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Le CIR, un couteau à double tranchant - Jean Chabod-Serieis, EducPros, 19 décembre 2014

mardi 23 décembre 2014, par Elisabeth Báthory

Le crédit d’impôt recherche n’a pas bonne presse. Chercheurs et enseignants-chercheurs veulent en changer les conditions d’attribution, les entreprises, elles, souhaitent en simplifier l’accès. L’outil doit en tout cas évoluer pour mieux faire le lien entre les deux univers.

A lire sur le site EducPros.

Il faut sauver le crédit d’impôt recherche (CIR). C’est le sens du rapport publié en septembre 2014 par le ­secrétariat d’État à l’Enseignement supé­rieur et à la Recherche.

Ce document donne un peu d’air au dispositif né en 1983, principal outil d’aide à la recherche et au développement (R&D) des entreprises. Son principe : un crédit d’impôt de 30% des dépenses de R&D des entreprises jusqu’à 100 millions d’euros et de 5% au-delà. Ainsi, si une entreprise investit 10.000 € dans un labo de recherche public ou privé, elle sera remboursée de 3.000 € sur ses impôts.

Deuxième plus grosse niche fiscale de France,
le CIR a mauvaise réputation

Sur le papier, le dispositif semble efficace et incitatif. Pourtant, le CIR, deuxième plus grosse niche fiscale de France (5,8 milliards d’euros) après le crédit d’impôt compétitivité emploi (près de 10 milliards d’euros), a très mauvaise réputation.

Critiqué de toutes parts

La Cour des comptes, l’Assemblée nationale, les Assises de la recherche, les chercheurs du collectif Sciences en marche, et même François Hollande, lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle (il a depuis revu son opinion), nombreux sont ceux qui lui reprochent de ne favoriser que les grandes entreprises, de ne servir que l’optimisation fiscale, et – le comble ! – de freiner l’emploi des chercheurs.

Dans ce contexte, le rapport du secrétariat d’État met en avant trois atouts du dispositif.

D’abord, le CIR bénéficie autant aux PME et aux start-up qu’aux établissements de taille intermédiaire et aux grands groupes. Ensuite, près de la moitié des dépenses financées par le CIR correspond à des salaires et 80% à des salaires "environnés". Enfin, après les très fortes augmentations enregistrées en 2008 et 2009, le nombre de ­déclarants croît à un rythme plus faible. En 2008, en effet, les demandes – et donc les sommes allouées – avaient explosé en raison d’une simplification du dispositif, qui a fait doubler le nombre de déclarants entre 2007 et 2012.

Voilà pour les côtés positifs... insuffisants pour les détracteurs du CIR qui aimeraient non pas le supprimer mais en réorienter les financements et revoir les modalités d’attribution. Critiqué de toutes parts, et pourtant crucial, le CIR est-il encore un bon outil de la relation entre les entreprises et les laboratoires de recherche, dont la plupart sont sous tutelle publique ?

Si on réorientait le CIR, on pourrait faire plus de recherche fondamentale.
(M. Malabre)

En 2013, la Cour des comptes, suivie quelques mois plus tard par l’Assemblée nationale (voir encadré), abondait dans le sens des chercheurs mécontents qui demandaient non pas sa suppression mais bien sa modifi­cation.

La Cour faisait suite au rapport des Assises de la recherche (2012), qui préconisait de "réorienter le CIR en direction des PME et PMI innovantes en les incitant à employer des doctorants et [de] le limiter pour les entreprises n’employant pas suffisamment de docteurs", ce que le Parti socialiste et plusieurs syndicats de chercheurs ont également réclamé.

Chercheurs, enseignants-chercheurs et person­nels techniques de soutien à la recherche du collectif Sciences en marche veulent, quant à eux, "redéployer un tiers de ce crédit d’impôt vers le financement de l’enseignement supérieur et de la recherche", soit 2 milliards d’euros.

Ce à quoi Geneviève Fioraso, ­secrétaire d’État à l’ESR a répon­du qu’il s’agissait d’"un arbitrage gouvernemental dont les crédits ne pourraient de toute façon pas être directement ­fléchés vers le budget de l’enseignement supérieur". C’est l’État tout entier qui paie la note du CIR, pas l’Enseignement supérieur et la Recherche. Et les entreprises, qu’en pensent-elles ?

449 Millions d’euros réinvestis

"Le CIR nous favorise par rapport à la concurrence inter­nationale, se félicite Vincent Templaere, président d’Eveon, une entreprise spécialisée dans les dispositifs médicaux (3 millions d’euros de chiffre d’affaires estimé en 2014 et 34 collaborateurs). Il nous permet de transférer les travaux de recherche vers des applications com­mercialisables."

Le CIR nous favorise par rapport à la concurrence inter­nationale.
(V. Templaere)

Grâce au crédit d’impôt, Vincent Templaere emploie six docteurs et trois doctorants et vient de développer, avec le CEA, une micropompe sur substrats de silicium : quatre ans de travail. " Je vois d’abord le CIR comme un levier de recrutement et de collaboration avec les laboratoires publics, explique-t-il, puisque nous travaillons avec Grenoble INP, le CEA, l’université Joseph-Fourier, les Arts et métiers, le CNRS." En tout, il estime que les organismes publics représentent plus de 50% de son investissement en R&D. Un chiffre bien supérieur à la moyenne nationale, le rapport notant que "3.000 entreprises ont déclaré un total de 449 millions d’euros de recherche contractuelle avec des institutions publiques de recherche".

Un dispositif étroitement surveillé

Pour le chef d’entreprise, l’incitation fiscale est aussi décisive. "Pour une jeune entreprise innovante, il est évident que c’est une source de financement. Pour des entreprises qui ont du mal à se ­financer en capitaux, il serait problématique de ne pas bénéficier du CIR." Avantage fiscal, le CIR est donc étroitement surveillé par l’admin­is­tration et les contrôles se multiplient (voir encadré). "J’ai eu un contrôle fiscal qui a duré un an, qui a été très dur à vivre même s’il s’est bien terminé", se souvient Vincent Templaere.

"On note une augmentation des contrôles fiscaux ces dernières années, et une sévérité accrue des organismes en charge du contrôle, témoigne Brice Obadia, consultant expert CIR chez Alma CG, un cabinet de conseil. Il y a également une augmentation des contentieux portant sur le CIR."

De plus en plus nombreux et stricts, les contrôles auraient tendance à faire évoluer les mentalités. "Les entreprises ont de très grandes chances d’être contrôlées, poursuit le consultant, qui est d’ailleurs lui-même docteur en biochimie. Pour cette raison elles ne recherchent plus spécifiquement l’optimisation ­fis­cale mais plutôt la sécurisation de leur investissement R&D."

Comme de nombreux autres cabinets qui se sont positionnés sur le secteur, Alma CG aide les entreprises dans l’accompagnement au CIR (élaboration du dossier par exemple) ainsi que dans le contrôle fiscal. Sur 1.300 collaborateurs, 260 sont dédiés à l’activité innovation et CIR des clients. Ces clients enregistrent chaque année 2.500 déclarations, soit à eux seuls près de 10% des déclarations CIR déposées en France. Leur typo­logie ? Cela va de la petite entreprise à la multinationale cotée au CAC40.

Des emplois contractuels

Les cabinets de conseil ne sont pas les seuls à accompagner ou informer les entreprises dans les méandres du CIR : le secrétariat d’État à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, BPI-France (ex-Oséo, un établissement public qui soutient et finance les PME) et les pôles de compétitivité sont investis de cette mission.

Sans le CIR, j’aurais certainement moins de doctorants.
(M. Malabre)

"Il faut savoir que notre cabinet a un rôle de régulateur du dispositif : à 30% de nos clients, nous disons que nous n’avons pas détecté de potentiel de CIR", rappelle Brice Obadia, qui estime que le crédit d’impôt aide au maintien de l’activité économique. "Je parlais avec un ­patron de grand groupe qui me ­disait que, s’il n’y avait pas le CIR, il serait obligé de produire en Allemagne. Sans ce dispositif, il y a un risque de délocaliser des emplois scientifiques hors de France."

Côté chercheurs et enseignants-chercheurs, pas question de viser la suppression du CIR. S’il est jugé "inefficace" (Sciences en marche), il doit être réorienté pour devenir un bon outil de relation avec les entreprises.

"Sans le CIR, notre dotation budgétaire serait ­réduite, juge Michel Malabre, directeur de recherche au CNRS et directeur de l’Institut de recherche en communication et cybernétique de Nantes (Irccyn). En 2014, nous avons reçu un peu plus de 4 millions d’euros de nos partenaires, dont environ 3 millions d’euros venant d’industriels."

Le directeur ignore quelle proportion de ces 3 millions d’euros bénéficie du CIR parce qu’"en tant que labo, je ne peux pas embaucher en propre ou passer un contrat avec un industriel, je dois le faire avec une de mes tutelles, le CNRS ou l’École centrale, par exemple. Ce qui est sûr, c’est que, sans le CIR, j’aurais certainement moins de doctorants".

Pour beaucoup de chercheurs, le CIR peut apparaître comme un dispositif lointain, sans application immédiate. "J’en entends parler dans les médias, s’excuse presque Joël Chevrier, enseignant-chercheur en physique à l’université Joseph-Fourier de Grenoble, mais, au quotidien, mes mots clés en matière de financement sont plutôt l’Agence régionale de santé, le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’Agence nationale de la recherche ainsi que les financements européens."

S’ils n’en voient pas les mécanismes – qui se jouent au niveau des tutelles de leurs laboratoires –, les chercheurs en voient malgré tout les conséquences. "Les emplois créés par le CIR sont contractuels, se désole Michel Malabre, des doctorants qui passent chez nous entre un et trois ans. Si on réorientait le CIR, on pourrait faire plus de recherche fondamentale. On a besoin de plus de temps pour franchir des seuils de connaissance et mobiliser des chercheurs plusieurs années en recherche fondamentale. Les CDD créés par le CIR sont utiles mais attention à ne pas se focaliser sur la recherche applicative et industrielle qui ne va résoudre des problèmes qu’à courte durée."

Sa solution ? Flécher les crédits directement vers des agences de recherche. In fine, la décision revient à l’Élysée, le Président ayant promis récemment une simplification du dispositif, "mécanisme le plus puissant pour favoriser l’investissement en haute technologie".

Le CIR, un risque pour les budgets de la Recherche


Dans le rapport 2013 remis à l’Assemblée nationale – et se fondant largement sur celui de la Cour des comptes –, le député rapporteur Alain Claeys reconnaissait que le CIR est "un instrument avantageux en comparaison avec les pratiques de nos partenaires" et, même si "l’aide fiscale à la R&D [est] la plus avantageuse des pays membres de l’OCDE".

Puis en pointait les carences : il est très coûteux et devrait l’être de plus en plus ; il entraîne des pratiques frauduleuses dans les entreprises ; il crée une incompréhension entre les entreprises et les services fiscaux.

De plus, il fait peser un risque : l’éviction de la recherche financée par la dotation budgétaire au profit de celle financée par la dépense fiscale. Traduction : plus les demandeurs vont être nombreux, plus cela va coûter cher à l’État en crédit d’impôt et plus cela risque de pousser l’État à diminuer ses dotations budgétaires directes en faveur de la recherche (de l’ordre de 14 milliards d’euros) pour compenser cette hausse fiscale.

Fraudes et contrôles fiscaux


Si les contrôles fiscaux liés au CIR se sont multipliés, c’est que certaines entreprises abusaient du dispositif. "Certains des dossiers de PME que je m’étais fait communiquer [...] étaient proprement aberrants : ils n’auraient jamais dû être acceptés car ils n’avaient rien à voir avec des dépenses de recherche !", s’offusquait le député Gilles Carrez lors de la remise du rapport de l’Assemblée.

Le rapporteur dénonce le fait que les grands groupes s’en servent pour déguiser des actions tout-venant et non de recherche spécifiquement. Ainsi, le secteur bancaire a été accusé d’en bénéficier alors que ses travaux étaient loin de la recherche.

Le secrétariat d’État à l’Enseignement supérieur et à la Recherche corrige en précisant que les banques ne représentent que 1,7% de la créance. Finalement, en 2012, 1.178 redressements fiscaux incluaient un aspect relatif au CIR, soit moins de 7% des déclarants. Un chiffre peu élevé au regard des autres fraudes ; pour comparaison, le travail au noir, selon la Sécurité sociale, est pratiqué par 7% des entreprises.

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