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Cher Pôle Emploi - Anna Colin-Lebedev, le Club de Mediapart, 2 juin 2015

mardi 9 juin 2015, par Pr. Shadoko

Le blog d’Anna Colin-Lebedev est d’ordinaire consacré à la Russie, à l’Ukraine, aux mouvements collectifs et aux protestation, aux armées et au service militaire, aux questions de genre dans l’espace post-soviétique, ... toutes choses dont elle est spécialiste (voir sa page professionnelle).

Aujourd’hui, c’est à Pole Emploi qu’elle s’adresse par le biais d’une lettre rendue publique sur son blog.

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Cher Pôle Emploi,

Je te remercie de m’envoyer régulièrement ces offres personnalisées qui montrent l’attention que tu me portes.

La dernière en date m’a particulièrement émue.

« Bonjour, Je vous propose de participer à une session de présélection pour un poste de conseiller de vente en duty-free sur l’aéroport Charles De Gaulle, mais aussi des postes basés sur Paris au sein d’une grande enseigne de luxe de renommée mondiale, en contrat à durée indéterminée, temps plein. Prise de poste immédiate. Formation assurée, débutants acceptés. A condition de maitriser couramment l’anglais et le chinois. Plusieurs postes à pourvoir. Bonnes conditions de travail, rémunération honorable. Travail en horaires décalés 4 jours par semaine, du lundi au dimanche. »

Un moment déjà que tu ne m’envoies que ça : des postes de vendeuse au Duty Free à Charles de Gaulle et des postes de réceptionniste à l’hôtel du même aéroport. Je n’ose même pas te demander la raison pour laquelle l’aéroport manque si cruellement de personnel : es-tu sûr, cher Pôle Emploi, de m’envoyer dans un endroit sûr ?

Mais la question de fond que je voudrais te poser est autre : pourquoi penses-tu que je serais faite pour ce genre de boulot ?

Bien sûr, il y a mon physique de mannequin, mais j’ose à peine croire que cet argument puisse être pris en compte par les recruteurs. Il y a aussi mes insomnies qui te font peut-être penser que les horaires décalés me conviendraient.

Je ne sais pas si mon doctorat en science politique te donne l’impression que je serais apte à régler les questions internationales délicates qui émergent entre deux flacons de parfum ou devant la caisse. Tu as peut-être noté que j’ai travaillé dans la diplomatie et en as conclu que je savais passer la pommade ? Est-ce plutôt, de manière générale, mon profil international, ou peut-être mes dix années d’expatriation qui font le poids ? Mon blog de Mediapart qui te ferait dire que j’ai de la tchatche ? Mon expérience d’enseignante qui te fait penser que je mènerai les clients à la baguette ? Ou peut-être as-tu lu mes publications et tu y as constaté une envolée qui convenait tellement à un aéroport ?

Enfin, je te fais confiance, cher Pôle Emploi. Si tu m’envoies cette offre, c’est qu’elle est pour moi. Tu as sans doute tes raisons de penser qu’un enseignant-chercheur à profil international serait une excellente vitrine pour la France, et que le Duty Free de l’aéroport serait le meilleur endroit pour l’afficher.

Juste une question. «  Bonnes conditions de travail », je comprends, c’est joli les Duty Free et l’uniforme est d’un chic. Mais « rémunération honorable », ça ne sentirait pas le smic, ça ? Enfin bon, quelle importance. Vu ce qu’on gagne dans mon métier en France, ça ne fera pas une grande différence.

A tout à l’heure, cher Pôle Emploi. Je me maquille, je défais mon chignon de prof et j’arrive.