire en section de technicien supérieur, et 3 % de bac techno en IUT. Tout ne se réglera pas du jour au lendemain. Mais nous allons finir par installer un réflexe naturel. Grâce au dialogue, les IUT ont évolué.

Mais puisqu’ils sont quasiment assurés d’échouer, faut-il refuser aux bacheliers professionnels l’accès à l’université ?

Non, sûrement pas. Mais il faut les accompagner, éventuellement avec une année spécifique, afin qu’ils n’aillent pas au massacre. Il faut des aménagements et de l’accompagnement. Cela fait partie du plan global que nous allons mettre en place pour lutter contre le décrochage à l’université.

En revanche, en master, la sélection a lieu en plein milieu. Terra Nova demande qu’il y soit mis fin et Benoît Hamon annonce une réforme. Allez-vous agir alors que l’UNEF, premier syndicat étudiant, y est très opposé ?

C’est un sujet qu’il faut regarder, c’est vrai. Nous allons engager la concertation et cheminer ensemble, et nous verrons si cela aboutit à un accord, ou pas.

La loi donne aux universités jusqu’au 22 juillet pour se regrouper. Certains opposants réclament un moratoire. Allez-vous les satisfaire ?

Je ne suis pas favorable à un moratoire généralisé. D’ailleurs, sur le terrain, beaucoup me disent au contraire : « Ne cédez pas, tenez bon et n’accordez pas de moratoire ! » Mais la porte est toujours ouverte. J’ai reçu, alors qu’on me l’avait déconseillé, des représentants des pétitionnaires parce qu’il est important d’être à l’écoute. Je le répète : il n’y a pas de formats de regroupements obligatoires. La liberté est laissée aux sites. La loi prévoit la date butoir du 22 juillet pour présenter les nouveaux statuts, mais dans quelques cas plus complexes une lettre d’intention détaillée sera acceptée. Ce qu’un décret peut faire, un décret peut le faire évoluer.