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L’autonomie des universités au secours de la gratuité du SUP ? - Yann Bisiou, Blog Le Sup en maintenance, 9 novembre 2019

dimanche 10 novembre 2019, par Mariannick

Vous avez dit droits "modiques" ? Yann Bisiou a creusé très profond…

Et si la pseudo « autonomie » qui a plongé les universités françaises dans la crise se retournait contre ses auteurs ? Si les colifichets du « Nouveau Management Public », ces RCE, RGPD, LOLF, RIFSEEP, GBCP et autres acronymes avec leur cortège de cabinets, d’auditeurs, d’inspecteurs, d’experts en « conduite du changement » et de chargés de mission, version contemporaine des sangsues des bons docteurs du néo-libéralisme, si ces pesanteurs technocratiques faites « d’indicateurs de performances » et de « contrats d’objectifs et de moyens » permettaient aux étudiants étrangers, mais aussi français, de donner un coup d’arrêt à la marchandisation de l’enseignement supérieur public et à l’augmentation des frais d’inscription ?

Modicité intrinsèque

Après la décision du conseil constitutionnel d’autoriser la perception de droits d’inscription « modiques », nonobstant les termes pourtant explicites du préambule de la constitution de 1946 consacrant le principe de gratuité, la ministre prétend qu’il n’en est rien, que rien ne change. À propos de la bien mal nommée « Stratégie Bienvenue en France », elle affirme que des droits d’inscription de 2.770€ en licence et 3.770€ en master seraient « modiques » en comparaison du coût des formations qui serait, en moyenne, de 11.670 € dans le supérieur (MESRI, Repères et références statistiques 2019, p.332). On ne peut que lui donner tort. Le Conseil constitutionnel est très clair : la modicité renvoie à des droits « intrinsèquement peu élevés » (C. constit., Commentaire de la décision n°2019-809 QPC du 11 oct. 2019, p.15). Le caractère modique s’apprécie donc dans l’absolu.
Si la notion peut paraître « impressionniste » à certains (J. Turot, J. Jeausserand, T. Audouard, Rev. Dt Fiscal, n°47, 20 nov. 2014, p. 7), depuis Mireille Delmas-Marty on sait que le flou du droit « ordonne le multiple » et permet d’adapter la réponse légale autour d’une référence commune (M. Delmas-Marty, Le Flou du Droit, PUF, 1986). Et la jurisprudence du Conseil d’État est là pour le rappeler. La notion de modicité est déjà largement présente dans les décisions de la Haute Juridiction, que ce soit en matière de bail emphytéotique, de droit des étrangers ou même de droit de chasse ou d’élevage de chevaux. Dans tous ces contentieux, une somme modique est une somme d’un montant très faible, qui n’a pas d’incidence sur la situation économique du débiteur ; elle est anecdotique. Pour les personnes physiques, elle est de l’ordre de quelques dizaines d’euros, rarement plus d’une centaine, jamais plusieurs milliers.

Dans le contentieux des comptes de campagnes électorales par exemple, le Conseil d’État considère comme modiques des erreurs portant sur 77 € (CE n°395544, 20 juin 2016), 95 € (CE n°395373, 19 juill. 2016), 150 € de dépenses et 132,76 € de recettes (CE n°355048, 12 février 2013). À l’inverse il considère comme n’étant pas modiques deux sommes de 4.570 € et 22.852 € (CE n°341734, 17 nov. 2010), mais aussi une somme de 756 € (CE n°387159, 27 juillet 2015). Pour les personnes morales, les sommes peuvent être plus élevées et l’appréciation n’est plus intrinsèque mais proportionnée à la situation économique de la personne morale. 50 € pour inscrire un cheval au stud-book du selle français est un droit modique qui ne modifie pas les conditions d’exploitation économique d’un élevage de pur-sang (CE n°327003, 25 mai 2009 et CE n°327002, 5 mai 2010). Une condamnation à payer 8.000 € est modique au regard du budget communal qui dépasse 115 millions d’euros (CE n°334538, 16 juin 2010). Plutôt qu’en mentionnant un montant donné, le Conseil d’État définit parfois la modicité par un pourcentage infime. Un montant inférieur à 1% du gain retiré est modique (CE n°365573, 26 sept. 2014), une contribution à hauteur de 2% du montant total de la politique du logement est modique (CE, Rapport public 2009, p. 166).

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