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En vert et contre tout. Réflexions pour une université et une recherche à la hauteur du problème écologique - màj décembre 2020

mardi 15 décembre 2020, par Carla Bruno

Nous mettons à jour cette page ouverte en janvier 2020.
Ci-dessous, un décryptage de Labo1.5 dont les activités sont entièrement consacrées au projet "d’emmener l’ensemble de la communauté de recherche française dans une démarche de transformation axée sur la réduction de son empreinte environnementale".

[vert]4. Décryptage de publications scientifiques sur l’empreinte environnementale des activités de recherche - Labo 1.5[/vert]

Le collectif Labos 1point5, avec pour objectif de faire progresser la réflexion individuelle et collective, se penche sur des publications scientifiques.
Retrouvez dans cette rubrique les décryptages de publications scientifiques sur l’empreinte environnementale des activités de recherche.
Ce décryptage #1 s’intéresse aux déplacements, la "publication" étudiée est accessible ici, il est consultable iciou téléchargeable au format pdf :

PDF - 1.3 Mo

La mobilisation contre la LPPR et pour une autre Université fait surgir des questions, parmi lesquelles celle d’avoir une université "à la hauteur du problème" écologique. Ci-dessous deux textes pour commencer à réfléchir à cette question, ainsi que l’annonce d’un "carnet" :
- un texte de réflexion motivé par la campagne aux conseils centraux de l’université de Bourgogne (JL Tornatore, anthropologue et professeur à l’UB)
- un appel à signer le texte du "Collectif pour une université responsable" (Inrae Occitanie-Toulouse)
- le manifeste fondateur de l’Atelier d’écologie politique à Toulouse

[vert]1. Avons-nous une université à la hauteur du problème ? Question pour une période électorale (15 janvier 2020)[/vert]


À l’heure de sa mise au pas managériale, quelle place l’Université peut-elle tenir face à la perspective de l’effondrement ?
La période électorale qui débute dans les universités de Bourgogne et de Franche-Comté offre une porte ouverte à l’exploration de nouvelles pistes.

Des adolescent.e.s qui manifestent et nous interpellent : « Vous mourrez de vieillesse, nous n’aurons pas cette chance !  » [1] ; des femmes et des hommes qui décident de ne pas avoir d’enfant et se font stériliser pour ne pas ajouter à la surpopulation et à la surconsommation, par sens aigu de l’écologie, pour sauver la planète, pour ne pas laisser et donner à voir un monde en ruine [2] ; d’autres, comme en Suède, qui veulent susciter le « flygskam », c’est-à-dire « la honte de prendre l’avion  », jusqu’à, semble-t-il, provoquer une baisse du trafic passager des vols intérieurs « [3] ; deux millions cent quatre-vingt deux mille cinq cent soixante quatre Français.e.s qui ont signé une pétition présentée comme « L’affaire du siècle », fustigeant l’inertie de l’État et le non-respect de ses engagements climatiques ; des mouvements écolo et radicaux, prônant la désobéissance civile devant l’urgence climatique « [4], qui se multiplient, à l’instar d’Extinction Rebellion, né à Londres, il y a un peu plus d’un an, au risque de se faire gazer (pour avoir bloqué un pont), inculper (pour avoir dérobé un portait présidentiel), condamné (pour avoir occupé un champ appartenant à RTE) ; des expériences de vie alternatives, inventives et habitantes, qui éclosent un peu partout, parfois sans bruit, parfois durement réprimées comme à Notre-Dame-des-Landes, à Bure et à Saint-Victor (Aveyron), toutes portées par le sentiment de la nécessité de changer de monde…
Précisément, les battements de notre monde trahissent des arythmies inquiétantes auxquelles répondent ces situations brièvement égrenées, et qui ne devraient pas, plus, de moins en moins échapper à notre conscience : des événements extrêmes qui se rapprochent d’années plus chaudes en années plus chaudes et qui, de records en canicules et inversement, ont déjà atteint les rives de nos pays riches – il en est même qui littéralement s’embrasent et donnent un avant-goût de fin du monde « [5]. Des alertes médiatiques et scientifiques de plus en plus nombreuses, des chiffres toujours plus alarmiste et des prévisions régulièrement réajustées à la hausse inondent nos quotidiens : montée des eaux, déplacement des populations (estimation du GIEC à 680 millions [6]), acidification des océans, diversité de la vie en péril, extensions des zones mortes, effondrement des populations d’insectes ou d’animaux sauvages, plastiques jusqu’au fond des abysses et pesticides jusque dans nos urines, etc., etc., et la petite musique du réchauffement : 2, 3, 4, 5 degrés à l’horizon du 22e siècle…

« Dormez braves gens, nous veillons »

Notre époque est tout entière contenue dans un terme et une de ses variantes, le premier énoncé voici vingt ans, et qui finalement sont, tous deux, le moteur ou le mobile des actions énumérées ci-dessus : « anthropocène », pour le discours de la superbe – une humanité superbe, quoi qu’il advienne ! « Capitalocène », pour en rabattre, pour le discours des causes et des responsabilités occidentales. Entre les deux, s’est installé un horizon pour les générations présentes, celui de l’effondrement [7]. Sans doute ne fait-il pas l’unanimité et partage-t-il celles et ceux qui cèdent aux sirènes de la catastrophe annoncée, perçue comme inéluctable, et qui leur enjoignent de se préparer et celles et ceux qui s’insurgent contre ce discours le jugeant réactionnaire et dépolitisant, toxique, infantilisant et occultant les multiples possibilités de notre présent malgré ou peut-être grâce à l’obscurité de notre futur [8]. Pour autant, quelle que soit la position prise dans ce débat, est-il encore possible de ne pas entendre les alertes ni de négliger les questions que cet horizon et sa réception, au-delà des textes de ses porte-paroles, par une grande diversité de personnes et de collectifs, posent ? [9] Si on peut ne pas adhérer à la philosophie de l’effondrement, la collapsosophie [10], c’est-à-dire une certaine attitude pour faire face aux troubles, tels que la solastalgie [11] ou à l’éco-anxiété, nés des évènements et leur médiatisation qui rythment désormais notre quotidien, il n’est guère contestable que « nous », humain·e·s, avons un problème. Ce problème a nécessairement des dimensions multiples et interdépendantes – il est à la fois environnemental, écologique, politique, social, économique…, en somme « fin de mois, fin de démocratie, fin de monde » –, mais il reste fortement déterminé par sa composante climatique : le réchauffement (et pas le changement), c’est-à-dire la perturbation du système terre, est l’événement de « l’événement Anthropocène ». En sorte que, pour suivre ici Bruno Latour, notre époque est celle de l’entrée dans un « nouveau régime climatique », impliquant si l’on veut y faire face ou s’y adapter la redistribution des puissances d’agir, la redéfinition concomitante des habitants et des manières d’habiter la Terre, une nouvelle conception du territoire [12].

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[vert fonce]2. Appel à des engagements forts d’INRAE pour faire face aux défis des changements globaux[/vert fonce]

La communauté scientifique internationale a accumulé les connaissances sur l’ampleur des changements planétaires et leurs causes, ainsi que sur la nécessité et les moyens de les atténuer et de s’y adapter. Ces travaux montrent que des transformations majeures de nos modes de vie et de nos organisations sociales et professionnelles sont indispensables à court terme. Ils soulignent aussi fréquemment que l’inertie actuelle de nos sociétés ne provient pas d’un manque de données scientifiques ou de technologies, mais de raisons plus profondes : politiques, économiques, sociales, culturelles et psychologiques.

En 2019, plus de 13000 scientifiques, incluant des agents INRAE, ont signé un article avertissant sur l’urgence climatique, relayé par de nombreuses organisations, villes et parlements. L’Europe, le 28 novembre 2019, est devenue le premier continent à déclarer l’urgence climatique et environnementale. En parallèle, un nombre croissant d’universités et d’initiatives collectives du monde académique alertent sur la nécessité pour les acteurs de la recherche, à tous les niveaux, de repenser les objectifs, thèmes et organisation de la recherche, et les pratiques de travail, face à l’ampleur des transformations sociétales nécessaires.

Le nouvel institut INRAE avec près de 12000 personnes, un des leaders mondiaux en sciences agricoles et alimentaires comme en écologie et environnement, a en effet une responsabilité considérable dans l’impact que la recherche aura dans les années à venir sur cette problématique des changements globaux. L’investissement significatif d’agents INRAE dans des instances du GIEC et de l’IPBES, ainsi que dans des initiatives collectives spontanées telles que Labos 1.5, l’Atelier d’Ecologie Politique de Toulouse et d’autres émergeant sur Paris, Lyon, est le signe d’une prise de conscience qui s’élargit.

Une réponse institutionnelle à la hauteur des enjeux est maintenant nécessaire et opportune. INRAE entre dans une phase de définition de ses objectifs pour les prochaines années, et a donc aujourd’hui une occasion unique de définir un plan stratégique à la hauteur des défis mondiaux.

Les signataires de cet appel demandent que cette opportunité soit clairement et fermement saisie pour recentrer les recherches conduites dans l’institut vers ces défis prioritaires et que les modalités de cette recherche soient mises en adéquation avec les nouvelles contraintes qui devraient s’imposer à tous. Nous demandons que l’intelligence collective et la créativité des agents et de la société civile soient mises à contribution dans la définition des nouvelles priorités imposées par l’urgence climatique et écologique, probablement au prix de réorientations de domaines d’activités moins pertinents qui devront alors être accompagnés.

D’autre part, les signataires de cet appel demandent que l’importance et l’urgence de réduire les impacts environnementaux directs des activités scientifiques sur les écosystèmes soient prises en compte par l’institut. Et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, comme tous les autres secteurs, les activités scientifiques doivent contribuer aux efforts de réduction rapide de leur empreinte écologique au profit du maintien des activités les plus vitales. Deuxièmement, pour que le message de notre communauté scientifique soit entendu quant aux transformations à engager dans le reste de la société, nous devons faire preuve d’exemplarité dans nos activités et démontrer que nous pouvons appliquer à nous-même ce que nous préconisons pour tous. Réduire les impacts environnementaux des activités d’INRAE implique de modifier significativement certaines de nos façons de travailler. A titre d’exemples, il nous semble urgent de repenser l’incitation aux déplacements internationaux et/ou aériens ; la course en avant dans le numérique est également problématique, du fait de son intensité énergétique.

Ces transformations n’iront pas sans avoir des impacts sur notre confort et nos habitudes, sans introduire des contraintes, sans rencontrer des oppositions. INRAE doit anticiper sur ces aspects et accompagner les agents qui seront concernés, aussi bien que les partenaires que nos transformations impacteront. Mais ces changements représentent aussi des opportunités pour améliorer la qualité de nos productions et nos conditions de travail, ainsi que pour donner davantage de sens à nos métiers et mieux articuler nos activités aux attentes de la société. Autant d’aspects positifs que INRAE devrait mettre en valeur et renforcer. C’est aussi l’opportunité pour INRAE de prendre une place de premier plan parmi les institutions qui s’engagent concrètement dans la lutte contre les changements planétaires et leurs conséquences.

Nous sommes confiants que les instances d’INRAE partagent les mêmes ambitions et inquiétudes. Notre démarche vise à encourager ces instances à prendre des orientations fortes à la hauteur réelle de défis qui sont immenses. Si elles sont claires et expliquées, elles auront, nous en sommes convaincus, le soutien du plus grand nombre.

Pour signer ce texte : http://co2r.toulouse.inrae.fr/form.php

[vert clair]3. Manifeste fondateur de l’atelier d’écologie politique (Atecopol, Toulouse, Occitanie)[/vert clair]

De nombreux chercheurs et chercheuses, des sciences de la Vie, de la Terre et du Climat, comme des sciences humaines et sociales, documentent les multiples aspects du réchauffement climatique et des bouleversements écologiques. Ils étudient leurs effets différenciés sur les milieux et les sociétés qui y sont confrontés ; ils analysent également les structures (politiques, sociales, économiques, techniques), les processus et les pratiques qui ont contribué à créer cette situation critique ; ils élaborent et évaluent, enfin, des façons de fonctionner différemment afin de s’en prémunir ou de s’y adapter. Nous souhaitons par le présent projet participer à la construction, à Toulouse et en région Occitanie, d’une communauté pluridisciplinaire de scientifiques travaillant sur tous les aspects liés aux bouleversements écologiques, pour tisser des liens entre ces connaissances dispersées et réfléchir à la façon de les partager avec l’ensemble de la société ; afin de travailler avec elle aux moyens de changer en profondeur les modes de fonctionnement socio-économiques actuels.

Face aux menaces à très court terme qui pèsent sur l’humanité, beaucoup de chercheurs ressentent l’obligation morale de partager et utiliser ces savoirs pour tenter de modifier le cours de cette trajectoire que tous les indicateurs annoncent mortifère, mais se sentent impuissants face à la complexité de phénomènes et d’enjeux qui dépassent très largement chacune des disciplines spécialisées. Si certains peuvent se sentir isolés, pris par leur quotidien professionnel, d’autres sont déresponsabilisés par l’injonction à tenir un discours scientifiquement neutre vis-à-vis des enjeux sociétaux, des valeurs en jeu, du politique en général, visant une neutralité axiologique – plutôt illusoire. En effet, le discours scientifique sur les bouleversements environnementaux, fondé sur des recherches rigoureuses, est, de fait, politique, mais son impact reste limité, et sa prétendue neutralité le dépossède de toute influence – lorsqu’il ne sert pas à « verdir » les logiques d’investissement, d’innovation, de « gouvernance » et d’aménagement qui ont conduit à l’impasse écologique actuelle. Nous affirmons donc avec Sciences citoyennes que la responsabilité des chercheurs et chercheuses est proportion de leur « savoir et que nul ne peut s’exonérer de sa responsabilité au nom de son impuissance s’il n’a fait l’effort de s’unir à d’autres ».

Nous envisageons ce programme de partage des savoirs et des méthodologies comme un outil pour dépasser cette relégation publique des connaissances scientifiquement fondées. Cet atelier entend restituer la complexité et la multiplicité des phénomènes mêlant « nature et culture », en prise avec l’actualité des interrelations entre humains et non-humains. Cela correspond à un programme encore quasi-inexistant au niveau institutionnel de la recherche en France, celui de l’écologie politique. Cette expression d’ « écologie politique » renvoie au champ académique qui s’est structuré dans le monde anglo-saxon et latino-américain et qualifie au plus près notre projet. Prenant acte de la responsabilité sociétale découlant des observations scientifiques, il s’agit de mettre en dialogue, par des ateliers ouverts, les connaissances scientifiques et les débats sociaux, économiques et politiques sur l’avenir qu’il reste à construire.

Pour lire la suite


[1Manifestation des jeunes pour le climat, Dijon, 15 mars 2019.

[2« Pour « sauver la planète », ils et elles ont choisi de ne pas avoir d’enfant », Reporterre, 28 juin 2019.

[3En Suède, la « honte de prendre l’avion  » plombe déjà le trafic aérien, Les échos, 20 avril 2019.

[4Climat : la désobéissance de masse arrive en France », Libération, 29 juin 2019.

[5« Australie : l’effondrement au bout du monde », Mediapart, 8 janvier 2020.

[6Reporterre, 25 septembre 2019.

[7Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer ? Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Paris, Le Seuil, 2015.

[8Jean-Baptiste Fressoz, « La collapsologie : un discours réactionnaire ? », Libération, 7 novembre 2018 ; François Thoreau et Bénédikte Zitouni, « Contre l’effondrement : agir pour des milieux vivaces », lundimatin#170, le 17 décembre 2018 (https://lundi.am/Un-recit-hegemonique)

[9Voir l’introduction tout en nuances du dossier que la revue Multitudes vient de consacrer à cette question : Laurence Allard, Alexandre Monnin et Cyprien Tasset, « Est-il trop tard pour l’effondrement », Multitudes, 2019/3, p. 53-67.

[10Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle, Une autre fin du monde est possible. Vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre), Paris, Seuil, 2018.

[11Concept créé par le philosophe de l’environnement australien Glenn Albrecht pour désigner « le désarroi face au changement radical d’un environnement familier » (Reporterre, 7 janvier 2020)

[12Bruno Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, La Découverte, 2015.