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La proximité, atout maître des petites universités - Eric Nunès, "Le Monde", 18 octobre 2017

mardi 17 octobre 2017, par Mam’zelle SLU

A l’heure de la mondialisation des études supérieures, les villes moyennes savent tirer profit de leur taille.

En maillot de bain, des jeunes gens quittent la plage des Minimes et déambulent sur le quai du Lazaret. Cris des mouettes, -battement des drisses sur les mâts des bateaux de plaisance… L’ambiance est estivale à La Rochelle en ce 2 octobre. Pourtant la rentrée a sonné depuis plusieurs -semaines à l’université, dont le campus, à deux pas de là, fait partie intégrante de la cité. " Nous avons un cadre de vie de malades. C’est oufissime ! ", sourit Camille Hipeau, 19 ans, étudiante en deuxième année de licence de Langues étrangères appliquées.

Réussir ses études les pieds dans l’eau, bercé par la langueur d’une petite ville, est possible. Cela peut même être un facteur de réussite, affirme une étude de l’association Accueil des villes françaises (AVF) publiée en septembre. Les " universités territoriales " (moins de 15 000 étudiants, selon l’Asso-ciation des -villes universitaires de France) " offrent des avantages importants ", souligne l’AVF, co-organisatrice d’un colloque sur le sujet à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), les 14 et 15 septembre. Les taux de réussite des étudiants dans ces petites universités " témoignent de la qualité de leur formation ". Ainsi, en troisième année de licence, l’université -Bretagne-Sud, avec près de 90 % de réussite, celle de Savoie Mont-Blanc (85 %) ou celle de La Rochelle (83 %) devancent la moyenne -nationale (78 %).

Bien choisir son orientation

Même si, sur plusieurs années, les champions français de la réussite en licence sont à Angers, Lyon-II ou Paris-VI, force est de constater que, à l’heure des fusions et de l’internationalisation de l’enseignement supérieur, des universités de petites agglomé-rations savent tirer leur épingle du jeu. Plus agiles que certaines " usines à diplômés " des métropoles, elles adaptent leurs parcours aux besoins des étudiants, façonnent des filières d’excellence et jouent la carte de la proximité avec leurs élèves comme avec les acteurs économiques locaux.

Bien choisir son orientation dès le lycée est le socle de la réussite en licence. Selon une note annuelle du ministère de l’enseignement supérieur, seuls 40 % des étudiants primo-entrants passent le cap de la première année. Des milliers de néobacheliers se retrouvent en situation d’échec à peine entrés dans l’enseignement supérieur. Le ministère a promis une refonte en profondeur, dès l’année 2018, du système d’orientation Admission post bac (APB), pour mettre un frein à cet " énorme gâchis ", selon les mots de la ministre, Frédérique Vidal.

Sans attendre, et avec les seuls outils dont disposent déjà les établissements, l’université de La Rochelle s’applique à donner des " conseils personnalisés " aux 2 000 lycéens qui sollicitent une place sur la plate-forme d’information. " Le principe est d’accorder un avis éclairé qui corresponde au projet de formation de chacun, explique Pascal Génot, responsable de l’orientation au sein de l’université. 80 % de nos recommandations sont suivies. Si le futur étudiant insiste pour se -diriger vers une voie qui le condui-ra dans une impasse, nous prenons rendez-vous physiquement et nous tentons de le diriger vers une filière adéquate. "

Parallèlement, l’université et les lycées rochelais organisent deux journées d’immersion au sein de la faculté, pendant lesquelles des cours sont co-construits par les enseignants du secondaire et du supérieur. Des dispositifs qui -préviennent des fausses routes. " Ils sont possibles dans une -petite université, mais pas dans les plus grandes ", juge Frédéric Rousseau, vice-président de l’université de La Rochelle.

L’orientation validée, il faut encore soutenir les nouveaux étudiants lorsqu’ils passent le Styx de l’autonomie qui sépare lycée et université. " La première année est la plus redoutable pour les étudiants, rappelle Mickaël Airaud, professeur de biologie. C’est la première fois qu’ils doivent gérer leur temps de travail, mais aussi leur budget, leurs loisirs, souvent leur logement, et trouver le juste équilibre. C’est un passage vers le monde des adultes. "

Les professeurs ont pour mission de tisser et de maintenir un lien avec leurs étudiants. Dès son arrivée, chaque étudiant passe un entretien individuel au cours duquel sont définis le profil, le projet et les parcours possibles pour l’accomplir. Une individualisation des relations enseignants-étudiants rendue possible grâce à de petits effectifs, poursuit Mickaël Airaud : " Nous repérons les visages et les diffi-cultés. " L’anonymat n’est pas la règle, comme dans les grandes universités. " Les professeurs sont très disponibles ", se félicite Mélanie Geffré, 22 ans, en master d’in-formatique.

Parcours à la carte

Ensuite, le premier semestre est un parcours commun qui rassemble l’ensemble des matières scientifiques et technologiques : mathématiques, chimie, informatique, génie civil… La période se termine par une évaluation et un nouvel entretien à l’issue duquel est élaboré un parcours à la carte. Les possibilités offertes vont d’un cursus vers un master en ingénierie (CMI) à l’élaboration d’une licence en quatre ans, avec une première année qui fera office de remise à niveau individualisée dans les matières les plus faibles. " Il s’agit d’une phase de découverte de l’université et de ce qu’elle a à offrir ", témoigne Mélanie Bruzzese, 20 ans, en troisième année de génie civil. Bachelière hésitante au début d’année, le semestre commun lui a permis de se rassurer sur sa voie. " Cela permet de mieux choisir ", abonde Nils Guyon, 17 ans, en -première année.

Loin de " l’usine à gaz "

L’adaptabilité à laquelle s’attache la petite université se poursuit sur l’ensemble du cursus établi par l’équipe pédagogique et l’étudiant. " Nous élaborons des profils de parcours sur mesure avec des enseignements académiques, professionnalisants, entrepreneuriaux, qui seront majeurs et mineurs en fonction du projet de chacun ", expose Frédéric Rousseau. Une formation à la carte, en somme, que l’université s’attache à constituer avec les acteurs locaux de la vie économique.

" Les entreprises ont besoin de jeunes formés à leurs métiers, et l’université est demandeuse d’une intervention des professionnels, reconnaît Philippe Joussemet, président de l’Union maritime du port de La Rochelle, un syndicat professionnel et employeur local. La proximité entre acteurs locaux, entreprises, université et élus permet d’impulser rapidement des projets sans créer d’usine à gaz ingérable ; et la formation en fait partie. "

En 1973, l’économiste britannique Ernst Friedrich Schumacher publiait Small Is Beautiful - Une société à la mesure de l’homme (Seuil, 1978). La Rochelle s’enorgueillit aujour-d’hui d’être " une université pluridisciplinaire ouverte sur son -territoire et sur le monde ".