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Enseignement supérieur - Sauver le Conseil national des universités pour préserver l’autonomie des universitaires Frédéric Sawicki et Olivier Nay, politistes, AOC, 16 novembre 2020

dimanche 15 novembre 2020, par Camille Pucessi

Adoptée le 9 novembre en Commission mixte paritaire, la Loi de programmation de la recherche (LPR) aborde la dernière ligne droit de son parcours législatif. Parmi ses dispositions, l’article 3 prévoit de restreindre la procédure de qualification par le Conseil national des universités, et d’autoriser donc les recrutements hors-CNU. L’objectif affiché est de favoriser l’apparition d’universités plus autonomes, libres et responsables. Dans la réalité, elle risque de démanteler le statut national des enseignants-chercheur, et donc d’attenter à l’autonomie et à l’exigence de la recherche.

Dans quelques jours devrait être adoptée par le Parlement la nouvelle Loi de programmation de la recherche (LPR) dont l’orientation générale, et plusieurs articles en particulier, soulèvent l’indignation de la communauté universitaire. L’une de ses dispositions vide de son contenu la principale fonction exercée par le Conseil national des universités (CNU), instance représentative, collégiale et paritaire, établie à la Libération pour reconstruire un système public d’enseignement supérieur à la fois autonome et exigeant.
Quel est l’enjeu ? La LPR prévoit de restreindre la procédure nationale dite de « qualification » des candidats aux métiers d’enseignant-chercheur. Depuis 1945, cette procédure conduite par le CNU constitue la première étape dans le parcours de recrutement des enseignants-chercheurs. Elle prend la forme d’une « évaluation par les pairs  », menée sur des critères scientifiques et pluralistes. Une fois « qualifiés  » au niveau national, les candidats peuvent ensuite se présenter sur des postes ouverts dans les universités où, au cours de cette seconde étape, ils sont recrutés par des comités de sélection.

La première étape de qualification peut être comparée à une étape d’admissibilité nationale dans un concours de recrutement se déroulant en deux temps, en donnant bien évidemment aux universités le choix final du recrutement. L’étape nationale de la qualification inscrivant les candidats sur une liste d’aptitude – comme dans la plupart des concours de la fonction publique – est parfaitement légitime, puisque les enseignants-chercheurs sont gérés selon un statut public national et, à ce titre, sont recrutés comme fonctionnaires de l’État et non comme salariés de leur université.

Dans sa longue tribune publiée dans Le Monde du 13 novembre, Frédérique Vidal se garde bien de le rappeler. Lorsqu’elle évoque notamment l’absence d’une qualification pour postuler aux grands organismes de recherche (CNRS, INSERM…), elle passe sous silence le fait que ce recrutement est opéré par un jury national pour partie élu dans une procédure à double niveaux, et que les chercheurs sont des salariés de leur établissement.

Les attaques actuelles contre l’université et les libertés académiques montrent à quel point le statut de fonctionnaire est une garantie majeure de l’indépendance de l’enseignement supérieur vis-à-vis des pressions d’où qu’elles viennent. Rendre les universitaires exclusivement dépendants de la direction de leur établissement pour leur recrutement et leur promotion et, demain peut-être, pour leur salaire, c’est ouvrir la voie aux pressions de tous ordres, politiques autant qu’économiques, comme l’illustrent le cas des universités anglo-saxonnes.

L’objectif de la limitation de la procédure de qualification est de provoquer une petite secousse sismique dont le but est de susciter un effondrement de plus grande ampleur.

C’est précisément l’objet de l’article 3 de la LPR qui prévoit de restreindre la procédure qualification par le CNU. Comme il aurait été politiquement périlleux de faire disparaître cette procédure plébiscitée par l’immense majorité de la communauté universitaire, le gouvernement a choisi une méthode de démantèlement invisible : il enfonce un petit coin dans le système afin que celui-ci s’effondre de lui-même en quelques années. Comment ? Premièrement, en remplaçant le régime unique de recrutement des enseignants-chercheurs par des règles différentes selon les corps. La loi autorise en effet un recrutement hors-CNU pour les professeurs des universités, tout en maintenant la qualification pour les candidats aux postes de maîtres de conférences, le tout mâtiné d’une « expérimentation » permettant aux universités de tester l’opportunité d’un recrutement sans qualification pour les maîtres de conférences.

Deuxièmement, en créant un nouveau statut échappant à toute procédure d’évaluation nationale par les pairs : les professeurs recrutés par contrat sur des « chaires juniors ». Présentés aujourd’hui comme des exceptions pour donner de nouveaux leviers de recrutement aux universités, l’objectif est ici que se généralisent des offres d’emploi diverses proposées par les établissements. La prolifération de ces contrats divisera très rapidement le corps enseignant en deux catégories distinctes, l’une recrutée sans filtre national, sur des critères locaux et sur une base contractuelle, l’autre recrutée par une procédure plus rigoureuse d’évaluation scientifique, octroyant un statut de fonctionnaire.

Ne nous y trompons pas. L’objectif de la limitation de la procédure de qualification est de provoquer une petite secousse sismique dont le but est de susciter, en quelques années, un effondrement de plus grande ampleur. Ce qui se cache derrière cette réforme est le démantèlement du statut national des enseignants-chercheurs et le passage à un système d’emploi contractuel maîtrisé par les universités.

Ce choix est parfaitement cohérent avec les préférences qui dominent l’esprit des réformateurs : d’un côté, affaiblir le système national de gestion des carrières fondé sur l’évaluation par les pairs, dans le cadre de procédures collégiales menées au sein de chaque discipline scientifique (modèle du CNU) ; de l’autre côté, renforcer l’autonomie des universités en créant un système concurrentiel où chaque établissement pourrait recruter à sa guise des enseignants et des chercheurs sur des postes « hors-CNU », contractuels ou de statut public, échappant à l’évaluation des pairs de la discipline et à tout principe de régulation nationale des carrières. Pour cette raison, la réforme est fort logiquement applaudie et activement soutenue par la Conférence des présidents d’université (CPU), instance représentative des établissements, seule organisation véritablement écoutée par la ministre.

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