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Réforme du Capes : l’université destituée de son autorité - Stéphanie Laporte, L’Humanité, 4 novembre 2013

dimanche 10 novembre 2013

Stéphanie Laporte est professeur agrégé d’italien, membre du Capes externe d’italien

Les conflits récents entre ministère de l’Éducation nationale et université au sujet de la réforme des concours d’enseignement (Capes et agrégation) et de la succession à leur présidence auront sans doute échappé à beaucoup, parmi les remous d’autres réformes en série de l’université et du lycée. Or ces conflits sont loin d’être anecdotiques, car ils influent directement sur la formation des futurs enseignants : ils concernent donc non seulement les formateurs, enseignants et étudiants, mais aussi les jeunes élèves des collèges et lycées et leurs parents, qui avaient jusque-là fait confiance à l’enseignement public pour leurs enfants.

Depuis quelques années, le ministère de l’Éducation nationale nomme massivement des inspecteurs à la présidence des jurys de Capes, amoindrissant, voire annulant la double vocation de ces concours qui sanctionnaient la double formation du futur enseignant, à la fois pédagogique (par des formateurs issus du secondaire) et académique (par des formateurs universitaires). La communauté universitaire, notamment en lettres, langues et sciences humaines, craint de voir fragilisés ses enseignements, en particulier ceux de ses filières d’excellence axés sur la préparation aux concours du Capes et de l’agrégation, mais peu de ses membres sont allés jusqu’à démissionner des jurys ; encore plus rares ont été ceux qui ont agi en bloc, comme ce fut le cas, le 16 septembre dernier, des membres du jury d’oral de l’agrégation externe d’histoire.

Au sein du Capes externe d’italien, un des plus «  petits  » en termes de jurés, candidats et lauréats, et un des derniers à avoir résisté à la suppression des épreuves universitaires du concours, le conflit est ouvert depuis plusieurs mois. La nouvelle réforme des épreuves du concours, entièrement indexées sur les programmes du secondaire (arrêté du 19 avril 2013 publié au JO le 27 avril, assorti d’une «  note de commentaire  » parue sur le site de l’éducation nationale, le 19 septembre 2013), a été élaborée par le ministère de l’Éducation nationale sans que fussent consultés les membres du jury du Capes, ni ceux des universités qui assurent la préparation à ce concours. La nomination, en septembre, de l’inspectrice générale d’italien à la présidence du concours s’est faite contre l’avis des membres universitaires du jury. Les réactions des italianistes du supérieur ont été vives (courriers au ministère, rétention des notes d’admissibilité, pétition en ligne, appels à ne pas accepter de participer au jury du nouveau Capes), mais vaines. [1]

Cette situation de conflit est extrêmement dommageable à la préparation des candidats à ce concours. Élaboré dans ces conditions, en effet, sans concertation entre les différents corps, le concours réformé consacre une séparation radicale entre formation universitaire et formation pédagogique très nuisible à la celle du futur enseignant. Très vite elle nuira à la formation des élèves des collèges et des lycées. Car, la formation académique et humaniste assurée par l’université, si elle n’est pas directement et immédiatement utilisable devant une classe d’élèves, est indispensable à la formation méthodologique, scientifique et intellectuelle de l’apprenti professeur.

Sans un enseignement approfondi de l’histoire du fascisme italien, sans de solides repères chronologiques, historiques et méthodologiques, comment un enseignant lira-t-il (et fera-t-il lire à ses élèves) cette unité d’un tout récent manuel d’italien pour classes de terminale, qui, conformément aux programmes de la réforme des lycées de 2009-2013, mêle affiches de propagande fascistes et publicités pour téléphones portables, slogans mussoliniens et slogans commerciaux, messages contre la violence faite aux femmes, œuvres futuristes en faveur de la guerre de 1914, photographies d’Oliviero Toscani pour Benetton et rappel des lois raciales de 1938, sous le titre global, le Armi per convincere (les Armes pour convaincre) ?

Comment un jeune prof d’italien, qui n’aura connu qu’une formation sur des programmes du secondaire distribués en «  notions  » fourre-tout permettant ce type de télescopages absurdes et incitant professeurs et élèves à un zapping continu, réduisant l’acquisition d’un savoir linguistique et humaniste à une suite étourdissante d’images, de fragments textuels ou sonores résolument décontextualisés, sera-t-il capable de se réapproprier ces contenus éclatés et d’en faire le tri, ou de simplement les écarter, pour construire des cours cohérents et fournir à de jeunes gens les repères nécessaires à l’organisation de leurs connaissances ?

Saura-t-il apprécier et faire apprécier à ses élèves le second degré d’un exercice de grammaire (dans le même chapitre du manuel) qui amalgame slogans commerciaux et totalitaires au nom de l’apprentissage du mode impératif et fait traduire la phrase «  Changez de téléphone portable, Monsieur ! Choisissez notre dernier modèle !  », aussitôt suivie de «  Soyez fiers de la patrie ! Protégez-la de l’ennemi !  » et «  Ne laissons pas mourir nos idées, soyons prêts à mourir pour les sauver  » ?

Cela ferait sourire si l’actuel projet de l’éducation nationale n’était pas, justement, la promotion de l’apprentissage des langues vivantes grâce à la méthode dite «  actionnelle  », qui donne la priorité à l’apprentissage d’une langue de communication en lien direct avec le quotidien. Une simple page à ajouter au bêtisier de nos manuels scolaires ? Sans doute, si la politique actuelle de l’éducation nationale n’était pas d’évincer l’université de la préparation aux concours d’enseignement et, à terme, d’écarter du corps des enseignants tout professeur encore capable de constituer un bêtisier…

L’école d’aujourd’hui veut former un élève acteur de son propre apprentissage ; quelle formation rendra l’enseignant acteur de son propre enseignement ? Il est urgent que l’université reprenne toute sa place dans le recrutement des professeurs de collège et de lycée, et que soit ainsi maintenu un lien entre la recherche et la formation des enseignants.

À lire dans l’Huma ici


[1Lire à ce propos notre article « Le ministère ne répond plus (aux italianistes de l’Enseignement supérieur) été 2013 »