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André Orléan à Jean Tirole : « Avoir le Nobel, ce n’est pas disposer de la vérité » - Hubert Huertas et Laurent Mauduit, Médiapart, 15 mai 2015

samedi 16 mai 2015, par Mr Croche

« À quoi servent les économistes s’ils disent tous la même chose » ? C’est la question posée par le Manifeste pour une économie pluraliste publié cette semaine. André Orléan, directeur de recherche au CNRS, qui a dirigé l’ouvrage, est l’invité d’Objections.

A lire sur le site de Médiapart

Accompagné de la vidéo de l’émission Objections présentée par Hubert Huertas et Laurent Mauduit


André Orléan à Jean Tirole : « Avoir le Nobel... par Mediapart

André Orléan refuse la polémique avec le prix Nobel d’économie Jean Tirole, il précise même qu’il applaudit cette distinction, mais il réclame que cet éminent représentant de l’économie dite “néoclassique”, qui prône la dérégulation, soit le porte-parole d’un courant parmi d’autres, et pas de toute l’économie. Il réclame un pluralisme opposé à une forme de pensée unique. Un pluralisme qui vient d’être refusé à l’Université…

« Historiquement l’économie a toujours été un lieu de débat, ce n’est pas une science exacte et donc les débats ont toujours existé, jusqu’aux années 90, explique André Orléan à Mediapart. La France apportait beaucoup, elle était une terre d’accueil de ce pluralisme et ça s’est arrêté parce que le corpus dominant, celui des néoclassiques, a été de plus en plus dominant. La théorie néoclassique a pris des positions de pouvoir et elle a perdu une espèce d’esprit critique. Les néoclassiques se présentent tout le temps comme les seuls défenseurs de la seule vraie science. Il n’y a plus aucun débat. »

« Nous avons proposé qu’il y ait un espace dans les universités qui soit consacré à ces différentes formes d’approche économique. Les ministres, nous avions fini par les convaincre, et le 11 décembre leurs cabinets nous ont dit : “oui nous allons créer ces nouvelles sections”, et “ce sera bien”, et à ce moment-là il y a eu cette lettre de Jean Tirole à Geneviève Fioraso. Il s’opposait [à cette démarche] dans des termes très violents. Il disait qu’accepter, cela reviendrait à retourner à l’obscurantisme. Nous ne comprenons pas. Ce n’est pas une question gauche droite, c’est une question de pluralisme démocratique. Un gouvernement de gauche, normalement, devrait privilégier des courants qui ont des pensées alternatives sur les rapports sociaux. Il y a là une vraie question. Pourquoi un gouvernement, et en particulier un gouvernement de gauche, n’accepte pas cette réforme qui ne coûte rien et qui n’est pas révolutionnaire… »

« Ce livre est un des derniers cris d’alarme avant, peut-être, une extinction totale, prévient André Orléan… On ne peut pas faire vivre la recherche de cette manière. Toutes ses forces vont absolument dans le même sens, or la seule vraie force est de dire "méfiez-vous, ce n’est pas parce que vous êtes puissant que vous dites la vérité, ce n’est pas parce que vous avez le prix Nobel que vous dites forcément la vérité". La vérité, c’est l’esprit critique, et on ne peut pas faire un corps scientifique sans cet esprit critique et sans cette humilité. La crise financière a quand même montré au monde quels étaient les dangers d’une pensée unique qui ne s’autocritique pas. Or rien n’a changé ! Les capacités d’autorégulation de ce corps de néoclassiques sont nulles. »