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"L’Université n’est pas en crise", de Romuald Bodin et Sophie Orange, Recension par Bénédicte Vidaillet, professeure, Université Paris Est Créteil

mardi 22 novembre 2016, par Laurence

Un excellent compte rendu du livre de Romuald Bodin, Sophie Orange, L’Université n’est pas en crise. Les transformations de l’enseignement supérieur : enjeux et idées reçues, Éditions du Croquant, coll. « Savoir/Agir », 2013, 213 p., ISBN : 978-2-36512-030-2. Ce compte rendu a paru dans la Nouvelle Revue de Psychosociologie

Voici un livre que chacun devrait avoir lu : décideurs politiques, journalistes, étudiants (actuels et futurs), familles d’étudiants et personnels de l’Université, tant il met à mal les mythes répandus sur cette institution en s’appuyant sur une analyse empirique de la situation et la fonction actuelles de l’Université au sein de l’enseignement supérieur. Depuis des années en effet, le seul discours relayé dans l’espace public, alimenté par une succession de rapports ministériels et de controverses médiatiques et politiques, est celui d’une « crise de l’Université ». Crise qui se caractériserait par des maux - échec important en premier cycle, insertion difficile des diplômés et faible niveau des « nouveaux étudiants » - auxquels correspondraient les remèdes miracle que sont sélection et professionnalisation. Crise invoquée tant pour dénoncer une inquiétante stagnation de ses effectifs étudiants (dans les années 2000) qu’une dangereuse massification en période de croissance (décennies 1960 puis 1985-1995).

Or comment répondre aux problématiques réelles de l’Université et prendre à son sujet des décisions pertinentes si l’on part d’un diagnostic aussi erroné qu’il est répandu ? Car cette rhétorique crisologique ne fait pas que démoraliser les acteurs universitaires ; elle justifie, depuis de nombreuses années, les réformes les moins solidement fondées de l’Université publique. Les auteurs de ce livre donnent enfin les moyens de comprendre l’Université contemporaine, grâce à un état des lieux rigoureux, étayé par un impressionnant travail empirique mêlant enquêtes sociologiques auprès de nombreux publics étudiants (premier cycle universitaire, IUT [1], STS [2], classes préparatoires, etc.), études statistiques nationales, comparaisons internationales, entretiens semi-directifs, monographies et travail ethnographique.

Sélection ne rime pas forcément avec excellence

Premier préjugé attaqué : les auteurs proposent de rompre avec une vision duale de l’enseignement supérieur selon que l’accès aux filières est sélectif ou non. Cette représentation très répandue scinde en deux les filières, les publics et les orientations. D’un côté, les filières sélectives, accessibles sur dossiers ou concours (STS, IUT, CPGE [3], écoles du paramédical et du travail social, écoles d’art, de commerce ou d’ingénieurs, etc.). De l’autre, l’Université dont l’accès est de droit à tous les bacheliers. Les étudiants des filières sélectives seraient des élus, choisis par et ayant choisi leurs filières, en conséquence d’un meilleur niveau que ceux des filières ouvertes, non sélectionnés et forcément passifs, entrés à l’Université par défaut. Seule institution à ne pouvoir choisir son public, non attrayante car non sélective, l’Université paraît, dans cette représentation binaire, bien fragilisée, voiture-balai de l’enseignement supérieur récupérant ceux qui n’ont pu aller ailleurs, dont, entre autres, les titulaires d’un bac technologique ou professionnel.

De fait, seulement un quart des bacheliers professionnels poursuivent dans l’enseignement supérieur (contre ¾ des bacheliers technologiques et la quasi-totalité des bacheliers généraux) dont les deux tiers s’orientent en STS pour préparer un BTS (brevet de technicien supérieur). Ces étudiants sont donc tout à fait marginaux à l’Université qui accueille au contraire plus de la moitié des étudiants titulaires d’un baccalauréat général. Ainsi en 2011, l’Université a intégré en L1 environ 150 000 bacheliers généraux pour 12 000 bacheliers professionnels.

Si la lecture de l’espace dessiné par l’enseignement supérieur, entre un pôle sélectif de qualité et un pôle qui accueillerait le tout-venant, est erronée, c’est surtout qu’elle passe totalement à côté de la véritable hiérarchie des filières. En effet, alors que le sens commun associe sélection à excellence et qualité des étudiants, le panorama des filières sélectives est en fait très hétérogène. Au regard du taux de bacheliers généraux comme du taux de bacheliers « à l’heure » (n’ayant pas de retard de scolarité), les filières sélectives se scindent en deux catégories opposées. Les CPGE, les écoles de commerce, d’ingénieurs et d’art se distinguent par une proportion très élevée de bacheliers généraux « à l’heure » ou en avance, dont très peu sont issus des classes populaires ; tandis que dans les STS, IUT, écoles du travail social et paramédicales, accessibles sur dossiers ou concours, sont surreprésentés les bacheliers en retard issus de baccalauréats professionnels et technologiques, d’origine plus modeste (père ouvrier, employé ou inactif). Les auteurs ont ainsi pu observer les pratiques de sélection de commissions de recrutement à l’entrée en BTS : les dossiers privilégiés étaient ceux d’étudiants qui ne risquaient pas d’être attirés par d’autres filières - étudiants très « moyens », ayant souvent du retard, issus des filières technologiques et professionnelles, sans mention au bac, et, critère important, d’origine géographique locale, les enseignants anticipant un public captif n’ayant pas les moyens de se déplacer dans un autre établissement.

Quant aux filières universitaires, en matière de dotation scolaire de leurs étudiants, elles occupent des positions intermédiaires entre ces deux pôles sélectifs. Positions elles-mêmes différenciées selon les disciplines : droit, santé, sciences politiques concentrant le plus de bacheliers généraux et à l’heure ; à l’opposé des filières AES, langues et lettres ; tandis que sciences, STAPS, sciences humaines et sociales se situent entre les deux.

C’est donc la place dans la hiérarchie symbolique des filières qui définit la nature du public et non le caractère sélectif d’une formation. Et comme le montrent les auteurs, cette hiérarchie est bien intégrée par les bacheliers eux-mêmes et par leurs familles : ainsi, si les bacheliers généraux se projettent dans un espace composé de l’Université, des CPGE et des IUT, les bacheliers technologiques et professionnels, lorsqu’ils envisagent de poursuivre leurs études, se projettent essentiellement dans les seules STS. Non par défiance pour l’Université, mais, comme le montrent les entretiens menés par les auteurs parce que nombreux sont ceux qui ne se sentent pas les compétences nécessaires (dans le rapport au savoir théorique et aux méthodes de travail) pour répondre aux exigences de l’Université. Ils sont fortement influencés, dans leurs représentations et leurs choix, par les prescripteurs que sont les enseignants du secondaire et les conseillers d’orientation, eux-mêmes tout aussi victimes de préjugés erronés sur l’enseignement supérieur que la majorité de la population et contribuant massivement, souvent à leur insu, à la reproduction des hiérarchies sociales.

L’Université ne forme pas que des chômeurs

Selon un préjugé courant, faire ses études à l’Université c’est se condamner au chômage, du moins augmenter ses risques de le rencontrer. Pourtant, toutes les études d’insertion professionnelle montrent que si le diplôme protège du chômage ce sont les diplômes du supérieur qui s’acquittent le mieux de cette tâche : plus le diplôme est élevé, plus le taux de chômage est faible. Ceci étant posé, il importe ensuite de complexifier la représentation.

Tout d’abord, si on observe que le niveau de diplôme tend à réduire le taux de chômage, l’efficacité et l’intensité de cette réduction varie selon le type de secteur et d’emploi auquel prépare le diplôme. Bien avant le diplôme, c’est donc la situation du marché du travail dans tel ou tel secteur qui est la cause structurelle du risque de chômage.

Ensuite, la frontière entre les diplômes les plus protecteurs et ceux qui le sont un peu moins ne respecte pas la division entre Université et (grandes ou moyennes) écoles, filières sélectives ou non, professionnelles ou non. Globalement, les taux de chômage dans les trois années suivant la formation s’échelonnent entre 1% pour les écoles du social et du paramédical et 14% pour les détenteurs d’un DUT. Les écoles d’ingénieur sont à 5%, les licences professionnelles à 8%, les écoles de commerce à 9%, les BTS et les masters universitaires à 11%.

Autre observation importante : le seul taux d’insertion ne suffit pas ; il importe de prendre en compte le niveau d’emploi (et de salaire) auquel peuvent accéder les diplômés (employés, agents de maîtrise, cadres). De ce point de vue, les formations permettant d’accéder au statut cadre sont, par ordre croissant : les écoles du secteur social ou paramédical (1 à 2% seulement), les BTS, les DUT, les licences, les masters à égalité avec les écoles de commerce, et enfin les écoles d’ingénieur (85 à 93% selon la spécialité). Les masters constituent cependant un espace hétérogène, le taux de cadres dans les dix années suivant l’obtention du diplôme variant de 36% pour les masters d’histoire et géographie (mais avec un taux de chômage faible) à 77% pour les masters de physique et chimie, un taux supérieur au taux moyen des écoles de commerce (73%).

Un carrefour qui régule l’ensemble de l’enseignement supérieur

Autre préjugé ô combien répandu : les différentes filières du supérieur sont perçues comme des couloirs plus ou moins longs, alignés les uns à côté des autres et sans liens les uns avec les autres autrement que de concurrence. Cette appréhension tubulaire (« choisir sa voie »), finaliste (« faire des études de médecine pour être médecin », « du droit pour devenir juriste ») et concurrentielle (« l’Université ou les grandes Ecoles ») des filières empêche de saisir toutes les formes, pourtant nombreuses et complexes, de circulation des étudiants entre elles ; elle occulte la dynamique des parcours de formation au sein de l’enseignement supérieur, liée notamment à la manière dont les étudiants se les approprient. Pire, elle conduit à analyser cette variété en termes d’anomalie, voire de déviance, passant à côté du caractère répandu – et même typique - du phénomène et de son efficacité.

De fait, quand on étudie empiriquement les parcours, il apparaît que les filières ne sont pas côte à côte, mais au contraire emboîtées les unes dans les autres. L’Université irrigue ainsi, avec ses premiers cycles, de nombreux cursus extra-universitaires, jouant un rôle de classe préparatoire. Par exemple, les écoles du travail social, théoriquement accessibles au niveau baccalauréat, ne reçoivent de l’enseignement secondaire que 15% de leurs effectifs (en 2011), au profit d’étudiants en provenance d’une autre filière de l’enseignement supérieur et notamment de l’Université. Plus de 20% des étudiants ayant intégré une grande école proviennent de l’Université (licence, master ou IUT). Et l’Université prépare à de nombreux concours permettant d’intégrer des formations extra-universitaires (dans la fonction publique, ou le paramédical par exemple). Cela fonctionne également dans l’autre sens. Ainsi, l’obtention d’un diplôme d’école est fréquemment suivie d’une poursuite d’études à l’Université (sur certaines spécificités de master par exemple ou en thèse). En 2012 par exemple 16% des étudiants diplômés d’une école d’ingénieur ont poursuivi leur cursus. L’Université peut également être un prolongement de parcours dès la L3 : ¾ des élèves des classes préparatoires littéraires continuent leur cursus à l’Université (de même que 20% et 17% pour ceux qui sortent respectivement de classes préparatoires économiques et scientifiques) ; les élèves d’IUT ou détenteurs d’un BTS intègrent fréquemment l’Université.

Il apparaît donc qu’au sein d’un paysage de l’enseignement supérieur devenu plus complexe, du fait de la multiplication des établissements et des formations, l’Université joue le rôle central d’un vaste service public de distribution et de redistribution d’étudiants. Elle est le carrefour autour duquel s’organise et se régule l’enseignement supérieur.

Abandon ne rime pas avec échec

Autre idée tenace : l’Université serait une machine à produire de l’échec et de l’abandon.

En 2010-2011, moins de la moitié des étudiants de L1 (43%) ont accédé à la deuxième année ; les autres se sont partagés entre redoublement et abandon (recouvrant surtout réorientation et plus marginalement sortie des études supérieures). Ce taux d’abandon d’environ 25% à l’issue de la L1, est généralement analysé par les commentateurs – politiques, médiatiques, mais aussi par les acteurs universitaires - comme un dysfonctionnement témoignant, selon ce qu’il s’agit de dénoncer : d’un manque de moyens ; de la mauvaise orientation des bacheliers, d’absence de projet professionnel et de motivation ; de mauvais dispositifs pédagogiques ; d’enseignants incompétents ou peu impliqués ; d’expériences personnelles avec l’Université malheureuses. S’il ne s’agit pas de nier les difficultés que peuvent rencontrer un certain nombre d’étudiants en première année de licence, ces commentaires répandus font écran à une véritable compréhension du phénomène.

Tout d’abord, les auteurs soulignent que sont mises dans la case « abandon » des situations très variées qui sont loin d’être toutes synonymes d’échec. Ainsi, un étudiant qui ne se présente pas aux examens et ne se réinscrit pas, peut être aussi bien un étudiant qui trouve un emploi stable ou un salarié en reprise d’études « pour le plaisir » qu’un étudiant inscrit par sécurité dans une filière universitaire et ayant réussi un concours de la fonction publique, d’une grande école ou d’une école du travail social.

Ensuite, la situation de l’Université, bien que systématiquement dénoncée, n’est en fait pas différente de celle des autres filières de l’enseignement supérieur, elles aussi touchées par le phénomène d’abandon. Etrangement d’ailleurs, le taux d’abandon dans les classes préparatoires (étudiants ayant échoué aux concours et quittant la filière CPGE), de 33% (source 2008), n’est jamais brandi pour critiquer cette filière, la réformer voire la supprimer, ce qui met en évidence le caractère idéologique de la dénonciation dont a contrario l’Université fait l’objet. Si l’on compare non aux autres filières, mais aux autres pays, on observe que l’Université française se situe là encore plutôt très bien : dans les pays de l’OCDE, en 2008, le nombre d’étudiants ne terminant pas leurs études dans le supérieur est en moyenne de 30%, pour environ 20% en France, en quatrième position sur 25, très loin devant les Etats-Unis ou l’Italie, bons derniers avec respectivement 65% et 70%.

De manière plus fondamentale, les auteurs montrent, en recourant à des séries statistiques sur longue période, que depuis les années 60, l’abandon à l’issue de la première année universitaire (autour de 25%) est en France quasiment invariable d’une année sur l’autre, constituant un « fait social » au sens de Durkheim. L’espace universitaire semble ainsi prédestiné à produire chaque année un certain nombre d’abandons indépendamment des aléas de la vie universitaire, de l’évolution des équipes et méthodes pédagogiques ou des expériences individuelles. Ce taux moyen cache des disparités importantes, elles aussi stables, en fonction des disciplines. Ainsi, à l’Université, les taux d’abandons vont croissant (dans cet ordre) selon qu’on fait des études d’ingénieurs (inférieurs à 20%), santé, droit, sciences politiques, sciences, STAPS, sciences économiques et gestion, sciences humaines et sociales, lettres, langues, art et AES (plus de 50%).

Comme le montrent également les auteurs, l’existence d’un projet professionnel n’est pas systématiquement reliée à la persistance dans une filière (contrairement à l’idée reçue selon laquelle l’abandon à l’Université serait lié à une absence de projet professionnel chez ses étudiants). Ainsi, dans les IUT et STS coexistent à la fois des taux d’abandon plus faibles qu’ailleurs (9% et 14% de sorties en fin de première année) et des taux d’absence de projet professionnel très élevés (les taux de ceux qui ont un projet étant inférieurs de 10 à 20% à ceux d’étudiants de licence).

Un espace de régulation des flux étudiants et de construction de soi

S’il est un mythe puissant, c’est celui d’une désorientation universitaire, qui sert de fondement aux projets successifs de rationalisation des parcours, de simplification de l’offre de formation et d’appels à la « professionnalisation » des étudiants. Ce mythe n’est pas neutre : il renvoie au rêve gestionnaire de parcours sans accrocs, sans risques, sans expérimentation, rentable politiquement et économiquement, dans une conception parfaitement mécaniste des parcours scolaires ; au rêve d’un système produisant en flux tendu, sans stocks ni pertes, des étudiants « sans histoire » (dans les deux sens du terme). Cet idéal oublie pourtant que les étudiants sont des êtres en construction, ayant besoin de temps et d’essais pour devenir ce qu’ils sont.

En suivant les parcours d’étudiants à l’Université sur le long terme, les auteurs montrent que les parcours « typiques », c’est-à-dire tubulaires et ascensionnels au sein de la même filière, sont minoritaires : les bifurcations, réorientations, sont multiples, dès la première année mais également, dans une moindre mesure, par la suite. Même lorsque les parcours sont in fine considérés comme réussis, ils sont loin d’être linéaires. Les entretiens menés par ces chercheurs montrent que de nombreux étudiants ne sauraient réussir leurs études supérieures autrement. La possibilité de s’essayer, bifurquer, se réorienter, voire mener plusieurs parcours en parallèle, permet de construire des trajectoires singulières, avançant progressivement, sur la base des expériences vécues, des informations nouvelles recueillies, d’une compréhension qui s’affine des possibilités qui s’offrent et de ses propres goûts. Une telle lecture donne un relief particulier au fait que la France, au sein des pays de l’OCDE, combine à la fois un des taux d’achèvement des études supérieures le plus élevé et une proportion importante de réorientations, la seconde pouvant être analysée comme une condition du premier.

Ce que montrent aussi les auteurs, c’est que les réorientations sont très dépendantes des disciplines considérées. Ainsi, certaines disciplines mieux connues des étudiants avant leur entrée à l’Université, dont les attendus pédagogiques et les possibilités d’avenir sont mieux cernés, se caractérisent par un faible taux d’abandon et un faible taux de redoublement : sciences du vivant, sciences de l’ingénieur, STAPS et histoire. D’autres disciplines sont moins connues des étudiants, qui n’en anticipent pas forcément la difficulté, mais les représentations et projections liées à leur prestige social permettent d’en avoir des attentes claires : les taux de réorientation sont faibles et les taux de redoublement élevés en droit, médecine et pharmacie. Au contraire, dans les disciplines telles qu’AES, langues, psychologie, sociologie, art, les taux de réorientation sont élevés et les taux de redoublement faibles. Disciplines des « vocations intellectuelles », elles sont souvent en décalage, dans la réalité, avec l’image que s’en font de nouveaux entrants qui ne les ont pas abordées dans leurs études antérieures. C’est ici que se trouve la plus grande proportion d’étudiants d’origine sociale défavorisée, d’étudiants dotés d’un baccalauréat technologique ou professionnel, et d’étudiants « en retard » scolairement.

L’orientation à l’Université apparaît donc comme le produit d’une « rencontre plus ou moins heureuse », d’un processus qui mûrit progressivement pour que les caractéristiques objectives d’une formation puissent faire écho aux dispositions héritées et acquises de l’étudiant. A l’heure où les réformes proposées pour l’Université prennent pour modèle les écoles (notamment sur l’aspect professionnalisation et injonction au projet), il n’est pas anecdotique de comparer ce processus à celui, bien différent et jamais questionné, d’étudiants d’écoles de commerce : pourtant situées dans le haut de la hiérarchie des formations en matière de prestige, ces écoles concentrent, d’après des statistiques nationales (Enquête Conditions de vie 2010, OVE) et les enquêtes sociologiques disponibles, le taux le plus élevé d’orientations par défaut ou contrariées, chez des étudiants animés par le devoir de tenir un rang scolaire ou social.

Défendre la singularité de l’Université

Ce livre, il faut le répéter, devrait être lu par chacun, et d’abord par les acteurs de l’Université eux-mêmes ! Il donne de la visibilité et du sens à de nombreuses observations, vécues au quotidien par ceux qui y œuvrent sans pour autant qu’ils les aient intégrées jusqu’alors à un diagnostic d’ensemble de leur institution. Il évite de laisser un tel diagnostic à ceux dont la méconnaissance de l’Université est proportionnelle à la force du dénigrement systématique dont ils l’accablent. Il redonne espoir, dignité et force aux acteurs universitaires pour défendre les fondements d’une institution qui malgré attaques et réformes idéologiques inefficaces, a continué tant bien que mal à assurer sa mission. Il donne les moyens de comprendre non seulement ce qu’est l’Université en France aujourd’hui mais aussi, plus largement, la manière complexe, complémentaire et interdépendante dont y fonctionne l’enseignement supérieur. Les attaques portées à l’Université affaiblissent finalement l’ensemble des institutions de ce paysage, dès lors que l’on cerne mieux le rôle de régulateur et de plaque tournante de l’enseignement supérieur qu’y joue l’Université. Ce livre donne également les moyens d’agir, en localisant précisément ce sur quoi il faut se concentrer au lieu de s’attaquer à de faux problèmes. Car, nous ne l’avons pas développé ici, les auteurs montrent que, si elle permet un certain brassage social, l’Université contribue également en partie à reproduire certaines inégalités.

Enfin, ce livre constitue en lui-même un véritable manifeste pour défendre la légitimité de la recherche en sciences humaines et sociales : pariant sur l’intelligence de son lecteur, il produit ce miracle de faire basculer les représentations du sens commun et de créer chez lui le sentiment d’un avant et d’un après. Et quand cela se produit, quelle jubilation…


[1Institut universitaire de technologie

[2Section de technicien supérieur

[3classes préparatoires aux grandes écoles