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Universités : des regroupements, pour quoi faire ? Marie-Christine Corbier - Les Echos - 22-07-2014

mercredi 23 juillet 2014, par Louise Michel

Le paysage universitaire change, avec la naissance de vingt-cinq grands regroupements. Ils se mettent en place dans l’intérêt des étudiants et des chercheurs, assurent leurs promoteurs. Mais, sur le terrain, certains doutent et redoutent des suppressions d’emplois et une gouvernance lointaine.

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« On ne voit pas bien à quel objectif répond la création de ces grands ’’machins’’ standards qui signent une approche administrative et étatique », tâclait le député (UDI) Rudy Salles, il y a un an, pendant les ébats à l’Assemblée qui ont débouché sur la loi du 22 juillet 2013. La loi sur l’enseignement supérieur et la recherche avait donné un an aux universités pour se regrouper. Sur le papier, les vingt-cinq grands ensembles prennent forme. Mais les interrogations sur leur rôle qui s’étaient exprimées durant le débat parlementaire demeurent.

Les défenseurs du nouveau paysage universitaire voient dans les nouveaux regroupements l’occasion d’une meilleure visibilité internationale. «  Nous sommes des pastilles vues de Shanghaï », résumait Geneviève Fioraso durant les débats à l’Assemblée, il y a un an. La secrétaire d’Etat à l’Enseignement supérieur et la Recherche évoque encore aujourd’hui le célèbre classement de l’université chinoise de Jiao Tong. « Les regroupements entreront en compte dans les classements internationaux de 2015 », indique-t-elle. Mais ce ne doit pas être la seule raison du regroupement, prévient ce président d’université : « S’il faut se regrouper pour monter dans les classements, alors c’est n’importe quoi ! On le fait pour d’autres raisons. »

Un contrat avec l’Etat

Parmi les raisons qui ont présidé aux regroupements, il y a d’abord les étudiants, affirme Geneviève Fioraso : «  Les regroupements sont des projets entre les acteurs pour améliorer l’offre de formation », insistait la secrétaire d’Etat en fin de semaine dernière, en rappelant l’objectif d’avoir 50% d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur. Les regroupements ne sont pas nouveaux, ils font suite aux pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) de 2006. Mais, cette fois, les fusions, associations ou communautés d’universités (Comue) signeront un contrat avec l’Etat qui décrit les actions communes et les moyens financiers alloués au regroupement. Contrairement aux PRES, où les contrats étaient signés à une autre échelle, entre l’Etat et chaque établissement.

« L’ambition est d’abolir les frontières interdisciplinaires », plaide Thierry Tuot, le président de Sorbonne Universités, l’un des huit regroupements franciliens. «  Imaginez un étudiant qui arrive à Paris Sorbonne, dans une licence mixte en sciences et chinois, et qu’il ait des difficultés en chinois, explicite-t-il. Il pourra bénéficier d’un service interuniversitaire d’apprentissage des langues. » Autre exemple : un étudiant qui a une formation littéraire et des difficultés en sciences pourra bénéficier d’un service de tutorat, avec des étudiants de l’université Pierre et Marie Curie (UPMC) qui font du tutorat à Paris Sorbonne, et réciproquement. «  Avoir des emplois de tutorat UPMC, payés par l’UPMC et qui vont travailler à Paris Sorbonne » aurait été compliqué «  sans ce cadre commun », poursuit Thierry Tuot.

Pour le président de Sorbonne Paris Cité, Jean-Yves Mérindol, la Comue pourra aussi intervenir « sur le logement des étudiants étrangers », notamment pour « participer au financement des constructions de résidences ». Pascal Binczak, président de la Comue Paris Lumières, voit dans le nouveau regroupement l’occasion de « développer des Moocs [cours en ligne] qui nécessitent beaucoup de moyens ». Et, pour la recherche, la possibilité d’avoir un bureau spécifique qui répondra aux appels d’offres européens, une activité qui requiert « une expertise et un temps considérables ».

« Un monstre qui va supprimer des emplois »

« On ne fait pas de la mutualisation pour faire des économies », se défend Geneviève Fioraso, en réponse aux critiques de certains enseignants-chercheurs. Les regroupements sont un outil pour les usagers, et les premiers d’entre eux, ce sont les jeunes. » « Le rapprochement des universités n’est pas une idée absurde, admet l’un d’eux. La nouveauté, c’est la manière dont on s’en est emparé pour faire un monstre qui va supprimer des emplois. »

Evoquant le rapprochement entre les universités Paris 8 et Paris 10, Emmanuelle Tixier du Mesnil, maître de conférences à l’université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense (Paris X), faisait une analyse similaire, lors d’une réunion sur les regroupements universitaires, à l’EHESS, en mai dernier : «  On fait les mêmes cours, les mêmes disciplines, expliquait-elle. Des postes vont dont forcément disparaître. » Professeure de science politique à Nanterre et à l’origine d’une pétition contre la reconduction de Geneviève Fioraso à son poste de ministre en avril, Pascale Laborier déplore une situation « extrêmement grave ». « On va donner de l’argent à une autre entité pour dissoudre les autres, pour réformer les structures non réformables », estime-t-elle. D’autres redoutent que les anciens partenariats ne survivent pas aux nouveaux découpages : « Il est aberrant de couper Paris 11 de Paris 7, tonne cet enseignant-chercheur. C’est un non sens ! On travaille ensemble depuis 20 à 30 ans. » Les défenseurs des Comue assurent au contraire que les nouveaux regroupements ne seront pas « des bastions de rivalité » et que les universités continueront à travailler ensemble. Geneviève Fioraso répète que les échanges se feront dans un esprit de collaboration « et non de compétition ». Sans convaincre ceux qui doutent.

« Tout reste à faire, conclut le président de Sorbonne universités, Thierry Tuot. On pourra nous juger quand les étudiants diront : grâce à Sorbonne universités, il y a moins d’échec, un savoir plus riche et un accès plus facile à l’emploi. Ou quand les chercheurs diront : grâce à Sorbonne universités, j’ai déposé plus de brevets. »