Accueil > Revue de presse > 331 millions en moins dans le supérieur : l’adieu à la démocratisation de (...)

331 millions en moins dans le supérieur : l’adieu à la démocratisation de l’université - Elsa Sabado, Médiapart, 18 juillet 2017

mercredi 19 juillet 2017, par Andy Capp

Le gouvernement coupe 331 millions d’euros dans le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ces coupes viennent accentuer la création de deux universités : celle de l’excellence et celle du tout-venant.

Pour lire cet article sur le site de Médiapart

« Ça n’aura pas tenu trois mois  », soupire Hervé Christofol, secrétaire général du Syndicat des enseignants du supérieur (Snesup), en référence à la promesse d’Emmanuel Macron. Lui président, il devait sanctuariser le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche. Mais jeudi 13 juillet dernier, l’Agence France-Presse publiait en avant-première des décrets gouvernementaux d’annulation de crédits destinés à la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur. La coupe s’élève à 331 millions d’euros, sur un budget de 27 milliards d’euros, et se ventile ainsi : 81,6 millions pour l’enseignement scolaire, 95 millions pour les universités, 46 millions pour la vie étudiante, et le reste de l’effort pour les différents domaines de la recherche. En 2016, la France arrive au 16e rang dans le classement, en fonction des pays, des dépenses annuelles par étudiant. « Alors que nous sommes la 6e puissance mondiale  », se désespère le syndicaliste.

Cédric Villani, mathématicien décoré par la médaille Fields, dénonçait en 2016 le « suicide scientifique et industriel  » de la France, alors qu’un décret similaire supprimait 256 millions d’euros de crédits. En 2017, élu député, il défend les mesures d’austérité du gouvernement qu’il soutient. En expliquant d’abord que les coupes concernant le périmètre de l’ESR strict ne s’élèvent qu’à 180 millions d’euros, le reste portant sur des programmes ministériels ; ensuite que sur ces 180 millions d’euros, 160 millions sont ponctionnés sur les « réserves de précaution », des crédits votés dans le budget, gelés pour pouvoir être débloqués en cas de situation exceptionnelle et dont, la plupart du temps, les universités ne voient pas la couleur. Resteraient donc 20 millions d’économie « bien répartis sur l’ensemble de la communauté de l’ESR ». «  La situation budgétaire de l’ESR reste meilleure qu’en 2016, puisque le budget 2017 représentait une augmentation de 750 millions d’euros par rapport à 2016 », conclut le mathématicien, pour qui moins par moins égale plus.

« Une douzaine d’universités dans une situation critique  »

Les coupes dans les crédits viennent aggraver une situation déjà critique. Avant celles-ci, les universités devaient, à moyens constants, absorber l’arrivée de 40 000 étudiants supplémentaires par rapport à l’année précédente – ce qui pourrait justifier l’édification de deux nouvelles universités. Ajoutons à cela l’augmentation mécanique de la masse salariale : les travailleurs de l’université vieillissent, leurs salaires progressent, ils coûtent donc plus cher. Sans oublier l’inflation, qui renchérit le coût des locaux et de leur entretien. « En 2009, la loi LRU a donné l’autonomie aux universités : chacune avait désormais son budget. Mais l’État n’est pas venu financer l’augmentation des coûts, ce qui fait que l’université doit chaque année puiser dans son propre fonds de roulement : en 2010, il s’élevait à 28 millions d’euros, en 2014-2015, il n’était plus que de 2 millions d’euros. Il y a eu un plan d’austérité local, et chaque étudiant a perdu environ une semaine de cours  », détaille Raphaël Aupied, militant à l’UNEF à Paris-I. « Une douzaine d’universités sont dans une situation critique ou très critique au niveau budgétaire, à la limite de la mise sous tutelle. Leur seule solution pour revenir dans le vert, c’est de geler les postes », explique à son tour Hervé Christofol. Les universités devront désormais faire face avec encore moins d’argent.

Ce qui provoque logiquement une dégradation des conditions de travail et d’accueil. Du côté des jeunes professeurs d’abord : « Combien sont-ils sans poste, recrutés sur contrat de vacation, dont certains ont des profils hallucinants et qui officient sur des postes de maîtres de conférences à temps plein, payés au SMIC ?  », interroge Laurence de Cock, professeure en sciences de l’éducation. Mais surtout, pour les étudiants. Exsangues, les universités instituent des « capacités d’accueil » au-delà desquelles elles refusent les inscriptions. Jusque-là, la sélection était interdite : l’accès à l’université est un droit pour tous les bacheliers, quel que soit leur cursus. Les universités ont donc préféré utiliser le tirage au sort. L’arbitraire par essence. En comparaison, l’injustice d’une sélection par des tests ou par l’argent – par n’importe quoi, en vérité – paraît moins insupportable. Cette année, les 87 000 bacheliers qui sont encore, après le 3e round d’affectation du logiciel admission post-bac, sans place à la fac pour la rentrée, constituent une aubaine pour enfin instituer la sélection à l’université. Une concertation s’ouvrait hier après-midi, au cours de laquelle la ministre Frédérique Vidal allait proposer, comme elle l’annonçait sur les ondes le matin même, une sélection sur la base de « prérequis  ».