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A la fac, une révolte en sourdine - Morgane Le Cam, Libération, 15 mai 2015

samedi 23 mai 2015, par Mr Croche

Les étudiants sont inquiets des conséquences que pourraient avoir leurs convictions à propos de la querelle entre économistes, sur leur carrière.

A lire sur le site de Libération

Voir également plus bas sur SLU : Cette querelle qui déchire les économistes français. Guillaume de Calignon, Les Echos, 21 mai 2015

Les étudiants en économie sont unanimes pour dénoncer le manque de pluralisme dans l’enseignement de la matière, jugé « passéiste ». Mais bien souvent, leurs carrières priment sur leurs revendications.

Chez les économistes en herbe, il y a d’un côté les cours de « micro », de l’autre ceux de « macro ». Des modélisations matheuses à plusieurs inconnues, de la statistique, et une théorie néoclassique (en gros, le marché se régule par lui-même) dominante. Pas ou très peu de sciences sociales, d’histoire de la pensée économique, d’ouverture sur les courants minoritaires. Une vision orthodoxe de l’économie qui a poussé Robin, en troisième année de licence, à regretter ce que beaucoup d’étudiants considèrent pourtant comme deux années de calvaire : la prépa. « L’économie y était enseignée d’une manière bien plus intéressante qu’elle ne l’est à la fac. Le côté plus littéraire nous permettait de développer une vraie réflexion, assure l’étudiant, assis dans un coin de l’amphithéâtre 5C de l’université Paris-Diderot. A la fac, on ne nous enseigne quasiment que les théories classiques, parfois sous la forme d’hypothèses un peu étonnantes. »

Ce ras-le-bol semble partagé par un grand nombre d’étudiants, quelle que soit la faculté. Même derrière les portes de Dauphine, présentée - souvent de manière caricaturale - comme le temple du libéralisme estudiantin parisien. « Je suis parti de cette fac, j’ai tout simplement arrêté l’économie parce qu’il y a une sorte de mensonge dans l’enseignement de cette matière, soutient Isaac, ancien « dauphinois » en licence sciences de la société, désormais sur les bancs de Sciences-Po. On nous répète par exemple que le prix est égal au coût marginal. C’est une des équations de base en économie, mais elle n’est pas tout le temps exacte, même les économistes le savent ! Les modèles théoriques, mathématiques, sont utiles, mais il faudrait aussi étudier les forces politiques et sociales qui font que le modèle ne s’applique pas toujours bien à la réalité. »

Pluralisme.

Le social, la politique, l’histoire sont les parents pauvres des cursus d’économie. Dans les amphis français, ce qu’on appelle les « enseignements réflexifs » ne représentent que 2,2% des formations économiques, selon une étude menée en 2013 par le collectif Peps-Economie. C’est ce manque de pluralisme et d’interdisciplinarité qui a poussé Arthur Jatteau à fonder ce groupe étudiant en 2010. Aujourd’hui, le combat n’a pas avancé. « On aurait bien aimé ne plus avoir les mêmes revendications qu’il y a quatre ans, mais rien n’a changé. On n’a pas encore vu d’étudiants lever la main pour dire "On adore notre enseignement de l’économie", alors on continue notre combat », explique le thésard.

Une lutte d’autant plus importante que ces dernières années, les professeurs hétérodoxes, enseignant leur matière à partir de courants différant des théories néoclassiques, sont en voie de disparition. Entre 2005 et 2011, sur 120 nominations de professeurs d’économie, seuls six appartenaient à des courants minoritaires. Sur les bancs universitaires, ce verrouillage dérange. « Les discours des professeurs titulaires sont souvent homogènes et correspondent à des articles lus dans telle ou telle revue de référence, affirme Guillaume, en fin de master 2 Economie monétaire et financière, à Dauphine. Or la manière dont on va penser l’économie à la sortie de l’école dépend largement du cursus qu’on a suivi, de ce qui y a été raconté. »

Carrière.

L’hétérodoxie gagne en revanche du terrain chez les étudiants. « J’ai fait de nombreuses salles de cours pour défendre le pluralisme et je n’ai jamais rencontré d’élèves s’y opposant », assure Arthur Jatteau. « L’enseignement actuel de l’économie est passéiste. Il faut s’ouvrir aux nouveaux courants de pensée, même si on n’est pas d’accord avec eux », ajoute Marc, étudiant en master 1 à l’Institut d’études européennes de l’université Paris-VIII.

Ces revendications n’empêchent pas les étudiants de s’inquiéter des conséquences que pourraient avoir leurs convictions sur leur carrière. « Pour moi, c’est trop tard, je suis déjà grillé », sourit Arthur Jatteau. Face à lui, Laurène, en master 1 d’économie à Paris-XIII, n’est pas aussi sereine. « Je me suis googlisée, et heureusement, mon adhésion à Peps-Economie n’apparaît que sur la quatrième page de recherche. » La jeune fille craint pour sa future thèse. Quand on ne pense pas comme la majorité des titulaires orthodoxes, trouver un directeur de thèse et conquérir le jury peut s’avérer plus compliqué. « Le simple fait que l’on puisse le penser, ça révèle toute l’ampleur du problème, poursuit l’étudiante. Le triptyque micro-macro-maths nous déprécie intellectuellement. Nous voulons changer les choses. » Pour que l’enseignement de l’économie ressemble davantage à un kaléidoscope… qu’à une démonstration en trois parties blindée de chiffres et de graphiques

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