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Serions-nous encore capables de découvrir l’Amérique aujourd’hui ? - Frédéric Hélein, blog sur Médiapart, 19 février 2020

jeudi 20 février 2020, par Elie

Les annonces du gouvernement sur la future LPPR laissent présager plus de financements de la recherche par des projets, des contrats à durée limitée, un système « inégalitaire », mais restent floues et inquiétantes sur… l’essentiel, tel que nous l’enseigne l’histoire des Sciences.

La recherche financée sur projets a-t-elle un sens ?

Un peu partout dans le monde, la recherche est de plus en plus financée sur des projets et les chercheurs sont rémunérés par des contrats limités dans le temps. La France n’échappe pas à cette tendance : les budgets récurrents y sont en baisse constante, le nombre de chercheurs ou d’enseignants-chercheurs aussi (et ce alors que la charge de travail sur ces derniers est en constante hausse, à cause de l’augmentation du nombre d’étudiants). Dans le même temps il est « proposé » aux chercheurs d’aller chercher les financements dont ils ont besoin en montant des « projets » financés par des institutions, comme ceux de l’ANR et de l’ERC (et les universités, dites « autonomes », n’ont pas d’autre choix que de se plier aux injonctions du gouvernement –notamment celles de fusionner entre elles– si elles veulent récupérer une part des financements Idex et Labex). Les effets négatifs de cette politique sont régulièrement signalés depuis longtemps par les chercheurs, mais cela semble n’avoir pratiquement pas d’incidence sur les décideurs politiques. Le gouvernement français actuel persiste dans cette direction, en annonçant une réforme dans laquelle il est question d’augmenter les financements sur contrats, les contrats à durée limitée, la compétition. Mais les demandes les plus fortement exprimées par la communauté scientifique, à savoir rétablir les financements récurrents et les emplois stables à leur niveau d’il y a dix ans, n’ont pas reçu de réponse claire jusqu’à présent. Sujet d’inquiétude supplémentaire, l’avenir d’instituts nationaux tels que le CNRS est un sujet passé sous silence par le gouvernement.

Bien sûr beaucoup de projets de recherche nécessitent des financements spécifiques, lorsqu’il s’agit d’expériences longues et complexes visant à confirmer et consolider des théories déjà étayées, ou bien lorsqu’il s’agit d’applications et de développements. Mais, en ce qui concerne la recherche fondamentale, l’idée de la « piloter » en distribuant les moyens en fonction des projets présentés n’est-elle pas une absurdité ?

Comment découvrir l’Amérique ?

Imaginons un instant que nos connaissances scientifiques et géographiques et nos moyens technologiques soient ceux de l’Europe du XVème siècle, mais que la recherche soit « managée » avec les méthodes actuelles. Un chercheur souhaite explorer l’Océan Atlantique à la recherche d’une nouvelle route maritime pour la Chine. L’expédition est coûteuse et il adresse une demande à une agence de financement, comme l’ERC ou l’ANR. Notre Christophe Colomb du XXIème siècle remplit le formulaire en 50 pages (après avoir lu le document administratif en 50 ou 100 pages décrivant l’appel à projets et expliquant comment remplir la demande). Il justifie la faisabilité du projet par le fait que la circonférence de la terre est de 30 000 km. La demande est examinée par des experts scientifiques nommés par l’agence mais, là, pas de chance : la demande est retoquée, car les experts savent bien depuis Ératosthène que la circonférence de la terre est en fait de 40 000 km, ce qui rallonge considérablement le voyage. Notre chercheur ne pourra pas découvrir l’Amérique (certes, ça ne serait pas plus mal pour les amérindiens) : l’erreur ne vient pas des experts, qui ont fait correctement leur travail, mais du principe qui consiste à ne financer que les chercheurs qui peuvent prouver qu’ils vont découvrir quelque chose.

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