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Le « vice-ministre » des universités entre en zone de turbulences - Lucie Delaporte, Mediapart, 10 juin 2015

vendredi 19 juin 2015, par PCS (Puissante Cellule Site !)

Et voilà le président de la CPU habillé pour l’hiver…

À lire dans Mediapart ici (abonnés). Mise à jour du 19 juin par SLU.


Jean-Loup Salzmann, président de la conférence des présidents d’université, est l’un des personnages les plus puissants de l’enseignement supérieur. Mais depuis l’université Paris 13 dont il est président, le système clientéliste qu’il a mis en place est peut-être en train de lui échapper.


Jean-Loup Salzmann, président de l’université Paris 13 et de la conférence des présidents d’université (CPU) – certains l’appellent le « vice-ministre » –, est certes un homme de pouvoir, mais de celui qui s’exerce en coulisses. Depuis quelques semaines, le tour inquiétant qu’a pris la crise ouverte à l’Institut universitaire de technologie (IUT) de Saint-Denis a commencé à braquer les projecteurs vers lui. À son grand regret. Alors que le nom du successeur de Geneviève Fioraso au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche doit être annoncé dans les prochains jours, les perspectives de celui qui se serait bien vu Rue Descartes se sont sérieusement assombries.

Mi-mai, sept enseignants de l’IUT de Saint-Denis ont révélé avoir reçu des menaces de mort, un an presque jour pour jour après la violente agression de Samuel Mayol, le directeur de l’IUT, objet lui aussi de nombreuses menaces depuis qu’il a entrepris de mettre de l’ordre dans la gestion de plus en plus problématique de l’institut. Cours fictifs, TD fantômes, vacataires recrutés sans le niveau requis : le rapport qu’a rendu l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR) sur la gestion de l’IUT décrit un système quasi mafieux avec un préjudice financier de plusieurs centaines de milliers d’euros.

Très embarrassant pour Jean-Loup Salzmann, ce rapport de l’IGAENR insiste en effet sur l’étonnante inertie de la présidence de Paris 13 dans cette affaire, alors que les alertes s’étaient multipliées depuis longtemps. L’affaire est d’autant plus troublante que, comme Mediapart l’avait révélé l’an dernier, les personnes à la tête de l’IUT étaient les mêmes que celles qui dirigeaient, dans la même université, l’IUP Ville et santé, au début des années 2000.

Comme l’avait établi un précédent rapport de l’inspection générale, l’IUP avait peu ou prou connu les mêmes dérives que celles constatées à l’IUT : cours bidons, étudiants fantômes, opacité comptable. L’institut avait d’ailleurs été dissous à la suite de ce rapport accablant. Mais Paris 13 ne s’est manifestement pas inquiété de voir les mêmes personnes reprendre du service, quelques années plus tard, dans une autre entité de l’université.

Depuis plusieurs mois, le climat dans cet IUT est devenu irrespirable, comme nous le confirment plusieurs enseignants contactés, qui souhaitent rester anonymes. Ceux qui ont reçu parfois plusieurs dizaines de menaces de mort ces dernières semaines sont terrorisés et se sentent abandonnés par leur université, qui leur a refusé leur droit de retrait (le droit de retrait permet à un salarié confronté à un danger grave et imminent d’arrêter son activité), jugeant la menace « non avérée », comme nous l’ont rapporté ces personnels. L’université a également refusé, jusqu’à présent, de leur accorder une protection fonctionnelle.

Interrogé sur ce point qui a beaucoup choqué les enseignants de Paris 13, Jean-Loup Salzmann évoque des délais de procédure et le « coût » de cette protection pour l’université (voir le détail de sa réponse sous l’onglet Prolonger). L’argument ne convainc guère Samuel Mayol, menacé de mort depuis plus d’un an et demi. Comme d’autres, il s’interroge sur l’étrange attitude du président de l’université depuis le début de cette affaire. Pour les nombreux personnels de Paris 13 rencontrés ces dernières semaines, c’est le système clientéliste mis en place dans l’université qui est en train d’exploser.

Certains rappellent l’appartenance syndicale des dirigeants de l’IUT mis en cause, tous à Sup Autonome, un syndicat dont le vote a été déterminant dans la première élection de Jean-Loup Salzmann. Tous pointent le climat particulier des campagnes de Jean-Loup Salzmann pour se faire élire à la présidence de l’université. La crise actuelle ne serait pas sans lien avec la manière dont a patiemment pris le pouvoir ce médecin qui, de l’Unef à la Mnef en passant par SOS-Racisme, aura été aux meilleures écoles de la Mitterrandie.

En 2004, Jean-Loup Salzmann est alors médecin, professeur d’université-praticien hospitalier (PU-PH), et tente une première fois, sans succès, de se faire élire à la présidence de Paris 13. Il s’ennuie visiblement à la direction du service d’activités industrielles et commerciales (SAIC), un organisme chargé de la valorisation de la recherche au sein de Paris 13, et, en 2008, repart en campagne pour prendre la tête de l’université. Alors que le mouvement Sauvons la recherche agite les facs, Jean-Loup Salzmann prend le train en marche.

« Ce sont des moments où l’on peut se montrer, développer son réseau, et identifier des leaders d’opinions », raconte Christian Chardonnet, physicien, directeur de recherche au CNRS et enseignant à Villetaneuse, qui l’a un temps soutenu dans cette campagne. En tant que directeur du SAIC, Salzmann est invité au conseil d’administration, ce qui lui a permis de se faire connaître, de comprendre son fonctionnement et les rapports de force entre organisations syndicales.

« La consigne de voter Salzmann est venue du bureau national de l’Unef »

Surtout, la LRU, votée en 2007, change totalement les règles du jeu. Le pouvoir des présidents d’université est devenu colossal. Ils peuvent, sans trop avoir à se justifier, faire décoller une carrière ou, à l’inverse, la bloquer. À Paris 13, la campagne de Jean-Loup Salzmann prend un tour particulier. « Il promettait des tas de postes », se souvient Christian Chardonnet. « Il cloisonnait tout, transmettait certains mails, d’autres pas. Moi qui avais une culture associative très attachée à la transparence, je trouvais ça curieux. Ce sont en fait des méthodes politiques classiques mais un peu inhabituelles dans le monde universitaire », raconte encore celui qui quittera finalement la campagne. Jean-Loup Salzmann tient parole.

Ceux qui l’ont soutenu sont récompensés. « On a vu des gens au dossier scientifique totalement vide connaître de soudaines promotions », rapporte un enseignant. Les primes, à la discrétion du président, comme la LRU le permet, explosent. Jean-Loup Salzmann distribue aussi des postes de vice-président à ceux qui ont permis son élection. « Son but n’était pas de s’entourer des meilleurs mais de gens qui lui étaient avant tout redevables », indique cet opposant déclaré. À l’inverse, ceux qui se sont mis en travers de sa route commencent une traversée du désert. « Il avait le pouvoir de changer les classements [pour obtenir un poste, soumis au vote d’un comité de sélection - ndlr] et ne s’en est pas privé », assure un économiste de Paris 13, qui souhaite rester anonyme.

La campagne de 2012 pour sa réélection à la tête de l’université laisse aussi à beaucoup un goût amer. Le vote du corps des professeurs d’un côté, celui des maîtres de conférences de l’autre, ne lui donnant pas de majorité, Jean-Loup Salzmann doit soigner les administratifs et les étudiants. Chez les administratifs, la CGT, qui dispose de deux voix, a déjà annoncé qu’elle voterait pour son opposante, Françoise Dibos. Il lui faut obtenir la voix déterminante du représentant de l’Unsa, Thierry Grumelart. Un accord écrit, que Mediapart s’est procuré, cosigné par Jean-Loup Salzmann et Thierry Grumelart, scelle une alliance à la veille de l’élection. Jusqu’ici, rien d’anormal.

Ce sont plutôt les avantages accordés à Thierry Grumelart depuis la réélection de Jean-Loup Salzmann qui étonnent à Paris 13. Il est déjà difficile de comprendre comment, titulaire d’une maîtrise d’administration générale et territoriale, Thierry Grumelart a pu être bombardé directeur d’étude et responsable d’un master banque et finances.

« Non seulement il n’a pas les diplômes requis, mais en plus, il est responsable d’un master où il encadre des étudiants, pratique la validation d’acquis de l’expérience alors qu’il n’a aucune formation dans le domaine », s’indigne un enseignant-chercheur. Plus grave encore, pour cette seule année, Thierry Grumelart a déclaré 798 heures de cours, selon un document interne que s’est procuré Mediapart (à consulter ici), alors qu’un service d’enseignant-chercheur est de 192 heures et que le plafond à ne pas dépasser pour les enseignants non chercheurs est fixé à 384 heures… De quoi toucher une très confortable rémunération. « Avec ses fonctions administratives, il est totalement impossible de faire autant de cours », relève le même enseignant.

Interrogé par Mediapart sur sa situation, Thierry Grumelart nous a dit qu’il ne souhaitait pas « répondre à d’éventuelles questions ». La présidence de Paris 13 nous a, elle, assuré procéder à des vérifications.

Avec l’Unef, Jean-Loup Salzmann aura un peu plus de fil à retordre. Vivien Hallier, ancien président de l’Unef à Paris 13, élu au conseil d ’administration, se souvient d’avoir fait campagne dans un premier temps contre le clientélisme de Salzmann. «  Il a toujours accepté de discuter avec nous sur tous les sujets mais avait une très nette tendance à donner même à des problèmes collectifs une réponse individuelle. Un exemple : en 2010, un enseignant de la filière de STAPS, à Bobigny, avait décidé de rendre le redoublement sélectif, ce qui est parfaitement illégal pour une licence, et avait ainsi refusé la réinscription à de nombreux L1. Jean-Loup Salzmann a alors accepté de réinscrire individuellement tous ceux que j’avais réussi à recontacter personnellement pour constituer un dossier, mais a refusé de signifier à cet enseignant de remettre en question la pratique de manière globale, maintenant ainsi l’université dans l’illégalité pour ménager le corps enseignant », raconte-t-il.

Cet étudiant, qui tenait un blog détaillant la gestion de l’université, rapporte avoir été poussé, sous la pression du service juridique, à le fermer en 2012. Alors qu’il mène clairement campagne contre sa réélection, Vivien Hallier découvre qu’un accord avec Salzmann a été secrètement passé avec un autre représentant de l’Unef (voir notre document). Il stipule par exemple que les règles d’attribution du fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes (FSDIE) seront revues.
[lire le fichier pdf ci-après]
« L’accord fait référence à mots couverts en son dernier point au financement du Festival étudiant contre le racisme, dont le financement par le FSDIE permettait à la section locale de dégager des “marges de fonctionnement” de quelques milliers d’euros  », affirme Vivien Hallier. Pour lui, les dés étaient de toutes façons pipés puisque « la consigne de voter Salzmann est d’abord venue du bureau national de l’Unef ». « Il n’y avait pas à discuter », se souvient cet ancien étudiant, qui décide alors, écœuré, de quitter l’Unef.

Une CPU « courroie de transmission des pouvoirs publics »

Contacté par Mediapart, Julien Million, le représentant de l’Unef qui a négocié avec Jean-Loup Salzmann, certifie que les projets pour lesquels l’Unef recevait des financements « étaient soumis à des règles très précises », et assure pour le reste que les déclarations de cet ancien élu de l’Unef relèvent de « rancœurs personnelles ». Emmanuel Zemmour, qui dirigeait alors l’Unef au niveau national, n’a jamais retourné nos appels. Suite à la publication de notre article, il nous précisé que c’est « toujours l’équipe locale de l’UNEF qui discute avec les candidats pour les interroger sur leur programme et leur intentions dans l’université et leur apporter (ou non) leur soutien. C’est ce qui s’est passé alors. Pour la direction nationale dont j’étais, passer outre reviendrait à décrédibiliser l’équipe locale et lui faire perdre toute légitimité par la suite face à la direction de leur université ».

Même en dehors des périodes électorales, il est manifestement porté, à Paris 13, la plus grande attention aux élus étudiants, qui forment un corps électoral décisif pour la présidence. Mediapart s’est ainsi procuré le mail qu’un professeur d’économie envoie à ses collègues, leur demandant de réinscrire une année de plus un étudiant en Master 2 d’économie « pour terminer son mandat électif », en précisant « qu’il est possible qu’il ne suive pas les cours et ne se présente pas aux examens ». Un étudiant tout ce qu’il y a de plus fictif donc, mais dont la voix compte. Interrogée sur ce point, la présidence nous a fait cette réponse : « Nous avons retrouvé les échanges de mails auxquels vous faisiez allusion concernant les étudiants inscrits pour terminer leur mandat étudiant. Le président de l’Université revendique le fait de favoriser l’engagement étudiant. »

Le cas de la vente de sandwichs accordée à l’association l’Ouverture – qui représente une manne substantielle pour une association étudiante – pose là encore de nombreuses questions. L’inspection générale s’est ainsi émue de cette tolérance, la vente de denrées alimentaires à l’université étant normalement un monopole du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS), cette vente se faisant par ailleurs sans aucun contrôle sanitaire. Cette dérogation a-t-elle été accordée en échange des voix de l’Ouverture au conseil d’administration ?

Interrogé sur ce point, Jean-Loup Salzmann nous a répondu que cette vente était « tolérée à Paris 13 depuis bien longtemps comme c’est le cas dans de nombreuses universités ». Ce qui est sûr, c’est qu’après avoir voté Salzmann en 2008, le représentant de l’Ouverture, Omar Jellouli, n’apporte pas sa voix en 2012 au président en place, et que son association se voit, quelques mois plus tard, retirer cette tolérance. Après une procédure disciplinaire pour des bagarres entre son association et l’Unef, Omar Jellouli sera finalement exclu de l’université.

Si Jean-Loup Salzmann a mis tant d’énergie à se faire élire et réélire, en mars 2012, à la tête de Paris 13, c’est aussi qu’il vise plus loin. Il a déjà préparé sa campagne pour devenir président de la conférence des présidents d’université, un poste qui vaut souvent à son présidente le titre de “ministre bis” des universités. Il n’hésite pas à jouer de sa proximité avec le gouvernement qui vient d’arriver et sera finalement élu en décembre 2012. « Tout le monde savait que Geneviève Fioraso était faible car assez éloignée du monde universitaire. Jean-Loup, lui, se vantait de discuter directement avec l’Élysée », raconte un président d’université. Deux ans plus tard, cette proximité commence à lui jouer des tours et une liste d’opposition, menée par Danielle Tartakowsky, Anne Fraïsse et Rachid El Guerjouma, dénonce une CPU devenue «  une courroie de transmission des pouvoirs publics ».

Son rôle au sein de la CPU n’est pas non plus dénué d’ambiguïté. « Jean-Loup Salzmann a plutôt tenté de calmer les présidents d’université, qui demandaient plus de moyens, qu’il ne les a défendus. Lorsque la CPU a fini par publier quelques textes sur le sujet, c’est vraiment parce qu’il y était acculé », explique une présidente d’université qui, microcosme oblige, requiert l’anonymat.

La seule fois où la CPU est réellement montée au créneau contre le gouvernement, c’est pour s’opposer à la nouvelle obligation de parité dans les comités académiques qui décident des recrutements et des promotions des maîtres de conférences. Sous la houlette de Salzmann, la CPU, dont le bureau ne compte aucune femme, a en effet saisi le Conseil d’État puis le Conseil constitutionnel pour faire abroger cette disposition de la loi Fioraso de 2013. Le Conseil constitutionnel l’a déboutée et l’image d’une institution luttant contre la parité reste pour beaucoup d’universitaires totalement déplorable. Un incontestable faux pas pour ce fin stratège qui a toujours baigné dans le monde des intrigues politiques.

« C’est quelqu’un qui adore la politique. Notre génération est comme ça », dit de lui son ami Benjamin Stora, professeur à Paris 13, qui l’a connu étudiant, du temps de la création de l’Unef-ID. Avec le Parti socialiste, les relations sont anciennes et quasi familiales. « Il a sauté sur les genoux de François Mitterrand », rappelle Christian Chardonnet. Le père de Jean-Loup, l’ingénieur Charles Salzmann, est en effet un des plus proches amis de François Mitterrand et a participé activement à sa conquête du pouvoir.

« Responsable de la stratégie électorale de Mitterrand  » à partir du milieu des années 1970, selon le biographe de Mitterrand Philip Short, Charles Salzmann deviendra son conseiller stratégique après l’élection. Il est l’un des premiers à conseiller à Mitterrand de favoriser la candidature Chirac, contre lequel il lui prédit un bien meilleur score que face à Giscard. Et il organise par exemple une rencontre entre les deux hommes au domicile d’Édith Cresson, alors jeune membre du bureau national du PS, où Mitterrand, comme le raconte Philip Short dans son livre François Mitterrand. Portrait d’un ambigu (Nouveau Monde éditions), conseille à Chirac de ne pas trop rester dans l’ombre de Giscard.

Unef, Mnef, SOS-Racisme

Les premiers engagements de Jean-Loup Salzmann s’inscrivent dans ce contexte particulier. François Mitterrand manque de relais chez les étudiants. Il devient urgent de créer une structure qui lui permette d’exister dans cette frange clé de la population. Avec son copain de fac de médecine Jean-Marie Le Guen, aujourd’hui ministre chargé des relations avec le Parlement, Jean-Loup Salzmann, vingt ans, fonde ainsi le Cosef, une organisation étudiante chargée de représenter les mitterrandiens, comme le décrit notre collègue Laurent Mauduit dans son livre À tous ceux qui ne se résignent pas à la débâcle qui vient (Don Quichotte, 2014).

Le groupuscule, qui ne compte qu’une poignée d’étudiants, est alors dirigé par Édith Cresson. « Je ne me souviens pas que le Cosef ait mené une seule action en faveur des étudiants », raille le médecin Emmanuel Maheu, à l’époque membre de l’OCI (les trotskistes lambertistes) et qui côtoie tout ce petit monde alors que se prépare la création de l’Unef-ID, union des trotskistes et des différentes mouvances socialistes contre l’Unef-renouveau, communiste.

« L’objectif était de prendre le contrôle de la Mnef », se souvient Benjamin Stora. Jean-Loup Salzmann participe en 1978, aux côtés de Jean-Marie Le Guen et Jean-Christophe Cambadelis, à la prise de pouvoir au sein de la mutuelle étudiante. Président de la section de Paris, il devient vice-président national en 1982, alors qu’Olivier Spithakis, futur directeur général, en est le trésorier. Il quittera finalement les instances de la mutuelle en 1985. « Comme d’autres, nous sommes partis travailler dans la vie réelle. Jean-Loup est parti faire ses recherches  », raconte encore Benjamin Stora. Des recherches qui ne l’occupent cependant pas trop longtemps – l’homme a d’ailleurs très peu publié, tant à cette époque que tout au long de sa carrière hospitalo-universitaire. Jean-Loup Salzmann est alors appelé par une autre aventure mitterrandienne : la création de SOS-Racisme.

Alors que d’une main, François Mitterrand favorise la montée du FN, comme l’ont très bien montré Thomas Legrand, Emmanuel Faux et Gilles Perez dans La Main droite de Dieu : enquête sur François Mitterrand et l’extrême droite (Le Seuil, 1994), de l’autre, il entend créer un mouvement susceptible de lui offrir une nouvelle dynamique chez les jeunes autour de l’anti-racisme. Les sondages, après le tournant de la rigueur de 1983, sont en effet au plus bas.

« Tout est parti du petit groupe Filoche, tenu par Julien Dray, Didier François, alias “Rocky”, et Harlem Désir. Ils avaient été très marqués par la Marche des Beurs et se disaient qu’il fallait faire quelque chose. Tous décident d’en parler à leur camarade Jean-Loup Salzmann, dont le père est en poste à l’Élysée. Salzmann en parle au président, qui passe le bébé à Bianco. Et l’affaire est lancée », explique Benjamin Stora aux trois auteurs.

« Désormais, tout est piloté de l’Élysée. Jean-Louis Bianco, alors secrétaire général de la présidence de la République, témoigne sans retenue », poursuivent les journalistes : « Mon premier contact, c’est Jean-Loup Salzmann. Il m’a dit : “J’ai des amis qui voudraient lancer un mouvement et j’ai même un type pour le diriger, il s’appelle Harlem Désir… Je te jure, c’est son vrai nom !” Je rencontre donc pour la première fois Julien Dray, Rocky, Harlem Désir. On les met en contact avec Pilhan », raconte Bianco, qui admet avoir œuvré à leur trouver «  des financements par les ministères ».

Quelques années plus tard, en 1988, Jean-Loup Salzmann entre au cabinet d’Hubert Curien, alors ministre de la recherche et de la technologie. Il y restera cinq ans, officiellement comme « conseiller technique chargé de la biologie, de la médecine et de la culture scientifique et technique  ». Une jolie promotion pour ce jeune homme de 33 ans qui n’a alors que bien peu d’états de service dans ces domaines, bientôt suivie d’une autre. Alors qu’il n’a pas fait l’internat, qui n’était pas obligatoire à l’époque, et que ses condisciples de fac de médecine se souvienne d’un étudiant plutôt dilettante, Jean-Loup Salzmann est bombardé par décret présidentiel PU-PH en décembre 1991. Un statut en or qui assure une rémunération très confortable (autour de 10 000 euros mensuels) et n’impose aucun décompte des heures à l’hôpital ou à l’université.

Interrogé sur sa nomination, Jean-Loup Salzman affirme qu’elle s’est faite « on ne peut plus normalement ». « J’ai été auditionné par le conseil national des universités qui m’a déclaré qualifié, puis le conseil de gestion de l’UFR de médecine et la commission médicale d’établissement de l’AP-HP ont voté pour mon recrutement. »

Cette version fait quelque peu sourire cet ancien PU-PH d’Avicenne qui souhaite rester anonyme. « Dans le cas de Salzmann, il n’y avait pas de poste pour lui à Bobigny puisqu’il y avait déjà deux professeurs d’histologie. Le ministère a donc donné un poste de PU-PH à Bobigny pour que ce CHU accueille Salzmann  », se souvient ce médecin. Mais ce qui irrite le plus à l’hôpital d’Avicenne, c’est qu’il n’y ait ensuite « jamais mis les pieds ». Ce que nous ont confirmé plusieurs personnels hospitaliers, comme l’ancien directeur, Michel Billis. Il n’était pas anormal que Jean-Loup Salzmann, nommé en histologie, une branche de la biologie, n’ait pas de consultation. Mais « on ne nomme pas des PU-PH pour ne pas avoir d’activité hospitalière. Les histologistes peuvent travailler à l’hôpital dans des services de PMA ou en anatomo-pathologie ou encore ailleurs… En ce qui le concerne, il n’a jamais fait d’effort ou manifesté l’intention d’avoir une activité hospitalière », s’agace toujours le même médecin.
Lorsqu’on indique à Jean-Loup Salzmann que plusieurs médecins contactés par Mediapart nous ont affirmé ne l’avoir « jamais vu à l’hôpital », il ne dément pas. « De 1993 à 2002, j’ai exercé mes fonctions hospitalières à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière (service CERVI, essais cliniques de thérapie génique) », dit-il, tout en précisant que « les ordonnances de 1958 ne précisent pas de quelle manière les hospitalo-universitaires doivent remplir leur triple mission enseignement-recherche-soins, les fonctions hospitalo-universitaires étant “indissociables” ».

Si sa proximité avec François Mitterrand lui a sans aucun doute ouvert bien des portes et permis d’obtenir une confortable situation, l’héritage a parfois été lourd à porter dans le monde universitaire. « Il a toujours été méprisé par ses condisciples pour la manière dont il avait été promu », croit savoir un collègue de Paris 13. Jean-Loup Salzmann, qui espère toujours poursuivre sa carrière au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, pourrait voir ses projets perturbés par le rapport définitif sur la gestion de l’IUT de Saint-Denis, qui doit être bientôt rendu public.

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