Accueil > Revue de presse > Au Japon, la liste noire des étudiants endettés - Thierry Ribault, économiste (...)

Au Japon, la liste noire des étudiants endettés - Thierry Ribault, économiste au CNRS, Rue 89, 7 avril 2010

mercredi 7 avril 2010

Début 2009, le Japon a « blacklisté » des élèves endettés afin de les forcer à honorer leur prêt étudiant. Yasushi fait partie de ces 200 000 jeunes japonais fichés par les pouvoirs publics.

Yasushi Kurihara, 31 ans, prépare un doctorat en sciences politiques à Waseda, prestigieuse université privée de Tokyo. Il vit à Saitama, en banlieue, chez ses parents. Son père, 65 ans, de condition modeste, travaille à la mairie de Tokyo. Il va prendre sa retraite cette année, ce qui inquiète Yasushi, car les revenus de la famille vont diminuer. Sa mère, 60 ans, est femme au foyer et occupe des emplois à temps partiel dans des supermarchés.

Yasushi est lecteur à Musashi Gakuin. A l’instar d’un tiers des enseignants de cette université, son contrat est à durée déterminée et son statut est celui de « salarié non-régulier ». Ses six heures mensuelles d’enseignement lui rapportent 200 000 yens par an (1 600 euros). La période est de plus en plus concurrentielle : il ne peut obtenir plus d’heures et il n’est d’ailleurs pas assuré de garder son poste l’an prochain.

A Waseda, les frais de scolarité en doctorat s’élèvent à 1 million de yens par an (8 000 euros). Les autres dépenses annuelles de Yasushi sont de l’ordre de 500 000 yens. Actuellement, Yasushi est couvert par l’assurance sociale de son père : en tant que salarié non-régulier, il ne peut bénéficier d’une protection sociale spécifique.

Banque et immobilier : la liste noire fuite en dehors de la fac

Pour son seul master et sa préparation au doctorat, les frais de scolarité cumulés de Yasushi s’élèvent à 6,5 millions de yens (52 000 euros). Au total, il est actuellement redevable d’une dette de 10 millions de yens (80 000 euros) pour le financement de ses études.

Au delà de trois mois de retard de paiement, l’étudiant mauvais payeur est, depuis le début de l’année dernière, fiché sur une liste comportant toutes les informations individuelles disponibles à son sujet, communiquée aux 1 500 principales institutions financières du pays.

Cette liste sert de référence aux banques pour refuser aux personnes qui y figurent l’attribution d’outils de paiement comme les cartes bancaires. Elle a aussi pour conséquence de bloquer l’accès de ces étudiants à la location d’un logement, nombre de propriétaires ayant recours à des agences immobilières qui ne manquent pas de prendre leurs précautions à la signature des contrats.

184 millions d’euros de prêts étudiants non honorés

Sur les 3 millions d’étudiants inscrits au Japon, 1,2 million (contre 500 000 en 1998) a accès à un dispositif officiellement qualifié de « bourses ». En pratique, c’est un système de prêts, sans ou avec intérêts, qui est prévu afin d’aider les étudiants à couvrir leur dette.

Les prêts avec intérêts entrent dans ce que les pouvoirs publics qualifient de « Plan espoir pour le XXIe siècle » : un espoir au taux de 3%. Entre 1998 et 2009, la part des prêts gratuits est passée de 75% à 30% du montant total des prêts accordés.

Parmi les étudiants « boursiers », 200 000 ne peuvent honorer leur dette. La fragilisation de la situation de l’emploi, y compris pour les salariés réguliers, tend à accroître le nombre d’étudiants non-solvables.

Depuis 1945, la Japan student service organization (Jasso), qui gère ce système, accuse un montant cumulé de prêts non honorés de l’ordre de 230 milliards de yens (184 millions d’euros), soit 20% du montant total des prêts accordés.

Selon la Jasso, les raisons les plus couramment invoquées par les débiteurs sont :

- la faiblesse des revenus,
- le remboursement d’un autre emprunt,
- l’absence d’emploi,
- l’endettement des parents,
* les problèmes de santé.

Avant 2009, les pouvoirs publics avaient recours à deux dispositifs :

1. Le recours juridique, plutôt utilisé de manière symbolique. On compte chaque année quatre à cinq procès seulement, la médiatisation de ces procès nuisant à la démarche.

2. Plus subtil, discret et de plus en plus usité : mandater des sociétés privées de recouvrement de crédit qui détiennent savoir-faire et maîtrise des techniques de communication et de pression. Ces sociétés approchent les débiteurs par la voie de lettres et de relances téléphoniques, et s’adressent à leur famille avec des argumentaires moralisateurs afin de les inciter à exercer leur tutelle.

Le système universitaire japonais est « devenu fou »

Pour lire la suite :


Voir en ligne : http://www.rue89.com/2010/04/07/au-...