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Les regroupements universitaires en ébullition - Camille Stromboni, "Le Monde Campus", 22 novembre 2016

lundi 21 novembre 2016, par Mam’zelle SLU

Panthéon-Sorbonne vient de claquer la porte de son pôle. En Ile-de-France, le modèle tangue.

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L’heure est aux turbulences dans le paysage universitaire francilien. L’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, mastodonte de 40 000 étudiants en droit, économie et sciences humaines et sociales, vient de claquer la porte de son regroupement, Hautes écoles Sorbonne Arts et Métiers université (HeSam Université), qui l’unit à onze partenaires, dont le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), Arts et Métiers ParisTech, l’ENA et l’ESCP Europe.

Depuis plus d’une dizaine d’années, l’Etat impulse une politique de rapprochement entre universités, grandes écoles et organismes de recherche, afin de mettre fin à l’éclatement de l’enseignement supérieur et de la recherche français. Avec la loi Fioraso de 2013, les établissements ont dû choisir entre se réunir au sein de communautés d’universités et établissements (Comue), fusionner ou s’associer. Mais, avec 40 % du potentiel de recherche français, plus d’un quart des étudiants et une multitude d’établissements prestigieux aux identités fortes, l’Ile-de-France fait bien des soubresauts.

" Quand ça ne va pas, il faut savoir partir ", juge Georges Haddad, président de l’université Paris-I récemment élu, qui a ouvert la boîte de Pandore en organisant un congrès pour débattre de la sortie d’HeSam, le 16 novembre. Après un vote – consultatif – en faveur de la rupture, le conseil d’administration a embrayé dans le même sens (18 voix pour la sortie, 6 contre, 9 abstentions), jeudi 17 novembre.

" Paris-I est une université de prestige à nulle autre pareille, qui se serait perdue et affaiblie au sein d’HeSam ", s’explique le président, évoquant un " mal-être et un malaise " depuis une première explosion, en 2014. Cinq établissements avaient alors quitté le navire avec fracas (l’EHESS, l’EPHE, l’Ecole nationale des chartes, l’Ecole française d’Extrême-Orient et la Fondation Maison des sciences de l’homme). Le poids de Paris-I dans les instances dirigeantes n’était pas non plus suffisant, regrette le président.

Chez les partenaires du pôle né en 2010, la colère domine. " Détricoter tout le travail que nous menons ensemble depuis des années est invraisemblable et incompréhensible, s’exclame Olivier Faron, directeur du CNAM. C’est le triomphe de la démagogie et du populisme : il est toujours facile d’avoir du succès en s’opposant, plutôt qu’en s’attelant à construire ensemble. "" C’est un immense gâchis, renchérit Laurent Carraro, directeur des Arts et Métiers -ParisTech. Je ne vois pas comment HeSam peut se remettre de ce -nouveau traumatisme. "

Une inconnue demeure : vers qui Paris-I va-t-elle pouvoir se tourner ? L’appartenance à un pôle est obligatoire, rappelle-t-on au secrétariat d’Etat à l’enseignement supérieur, sans commenter la rupture, arguant de l’autonomie des établissements. Si M. Haddad se dit confiant, les opposants internes voient dans cette absence d’alternative un motif d’inquiétude, dans un territoire francilien plutôt fermé. " Paris-I n’a pas vocation à rester seule, promet-il. Nous avons six mois - délai de sortie d’HeSam - pour écrire une nouvelle histoire. " Il cite Paris-VIII, Paris-X ou encore Paris-XIII comme de possibles futurs partenaires.

La possibilité de se rapprocher de Paris-II-Assas est aussi une option qui revient régulièrement sur la table. La prestigieuse université de la rue d’Assas ne ferme d’ailleurs pas la porte, insatisfaite elle aussi de son pôle, Sorbonne Universités. Elle y est associée à deux grandes universités – Pierre-et-Marie-Curie (ex-Paris-IV) et -Paris-Sorbonne (Paris-IV), en voie de fusion – après avoir refusé d’entrer dans la Comue.

D’autres regroupements sont confrontés à de fortes tensions. A la Comue Sorbonne-Paris-Cité, -Paris-III-Sorbonne-Nouvelle, Paris-Descartes et Paris-Diderot vont se prononcer le 16 décembre sur un projet sensible de fusion, après en avoir éjecté Paris-XIII, située de l’autre côté du périphérique, qui n’y sera qu’associée. " Plus il y a d’acteurs, plus c’est compliqué ", s’explique le président de Paris-Descartes, Frédéric Dardel, qui justifie ce périmètre restreint aux trois universités parisiennes par des différences de culture et de stratégie avec Paris-XIII.

Modèle d’intégration fort

Dans l’université Paris-Saclay, qui réunit des établissements de renom comme Paris-Sud, l’X ou HEC, la guerre est repartie entre les 18 membres, faute d’accord sur une intégration plus forte au sein du pôle. Des négociations interministérielles sont en cours – certaines écoles relevant de la tutelle de la défense, d’autres des ministères de l’économie ou de l’enseignement supérieur – avec l’espoir d’aboutir à une clarification d’ici au 30 novembre, date prévue pour une communication en conseil des ministres.

En arrière-plan, la compétition de l’Initiative d’excellence (IDEX) est dans toutes les têtes. Cet appel à projets des Investissements d’avenir – avec à la clé des millions d’euros pour les pôles reconnus d’envergure mondiale – privilégie en effet le modèle des fusions, forçant les candidats à s’entendre sur un modèle d’intégration fort.

Conscient des tiraillements autour du modèle des Comue, le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur, Thierry Mandon, s’est vu remettre un rapport, le 14 novembre, sur les moyens de dépasser les blocages. Une solution est remise au goût du jour : le modèle polémique du " grand établissement ", pourtant écarté par la loi Fioraso au début du quinquennat.

Ce format dérogatoire, que M. Mandon espère rendre possible en effectuant une modification législative, est source d’une plus grande souplesse, plébiscitée par un grand nombre de chefs d’établissement. Mais il constitue un casus belli pour plusieurs syndicats d’étudiants et d’enseignants. Au premier rang desquels l’UNEF : l’organisation étudiante dénonce cette " porte ouverte vers la dérégulation du système de formation ", souligne sa présidente, Lilâ Le Bas. Avec la crainte de voir autoriser, comme à Dauphine, la sélection et l’augmentation des droits d’inscription.

" Nous avons un gouvernement qui a promulgué les Comue mais qui n’y croit pas lui-même, s’énerve Franck Loureiro, secrétaire national du SGEN-CFDT, totalement opposé aux grands établissements. Ce bordel en Ile-de-France, c’est de la responsabilité de l’Etat, qui n’a pas joué son rôle de tutelle, en obligeant les établissements à mener de vraies politiques en commun. "


Camille Stromboni