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L’une novice, l’autre démotivée : deux profs non-grévistes, par Anne-Sophie Moreau, Rue 89, 12 octobre 2010

mardi 12 octobre 2010

Pour lire cette brève sur le site de rue 89

Céline vient de débarquer dans l’enseignement et a atterri dans le 93. Véronique a trois enfants et des problèmes d’argent. Elle feront cours ce mardi… si leurs élèves ne vont pas manifester.

Alors que le SNUipp-FSU (premier syndicat du premier degré) et le Snes (principal syndicat du second degré) ont appelé à la grève pour la journée du 12 octobre, il se pourrait que les enseignants soient rejoints par les lycéens et les étudiants.

« On a trop de scrupules par rapport aux élèves ! »

Démarrer sa carrière de prof en faisant grève ? Pas facile, selon Céline. Après une année de stage à Bourges (Cher), cette prof de français de 25 ans vient tout juste d’être titularisée dans un lycée de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis).

Elle a manifesté samedi et soutient une grande partie des revendications. Mais mardi, elle fera cours :

« J’ai peur de prendre trop de retard avec mes classes. C’est typique des jeunes profs : on est débordés par le rush de la rentrée car on n’a pas les réflexes des anciens. J’ai deux amies dans le même cas : on voudrait bien faire grève, mais on a trop de scrupules par rapport aux élèves ! »

D’après les représentants syndicaux, 47% du personnel de son établissement ont fait grève le 23 septembre :

« A titre de comparaison, très peu de gens se sont mobilisés l’année dernière à Bourges, où la moyenne d’âge était d’environ 45 ans. »

Retraites, Roms, bouclier fiscal

Les revendications ? «  Si elles étaient limitées aux retraites, je me serais sentie moins concernée. Pour moi, c’est un ensemble qui suscite le mécontentement : la déportation des Roms, le bouclier fiscal… »

Les jeunes profs essuient également les plâtres de la réforme de leur formation :

« Avant, les stagiaires donnaient huit heures de cours et consacraient le reste de la semaine à apprendre le métier. Cette année, ils se retrouvent à temps plein, parachutés devant les élèves sans aucune formation. »

Malgré sa charge de travail, Céline envisage de rejoindre le mouvement s’il est reconduit : « Mais je ferai cours quand même, avec un brassard pour montrer que je fais grève ! »

« La grève ? Je n’en ai pas les moyens »

On peut aussi renoncer à la grève pour des questions d’argent. C’est le cas de Véronique, 37 ans, qui enseigne la physique appliquée dans l’académie de Nancy-Metz :

« Avec trois enfants à charge et quelques imprévus, les fins de mois sont difficiles pour mon mari et moi. C’est pourquoi je ne me pose même pas la question.

Depuis la suppression de mon poste il y a deux ans, je travaille dans un lycée situé à 90 km de chez moi. C’est fatigant, et cela pèse sur mon budget, à tel point que je pense à une reconversion.

Au départ, j’avais choisi ce métier pour garder une proximité avec mes enfants, que je suis pourtant en train de perdre. Je ne me plains pas de mon salaire, mais le coût de la vie rend les choses plus difficiles pour la classe moyenne. »

Avec son emploi du temps condensé, Véronique avoue ne pas suivre de très près le mouvement social dans son lycée :

« Parmi mes collègues, certains sont des syndicalistes purs et durs. Pour ma part, j’ai toujours eu des réticences à faire grève : je préfère la médiation. De plus, je pense que les réformes sont nécessaires, car nous avons un train de retard. Prenez le domaine technique : on n’est plus à la pointe. Je trouve seulement qu’on manque de moyens au niveau humain. »