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Questions troublantes, en attendant les Assises. J.F Méla, JFM’s blog, 3 juin 2012

jeudi 7 juin 2012, par Mariannick

Aujourd’hui que l’échéance présidentielle est derrière nous, on peut se poser toute une série de questions sur les choix politiques à venir pour l’enseignement supérieur et la recherche. Il faut bien reconnaître que le paysage reste assez nébuleux, et personne ne peut croire que la lumière va jaillir, comme par miracle, des « Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche » promises par François Hollande. Une telle manifestation est certainement très utile pour confronter des idées et des projets avec ceux qui seront censés les mettre en œuvre et dont l’adhésion doit être recherchée, mais ces idées et ces projets font partie d’une politique nationale et ne peuvent résulter de la seule volonté des catégories qui participeront à ces assises[1]. On peut comprendre que François Hollande soit resté relativement évasif jusqu’ici sur ses propositions car les options mises en avant par les uns et les autres à gauche sont assez divergentes, et l’arbitrage politique sera très délicat.

Vers la guerre civile ?

Le mouvement de 2009 s’est conclu par une défaite que beaucoup voudraient effacer. Une « coordination nationale » a commencé à se constituer « pour ne pas trahir 2009 » et demande l’abrogation de toutes les réformes de ces dernières années. Cette coordination n’est pas très représentative pour l’instant mais, plus sérieusement, une « intersyndicale universitaire et des organismes de recherche », rejointe par les associations « Sauvons la Recherche » et « Sauvons l’Université », a publié un communiqué unitaire réclamant la dénonciation de la signature des conventions IDEX, le dessaisissement de l’AERES au profit du Comité national de la recherche scientifique, un collectif budgétaire par transfert des crédits de l’ANR et du crédit impôt recherche,… Plus récemment encore, lors d’un congrès d’étude au Mans, le SNESUP a réclamé « une rupture qui doit se traduire par des engagements immédiats : abrogation du Pacte pour la Recherche (ANR et AERES), de la loi LRU et de ses décrets d’application (comité de sélection…), du décret statutaire modifié des enseignants-chercheurs et de l’évaluation qu’il implique, de l’arrêté licence d’août 2011, des arrêtés transférant aux présidents d’université les pouvoirs du ministre en matière de gestion de la carrière des enseignants-chercheurs »… Toutes propositions qui ne figurent pas dans le programme de François Hollande. On sent dans la mouvance protestataire une grande méfiance, pour ne pas dire plus, envers ceux qui sont accusés d’avoir accompagné la mise en œuvre des réformes, notamment et très symboliquement les présidents d’université (dont certains sont dans les cabinets aujourd’hui), comme si ceux-ci n’étaient pas l’expression d’une bonne partie de la communauté universitaire, y compris de syndicalistes.

Beaucoup pensent que le nouveau pouvoir ne remettra pas profondément en cause les réformes. C’est aussi l’opinion de certains observateurs étrangers. Ainsi, pendant la campagne présidentielle on pouvait lire dans un article du Times Higher Education : « In the run-up to the French presidential elections, the Socialist Party is insisting that it will not backtrack on the current government’s controversial overhaul of higher education. (..) Hollande says he will not repeal the reform, but wants to simplify funding and give state universities real freedom by investing in higher education ». De sorte qu’il n’est pas excessif de dire qu’on sent comme une ambiance de « guerre civile »…[2] Certes on comprend la nécessité de gommer ou de corriger fortement tout un ensemble de mesures dont on a fait ici la critique à de multiples occasions. Mais tout ne se résume pas en une abrogation et à un retour en arrière (vers une situation idéale ?). Il ne faut pas se masquer les enjeux de l’enseignement supérieur aujourd’hui, qui requièrent de profondes transformations si l’on veut avoir de véritables universités en France.

Des enjeux sous-estimés

Il n’est pas surprenant que les points forts de la campagne présidentielle aient concerné les questions économiques et sociales, et que les mesures annoncées pour l’éducation visent prioritairement l’Ecole primaire et secondaire, mais les enjeux de l’enseignement supérieur apparaissent notablement sous-estimés. Cette relative « marginalisation » aurait pu s’aggraver encore si l’enseignement supérieur s’était trouvé à nouveau noyé dans un grand ministère de l’Education Nationale. De ce point de vue, le maintien d’un ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche est une bonne nouvelle.

On a déjà mentionné ici le lancement aux États-Unis, en juillet 2009, d’un plan ambitieux de 12 milliards de dollars sur 10 ans, en faveur des community colleges dont il est prévu que les effectifs augmentent de 5 millions pendant la durée du plan. Rappelons ce que disait Barak Obama à l’occasion du lancement de ce plan : « In an increasing competitive world economy, America’s economic strength depends upon education and skills of its workers. In the coming years, jobs requiring at least an associate degree are projected to grow twice as fast as those requiring no college experience ». Dans le même ordre d’idées, on peut citer un rapport de l’Institut McKinsey, de mars 2012, suivant lequel « il pourrait manquer à la France, en 2020, 2,2 millions de diplômés d’un niveau bac ou supérieur, tandis que 2,3 millions d’actifs non bacheliers ne trouveraient pas d’emploi ». Ce dernier point est illustré par un rapport du CEREQ qui étudie le devenir en 2010 d’une génération qui a quitté le système éducatif en 2007. Il apparaît que « 56% des jeunes non diplômés passent plus d’un an en recherche d’emploi après avoir quitté l’école, quand ce n’est le cas que de 27% des diplômés du secondaire et de 9% des diplômés de l’enseignement supérieur (..) Passer du chômage à l’emploi se révèle particulièrement difficile pour les non-diplômés : quand ils ont connu un épisode précoce de chômage, ils sont 58 % à accéder ensuite à l’emploi contre 94 % des diplômés de l’enseignement supérieur ».

Dans un article sur la politique de l’emploi en France, l’économiste Philippe Askenazy écrit : « Regardons les États-Unis. Pour limiter le chômage des jeunes, une vraie politique de poursuite des études a été mise en place. Ce n’est pas le cas en Europe. Ici on dit aux jeunes qu’ils auront de toute façon des difficultés, donc autant aller directement sur le marché du travail. En France, le taux de poursuite des études après le bac est aujourd’hui de 70%, contre 85% en 1993. (..) Il faut investir dans la poursuite des études ». On nous propose périodiquement, à tous les niveaux du système scolaire, d’envoyer en apprentissage les élèves le plus en difficulté. Mais, outre que les moyens provenant de la taxe d’apprentissage ne sont pas extensibles à l’infini, il ne faut pas oublier, comme l’écrit Daniel Bloch que «  le chômage des seniors, c’est d’abord et avant tout le chômage de ceux qui n’ont pas acquis, à l’issue de leur scolarité, un diplôme ou un diplôme de niveau suffisant ».

Dans son programme de 2002, Lionel Jospin affirmait que « 50% d’une génération doit être titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur ». Cet objectif est toujours d’actualité : le pourcentage de diplômés de l’enseignement supérieur n’atteint pas 40%, dont 24% à bac+3 ou au-delà soit un taux bien inférieur à celui de nombreux pays européens (41% au Danemark, par exemple). La question n’est pas tant de réaffirmer un objectif que de proposer des voies pour l’atteindre, au-delà de pitoyables dispositions pour rendre l’obtention de la licence plus facile.

François Hollande proclame[3] : «  Je décrète la mobilisation générale pour les premiers cycles universitaires ». S’agit-il d’un nouveau « Plan licence » ? La question est de faire en sorte que la licence ne soit plus « la voiture balai » de l’enseignement supérieur, conditionnée par une « professionnalisation » laborieuse. On lira à ce sujet la discussion approfondie qu’en fait Martin Andler dans l’article « Sauver la licence ». Sans doute l’amélioration de l’encadrement et de la pédagogie est elle indispensable, et François Hollande s’engage à y affecter 5.000 des 60.000 emplois prévus pour l’éducation. Encore faut-il aussi, comme il le propose d’ailleurs, « que soit valorisé nettement, dans les carrières des enseignants-chercheurs les tâches et l’implication pédagogiques ». Et là, on débouche sur des problèmes brulants qui renvoient à l’autonomie : l’évaluation des activités d’enseignement (qui ne peut se faire qu’au niveau local), la diversité des fonctions et la modulation des services[4].

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